Entre l’enlisement de ses projets-phare et l’absence d’une vision claire quant à son devenir, Casablanca paie les frais d’une gouvernance chaotique. Enquête.
Les Casablancais ne comprennent pas le pourquoi du retard accusé dans l’ouverture de deux grandes infrastructures de la capitale économique, le nouveau grand théâtre et le zoo. L’étonnement est d’autant plus immense que les travaux de l’une et de l’autre ont été achevés depuis longtemps. Et quand les premiers responsables de la ville, à commencer par la mairie, se cadenassent dans un silence de cimetière en évitant de s’exprimer publiquement sur cette situation, le mystère ne fait évidemment que s’épaissir. Ce black-out qui dure depuis au moins deux ans laisse croire qu’il y a anguille sous roche. Surtout qu’aucune date d’ouverture de ces deux projets n’a été donnée. Le nouveau théâtre, baptisé CasArts, était prêt depuis le dernier trimestre 2017 et un organisme gestionnaire a été même désigné officiellement dont le nom a été révélé par le directeur de Casa Aménagement Driss Moulay Rachid : La SDL Casa Animation.
D’un investissement de 1,5 milliard de DH, CasArts a tout pour devenir le nouveau pôle moderne de la culture casablancaise dans une métropole en mal de théâtre et d’activités artistiques fédératrices. Le projet compte des salles de spectacle d’une capacité de 1800 places, 600 places pour le théâtre et 300 pour les concerts, des lieux de répétition et de création, des ateliers pédagogiques pour enfants, un village d’artistes et de techniciens, des espaces commerciaux et un espace de concerts en plein air. Ce qui n’a jamais été dit ni écrit c’est que Driss Moulay Rachid a procédé, juste après la sortie de la période du Covid, à l’inauguration du théâtre et de le refermer illico à double tour après s’être fait tirer les oreilles par le ministère de l’Intérieur en raison de ce qui semblait être une initiative personnelle ni concertée et encore moins validée. Depuis, le nouveau bâtiment attend le feu vert. Sauf que celui-ci tarde à venir pendant que certains s’inquiètent du risque de détérioration de l’édifice et de ses différentes installations.
Les mêmes inquiétudes entourent le nouveau parc zoologique construit sur une superficie de 10 hectares pour une enveloppe de 250 millions de DH. Les travaux de réaménagement de l’ancien zoo de Ain Sebaa ont été achevés depuis 2018. Mais là aussi, l’inauguration du site n’est toujours pas au rendez-vous et aucune date de sa mise en service n’est annoncée.
Derrière ces retards d’ouverture se cache principalement un problème de gouvernance. Que ce soit pour le théâtre du Grand Casablanca ou le parc zoologique, les responsables ont péché par leur imprévoyance par rapport au choix préalable des gestionnaires des deux sites. «Les responsables n’ont commencé à penser aux gestionnaires et à les chercher qu’après la fin des travaux », explique un élu. C’est ainsi que la SDL Casa Events & Animation a été proposée pour prendre en charge la gestion du CasArts alors que cette entité n’en a nullement les qualifications en termes de compétence et de savoir-faire. « Cette entité éprouve déjà des difficultés énormes a gérer la billetterie du stade Mohammed V a fortiori s’occuper de la gestion d’un théâtre qui nécessite le déploiement de métiers spécifiques comme l’administrateur de spectacles », renchérit un autre.
Beau gâchis
La même improvisation s’est déployée en long et en large pour le nouveau zoo. Tout le monde, excepté les dirigeants de la métropole, sait qu’on ne gère pas un zoo comme on gère un poulailler et que la logistique d’un parc zoologique requiert une technicité pointue avec le recrutement, entre autres équipes multidisciplinaires, de gestionnaires de collections qui s’occupent des animaux. Tout une panoplie de services spécialisés que la ville de Casablanca est loin de posséder. Assurer le bien-être des animaux est un métier. C’est pour cela qu’un groupe d’élus a proposé, bien avant la fin du chantier, de faire appel au savoir-faire des promoteurs du Bioparc de Valence en Espagne, considéré comme faisant partie des meilleurs parcs animaliers au monde. Les propriétaires de ce parc ont accepté d’accompagner le zoo de Casablanca lors des premières années d’ouverture et de former des équipes marocaines qui prendront ensuite le relais. Mais les auteurs de cette proposition avaient l’impression de prêcher dans le désert, étonnés d’apprendre que les autorités locales et élues (à l’époque le PJD Abdelaziz El Omari était aux commandes) voulaient donner le parc en gestion a Casa Animation& Events! Cela a un nom : L’amateurisme et l’ignorance aux commandes.
Ce sont les mêmes défauts de maîtrise de la gouvernance urbaine qui ont été à l’œuvre à la forêt de Bouskoura dont le programme de mise à niveau de près 150 millions de DH a tourné à un beau gâchis faute de gestionnaire pour faire fonctionner les différentes installations mises en place. Comble de l’incurie et de l’irresponsabilité, la forêt s’est dotée de toilettes mais elles sont fermées à double tour depuis plusieurs années. Le meilleur moyen de pousser les visiteurs à faire leurs besoins sous les arbres ! Que des fautes graves qui pénalisent la population mais jamais les responsables qui non seulement ne rendent pas de comptes mais sont maintenus à leurs postes. Pour continuer à faire plus de dégâts ?
Privée d’équipements de divertissements et de loisirs, de plus enserrée par la faute d’un aménagement désordonné dans un entrelacs infini de voies du tramway et du busway, victime d’une absence de vision claire quant à son devenir, Casablanca continue, à grande échelle, de vivre sans toilettes publiques, autre projet-mort-né, lancé, sous l’époque du maire Mohamed Sajid, que ses successeurs n’ont pas réussi à relancer. Ce qui n’empêche pas la maire actuelle, complètement larguée, de rêver auprès du 360 d’une « Casablanca ville verte » pendant que les habitants, livrés a de multiples nuisances et tracas, sont poussés à voir tout en noir…