Président de l’Association marocaine des experts et scientifiques du tourisme (AMEST), Mustapha Moufid pointe du doigt les carences qui minent l’emploi dans les métiers du tourisme. Radioscopie d’un spécialiste connu pour son franc parler.
«Je suis d’accord, les professionnels doivent préparer une offre touristique pour les Marocains qui doit être à la hauteur de leurs attentes ». Ainsi s’exprimait mardi 25 avril le chef du gouvernement Aziz Akhannouch devant les conseillers de la deuxième Chambre. Mais ce n’est pas là le seul problème à régler pour une activité conçue essentiellement dans sa composante hébergement pour les touristes étrangers. L’industrie nationale des voyages souffre aussi et surtout d’une crise de compétences induite en grande partie par l’absence d’une rémunération attractive dans les métiers du tourisme.
Président de l’Association marocaine des experts et scientifiques du tourisme (AMEST), fin connaisseur du secteur dont il a formé plusieurs fournées de lauréats aux techniques des finances et contrôle de gestion dans les entreprises touristiques, Mustapha Moufid a mis le doigt sur cette plaie en spécialiste reconnu du secteur dans un entretien de presse ( La vie Éco du 5 mai). A cet égard, il a pointé « l’absence de conventions collectives sectorielles et de grilles salariales adéquates». La situation est telle que, excepté « les grandes chaînes hôtelières structurées, le non-respect du code du travail est très répandu dans le secteur, au point que beaucoup d’employés ne sont même pas rémunérés au SMIG».
Démotivation
Telle est la face quelque peu sombre d’un secteur dont la majorité des opérateurs hôteliers y compris les enseignes de luxe recourent aux intérimaires, révèle M. Moufid qui dénonce au passage la pratique des « stages non rémunérés » prisée par nombre d’établissements pour avoir du personnel gratuit presque en permanence. Ce qui dispense les employeurs d’offrir des « contrats d’embauche » en bonne et due aux lauréats d’instituts de tourisme et d’hôtellerie formés en enseignement supérieur par l’ISITT, le système universitaire et le privé (les métiers de base, eux, sont formés essentiellement par l’OFPPT dont la qualité formation est critiquée). Le recours à une main d’œuvre sous-payée et parfois non qualifiée ou mal formée génère de la démotivation et des défaillances. Ce qui rejaillit directement sur la qualité de service, qu’elle soit attendue ou perçue, qui laisse souvent à désirer jusque dans les établissements de haut standing. Or, les prestations touristiques doivent être irréprochables pour assurer la satisfaction du client et lui faire vivre une bonne expérience, qui sont déterminants dans le taux de retour.
« La qualité de service dans les hôtels est très souvent décriée, preuve en sont les commentaires des voyageurs dans les pages des sites de réservation en ligne, tels que Booking, Tripadvisor & Co… », indique le président de l’AMEST.
Les bons profils, ainsi déçus côté motivation salariale, sont tentés de rechercher une meilleure situation professionnelle en se tournant vers d’autres secteurs d’activités au Maroc pendant que d’autres cèdent aux sirènes de l’expatriation dans des destinations qui offrent de bien meilleures perspectives pour les cadres en tourisme. Dans un contexte marqué par une course aux talents mondialisée et accélérée, le défi primordial réside naturellement pour les responsables du secteur dans l’investissement dans le plus précieux des capitaux: l’homme. C’est cela le grand paradoxe du tourisme national qui regorge d’attraits et de potentiel mais ne sait pas retenir les talents en les motivant avec des plans de carrière clairs et efficaces.
« Le management des talents est un enjeu majeur pour le succès de toute entreprise touristique ou hôtelière», rappelle Mustapha Moufid qui plaide pour la mise en place d’une politique ambitieuse en matière des ressources humaines en vue d’attirer les bons éléments et les fidéliser. Pour le président de l’AMEST, si les profils pour les métiers « techniques» jouissent d’une relative disponibilité, les Soft Skills sont en revanche défaillants et pèchent par une maîtrise métier insuffisante. Le secteur connaît aussi un certain déficit en compétences dans le Middle et le Top Management ajoute-t-il.
«De manière générale, le rendement du système de la formation professionnelle reste en deçà des attentes en matière d’insertion de ses lauréats, comme en témoignent les études de suivi d’insertion des lauréats réalisées çà et là », conclut-il tout en proposant, suite à sa discussion avec le Canard, quelques pistes d’action et de réflexion en vue de remédier à ses différents dysfonctionnements (Voir encadré). Pour un pays qui ambitionne d’accueillir 17,5 millions de touristes en 2026 et générer 120 milliards de DH de recettes en devises, ce pari est difficile à réussir sans le renforcement des dispositifs de formation et de formation continue. Avec comme objectif la préparation en effectifs suffisants de ressources humaines qualifiées et motivées pour l’ensemble des territoires touristiques. Il s’agit de mieux gérer l’existant par un meilleur encadrement mais aussi d’anticiper les investissements à venir dans le secteur. Tout un programme.
Les propositions de Mustapha Moufid
«De vraies assises nationales devraient conduire à un véritable chantier de reengineering de l’appareil de formation et des relations Ecole/Entreprise, afin d’améliorer les compétences des ressources humaines, talon d’Achille de l’activité.
Ces compétences seraient à développer essentiellement à deux niveaux :
– Les Métiers du Digital et des Réseaux Sociaux (Graphiste, infographiste, Designer, Digital & Data Manager, Data Analayst, Responsable SEO, Fournisseurs de contenus, Community manager, Business Developper, Content Manager, Inbound Manager…) ;
– Les Métiers Technologiques et de Management (Pricing & Revenue Management, CRM, Marketing digital, PMS, Experience Design…).
Propositions :
• Lancer une enquête nationale sur les besoins en compétences, ressources et formations ;
• Dresser le Bilan des compétences et concevoir des plans de formation par branche d’activité ; c’est d’autant plus plausible que ce secteur recense pas moins de 143 métiers ;
• Créer un « Observatoire des Métiers et de l’Employabilité dans le Tourisme»;
• Procéder à la refondre et à l’actualisation des REM-REC (Référentiels Emplois Métiers/Emplois Compétences) en phase avec la troisième révolution touristique ;
• Mettre en place d’une e-académie du tourisme pour la mise à niveau des compétences du secteur, grâce à un modèle pédagogique repensé avec une offre d’outils digitaux «nouvelle génération» ;
• Renforcer le partenariat public-privé, permettant une gestion déléguée plus efficiente des établissements de formation professionnelle spécialisés. »
Mustapha Moufid
Formation continue en tourisme
Le parent pauvre
Le tourisme national a aussi un autre parent pauvre : la Formation Professionnelle Continue (FPC) ou Formation en Cours d’Emploi. Mustapha Moufid trouve déplorable que ces deux dispositifs de formation soient négligés alors qu’ils sont « indispensables à la compétitivité du secteur ». Ce désintérêt se manifeste à ses yeux dans une série de défaillances :
• Absence d’une stratégie nationale d’offre de formation continue ;
• Absence d’une concertation nationale Public-Privé ;
• Absence d’un cadre réglementaire/organisationnel de référence et de structures de coordination/gestion de la formation continue au sein des établissements de formation initiale ;
• Faiblesse des mesures/instruments/dispositifs nécessaires pour le développement et l’amélioration qualitative et quantitative de la formation continue ;
• Un dispositif embryonnaire, éclaté…;
• Insuffisance des ressources matérielles, logistiques et humaines mobilisées pour encadrer les activités de formation continue ;
• Faible utilisation des fonds mobilisés par les GIAC et lourdeur des procédures ;
• Faible intervention des professionnels dans les actions de formation;
• Les pratiques de perfectionnement sont majoritairement liées à une impulsion interne à l’entreprise et relèvent rarement de programmes sectoriels ;
• Certaines offres de formations relèvent d’initiatives à caractère opportuniste;
• Absence d’une structure de formation des formateurs ;
• Absence d’une dynamique intergénérationnelle (remobilisation des compétences, talents et expertises après départ à la retraite) ;
• Absence d’une démarche de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience)…
Last but not least, la formation continue, selon Mustapha Moufid, n’est pas assez présente au cœur des priorités des entreprises. Et de conclure : « tous les observateurs sont unanimes : le secteur a du retard en la matière et notamment les TPME » qui représentent une bonne partie des opérateurs touristiques.