Le Maroc touché au cœur

Les sinistrés en proie au désarroi à l’image de ce rescapé d’El Haouz.

Vendredi 8 septembre. L’heure indique 23 heures 11 minutes. Cette date restera comme un moment tragique dans l’histoire nationale. Un séisme meurtrier d’une forte magnitude sur l’échelle de Richter frappe le pays. Chronique d’une tragédie nationale.

C’est le plus puissant séisme  que le royaume ait jamais connu en un siècle. Classé  7 sur l’échelle de Richter.  La terre a tremblé si fort que l’onde de choc a fait vaciller les maisons à Casablanca, Rabat et Kenitra, poussant une bonne partie des habitants, pris de panique, à quitter leurs maisons et pour certains d’entre eux de passer la nuit dehors de peur des répliques. Plus de peur que de mal aussi un peu plus au sud de Marrakech, dans les provinces de Ouarzazate et de Tata où  le séisme a provoqué  des fissures dans les maisons. Mais c’est dans l’épicentre de ce violent tremblement de terre, la commune d’Ighil,   dans la province d’El Haouz, et les zones alentour, que les dégâts sont immenses. Constatés  dès le lendemain de la secousse tellurique  au fur et à mesure que  tombent les images et les vidéos de la catastrophe. Une véritable tragédie aux conséquences incalculables dont il va falloir du temps pour en mesurer le coût sur tous les plans: humain, écologique, patrimonial, social et économique.

Le pays est saisi d’un très vif émoi. Les Marocains sont sous le choc. Bouleversés. Ils étaient loin d’imaginer  que le  séisme allait provoquer autant de ravages.  D’une ampleur sans précédent, le drame  s’est abattu sur plusieurs provinces et préfectures du Haut-Atlas occidental, un vaste territoire rural au sud-ouest du Maroc, non loin de Marrakech, clairsemé d’une multitude de douars et de villages à flanc de montagne, souvent inaccessibles. Ici, nous sommes au cœur du pays berbère dont les habitants connus pour  être dignes, braves  et hospitaliers  vivent essentiellement du tourisme de manière directe ou indirecte.  

Mais c’est  El Haouz et ses populations  ainsi que les habitants du col de Tiznit à Taroudant qui ont été les plus durement touchés. Des villages entiers se sont effondrés comme un château de cartes  alors que certains douars ont été rayés de la carte. Dans l’horreur,  beaucoup de familles sont décimées. Les morts se comptent par milliers. Les blessés et les orphelins  aussi.  Le bilan grimpe d’heure en heure. Le premier décompte, fourni par le ministre de l’Intérieur  samedi  9 septembre à 10 heures, fait état de 820 morts et 672 blessés. Ces chiffres seront revus à la hausse au fil des heures  au fur et à mesure que de nouveaux corps sont découverts par les secouristes. Le dernier bilan arrêté en début de soirée du mercredi 13 septembre par le ministère de l’Intérieur fait  état de 2946 morts 5674 blessés. Frappant les esprits,  suscitant la compassion, les décors  qui ont émergé sous cette terrible épreuve sont ceux du malheur et de la désolation. On a les larmes qui montent aux yeux devant un tel spectacle de ruines et de détresse. Pas un survivant qui n’ait perdu un ou plusieurs membres de sa famille dans le drame.  Dans cette partie du Maroc profond, qui va de Marrakech jusqu’ aux portes du grand sud, l’habitat est en grande majorité construit en terre, le fameux pisé mélangé avec de la paille. Ni béton, ni fondations. Juste de l’argile. Nombre de constructions datent de plusieurs siècles. Si ce procédé  de construction ancestral est réputé plus écologique  et moins gourmand en matériaux, il est malheureusement très peu résistant face aux secousses telluriques de grande intensité comme celles qui viennent de frapper la région. Les établissements touristiques érigés selon les normes modernes sur la route d’Amizmiz  par exemple s’en sont tirés avec quelques fissures alors que les douars situés dans les environs ont été emportés par la violence de la secousse.

C’est cet habitat traditionnel qui explique le nombre très élevé de morts aggravé sans doute aussi par le fait que les habitants dormaient pendant la survenue du séisme. Surpris dans leur sommeil, ils n’ont pas eu le temps de se protéger, ensevelis pour la plupart sous les décombres. Les rescapés témoignent dans des vidéos très émouvantes de ces quelque 15  secondes les plus effroyables qui ont fait basculer leur vie dans l’horreur absolue, tandis que l’ampleur des destructions, qui rappelle les bombardements de guerre, disent la puissance du tremblement de terre. De mémoire de Marocains, on n’a jamais vu un tel niveau de désastre provoqué par une catastrophe naturelle. Ceux qui sont nés  après 1960 et 2004, qui marquent respectivement les dates du tremblement de terre d’Agadir et  celui d’El Hoceima, seront marqués  à jamais par les images du séisme du Haut-Atlas en raison de son caractère spectaculairement meurtrier. Certains survivants évoquent  la férocité de son grondement, un son si horrible qu’il raisonne encore dans leur tête, accompagné de fortes vibrations et de bruits de fissures du sol et d’effondrement des bicoques. Les effets psychologiques traumatiques de l’après-séisme  autant sur les enfants et les adultes ne sont pas négligeables. Passé le moment de la sidération, place à l’action avec l’organisation des secours. Sur instruction de S.M le Roi Mohammed VI, les forces armées royales se sont mobilisées au lendemain de la catastrophe en déployant dans les zones sinistrées toute la panoplie des dispositifs de secours et d’intervention comme les équipes de recherche et de sauvetage et  les hôpitaux médico-chirurgicaux de campagne.  Le souverain, qui se trouvait en France, écourta son séjour et  rentra en catastrophe à Rabat. Accompagné de SAR le prince héritier Moulay El Hassan,  il préside une réunion d’urgence de gestion de crise à laquelle ont assisté le Premier ministre, les ministres de l’Intérieur  et  de la Santé ainsi que des hauts gradés  militaires et sécuritaires. Un deuil national de trois jours a été décrété avec mise en berne des drapeaux sur tous les bâtiments publics.

Pendant ce temps, les offres d’aide émanent de nombreux pays touchés par l’ampleur de la catastrophe.  Dans un premier temps, les autorités du Royaume  acceptent le soutien de l’Espagne, de la Grande-Bretagne, des Émirats arabes-Unis et du Qatar. La France qui a proposé d’envoyer des secours s’offusque que le Rabat n’ait pas répondu de manière favorable à sa démarche humanitaire. Sur certaines chaînes d’info continue, on s’étonne avec une certaine mauvaise grâce  que le Maroc puisse décider en État souverain de l’assistance dont il a besoin en fonction des besoins du terrain. Sur le terrain, la solidarité nationale s’organise rapidement dans un élan formidable.  Chacun veut aider ses concitoyens sinistrés à faire face à ces événements atroces. Toute une nation qui, comme un seul homme, se montre solidaire de ses enfants meurtris dans leur âme et leur chair. Des centaines de tonnes de vivres, de couverts  et de médicaments sont acheminés vers les zones du drame.

Dans ce même esprit d’entraide, le gouvernement  crée un compte spécial, le 126,  destiné à recevoir les dons  des entités privées et publiques ainsi que des citoyens.  Déjà démunis en temps normal, les rescapés d’ El Haouz qui ont perdu le peu qu’ils possèdent dans la catastrophe ont besoin de tout. De moyens de subsistance mais aussi et surtout de cette denrée qui n’a pas de prix : le sang. Aux quatre coins du pays, de très nombreux citoyens prennent d’assaut les centres de transfusion sanguine pour  venir en aide aux milliers de blessés de la catastrophe. Les Lions de l’Atlas, qui se trouvaient à Agadir pour le match de la CAN contre le Liberia prévu initialement le samedi  9 octobre à Agadir, et qui sera reporté à cause du drame d’El Haouz, font eux aussi don de leur sang avant de s’envoler à Lens en France où ils ont affronté le Burkina Faso en match amical le mardi 12 septembre… Pour le festival Timitar, qui a démarré le jeudi 7 septembre, les organisateurs annoncent l’annulation du reste de son programme musical du samedi soir. Toutes les activités artistiques et festivités prévues pendant cette période dans certaines villes du pays ont été annulées.

L’heure n’est pas à la fête. Une atmosphère d’infinie tristesse plane sur le pays. Le moment est à la mobilisation pour sauver des vies en sortant les gens des décombres. Une course contre la montre s’est engagée dès le lundi 11 septembre pour retrouver des survivants. Mais la tâche des secouristes est complexe et peinent à accéder à bien des douars en montagne en raison de l’enclavement. Des orages prévus dans les  zones sinistrées risquent de compliquer davantage l’action des secours. Le froid commence déjà à s’installer dans ces espaces montagnards du Haut- Atlas. Les rescapés réclament surtout des couvertures et des tentes pour faire face  à la rudesse du temps qui s’annonce. Mais le plus grand défi pour les autorités reste sans conteste  le relogement et l’accompagnement sur différents plans (humain, social, économique, psychologique…) de  quelque 300.000 sinistrés dont 1000.000 enfants selon l’Unicef. Un chantier  titanesque et délicat  qui touche plus de 6.000 douars détruits dans les contreforts de l’Atlas. Le chef du gouvernement marocain, Aziz Akhannouch, a assuré lundi 11 septembre que « les citoyens qui ont perdu leur logement recevront des indemnités ». Selon lui, les solutions  qui sont actuellement à l’étude concernent prioritairement les sans-abri qui tont out perdu…

Le patrimoine historique sérieusement endommagé

En plus d’un bilan humain et matériel très lourd, le tremblement de terre du vendredi 8 septembre ayant frappé durement El Haouz et  Taroudant a ravagé dans ces deux régions et au-delà une bonne partie du patrimoine historique qui concourt au rayonnement culturel et touristique du Royaume. En cours de restauration pour lui rendre sa splendeur avant le séisme du vendredi 8 septembre , la mosquée de Tinmel n’est aujourd’hui plus qu’un tas de ruines.

Symbole de la dynastie des Almohades, classée au patrimoine mondial de l’Unesco,  cette mosquée est située  à une centaine de kilomètres de Marrakech dans la localité de Talat N’ Yacoub, épicentre du séisme.

« Cette mosquée a été construite selon un procédé Andalou Maghrébin qui allie le raffinement de la tradition architecturale et les techniques de construction locale », peut-on lire sur le site de l’Unesco.

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La mosquée de Tinmel après le séisme…

De nombreux autres monuments  ont été détruits dans cette catastrophe naturelle. La Koutoubia, mosquée emblématique de Marrakech, a subi d’importantes fissures après avoir vacillé sur ses bases pendant quelques secondes.  Toujours à Marrakech, les tombeaux Saadiens,  le Palais Bahia et le Palais Badii, sans compter certains musées et  la médina , ont subi des dégâts sérieux. Quelque 27 sites historiques ont subi des dégâts plus ou moins importants dans 10 provinces touchées  par le tremblement de terre. A Taroudant, surnommée la petite Marrakech,  première capitale de la dynastie saadienne,   des sites historiques de toute beauté notamment ses remparts, reconnus au patrimoine mondial de l’Unesco, incarnés par une muraille de 7,5 km construite totalement en terre cuite, ont subi des dommages considérables . L’onde de choc du séisme a affecté profondément le patrimoine culturel de Ouarzazate et Tinghir, notamment les kasbahs comme celles de Taourirt, Aït Ben Haddou, Tifoultoute.        

« Notre Organisation soutiendra les autorités marocaines pour inventorier les dégâts dans les domaines du patrimoine et de l’éducation, mettre les bâtiments en sécurité et préparer la reconstruction», a affirmé sur X (ex-Twitter) Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco, au lendemain de la catastrophe.

Vous avez dit assurance? !

Dans un communiqué diffusé le mercredi 13 septembre,  la Fédération marocaine de l’assurance (FMA) a annoncé que toute personne assurée en vertu du régime de couverture des événements catastrophiques, conformément à la loi n°110-14, peut bénéficier  « d’une indemnisation pour les dommages corporels et/ou matériels consécutifs à cet événement, pour autant qu’elle se situe dans l’une des zones qui seront définies comme sinistrées ».  Ce texte déclencherait l’hilarité générale si le contexte n’était pas tragique. Et pour cause…

La grande majorité sinon la totalité des victimes du tremblement  de terre ne sont pas  assurées en cas de destruction de leur maison, véhicule ou bien professionnel. Ayant déjà du mal à se nourrir correctement en raison de l’ extrême pauvreté qui les frappe, les habitants de ces localités ne sont assurés contre rien. Désargentés  et  à découvert !

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