Les méthodes peu soft de Softgroup

Zhor Kabbaj a-t-elle dépassé les limites ?

La patronne de Softgroup est au cœur d’un conflit troublant avec les locataires d’une résidence Art déco à Casablanca qu’elle a fait expulser en piétinant la loi. Colère à tous les étages. Enquête.

Si vous voulez faire subir un jeu de massacre et sans autorisation à un bâtiment historique, faites appel à Zhor Kabbaj. La patronne de l’entreprise immobilière Softgroup déploie des méthodes qui n’ont rien de soft. Elles sont Hard. Illégales et brutales en plus. Le Canard a pu admirer les œuvres de notre dame de béton au cœur du quartier Anfa Supérieur à Casablanca. En face de la résidence du consul général des États-Unis, se dresse un immeuble style Art déco colonial  de quatre étages dont la façade est défigurée. Une fois à l’intérieur, on tombe tout de suite de l’armoire. Les appartements sans portes donnent à voir un spectacle de désolation. Murs éventrés, dalles plafond trouées, sols mis à nu jonchés de gravats, encadrements de fenêtres éparpillés… On dirait les stigmates de bombardements. Bienvenue à la résidence Floréal construite en 1938 dans le voisinage immédiat du mythique Hôtel d’Anfa, qui accueillit en 1943 Roosevelt, feu Mohammed V, Churchill et de Gaulle pour la conférence, détruit pour une histoire de spéculation foncière et immobilière. Voilà que l’un des derniers joyaux de l’immobilier colonial de la capitale économique, répertorié patrimoine historique au vu de son intérêt architectural, est victime de la voracité immobilière. Que Floréal ait une valeur qui le distingue et qu’il convient de protéger comme la prunelle de ses yeux, Zhor Kabbaj s’en fiche comme de son premier sac  Hermès.  Pas d’état d’âme  pour la directrice générale de Softgroup.  Peu importe  la valeur historique de l’édifice ou la dignité  des résidents qui se sont révoltés contre ses méthodes pour le moins brutales.

Expertise

Peu importe aussi  la sécurité des résidents  puisque les travaux de détérioration ont été lancés  alors que le bâtiment  était  encore habité. Seules comptent pour Mme Kabbaj les briques  et ce qu’elles sont susceptibles de générer comme profits en béton en revendant  ou en louant à prix d’or les appartements après rafistolage. Tout le reste n’est que poussière. Composée de deux immeubles A et B avec 8 appartements chacun d’une superficie de 125 mètres carrés,  Floréal a aujourd’hui les allures d’une résidence fantôme. Pas un chat. Face au climat d’insécurité provoqué par les opérations de démolition et aggravé par une série de nuisances et d’actes de harcèlement, la quasi-totalité  des résidents, dégoûtés et le cœur gros, ont fini par partir. Le pot de  terre  contre le pot de fer. « Pour la majorité, ce sont des personnes âgées, dont certaines sont des retraités français, qui ont fini par abandonner  malgré eux  leurs appartements où ils ont vécu tant de bonnes choses », explique Malika Sedki, notaire de son état, qui fait partie de quelques voisins qui résistent au rouleau compresseur de cette grande démolisseuse. Les vrais bâtisseurs ne font pas ça. La vie des locataires de la résidence Floréal, qui paient pour certains jusqu’à 15.000 DH de loyer mensuel, a viré au cauchemar lorsque Softgroup, via une SCI du nom de Cœur d’Anfa, rachète en 2018 ce magnifique bâtiment colonial jusque-là propre et bien entretenu.  »Les rapports avec les anciens proprio  étaient empreints de cordialité et de respect’, témoigne  une locataire. Mais tout bascule du jour au lendemain, ajoute-t-elle. En changeant de main, la tension s’installe petit à petit et l’immeuble commence à se dégrader faute d’entretien alors que les résidents paient leurs charges mensuelles d’un montant de 1.000 DH. Sous prétexte que ce dernier menace ruine en raison de la fragilité de ses fondations alors qu’il est en excellent état, la nouvelle propriétaire met en branle son plan de massacre. Sans respecter les règles d’usage dans ce domaine.

Ni palissade servant par mesure de sécurité à clôturer la zone de travaux, ni panneau de chantier devant comporter certaines données comme  la nature des travaux, le nom du maître d’ouvrage ou ceux de l’architecte et du bureau d’études… Plus grave encore, les travaux effectués  ne sont pas conformes à ceux de l’objet de l’autorisation.  En somme, il s’agit d’un chantier clandestin installé par une femme s’estimant au-dessus des lois et qui traine une réputation sulfureuse et quelques casseroles (voir encadré). Ces infractions, après avoir été  dûment constatées par une équipe technique mixte, ont été  consignées dans un PV  signé en date du 27 janvier dernier par  le caïd  de la 8ème annexe de Aïn Diab. Avec copies adressées au gouverneur des arrondissements d’Anfa, au président de la commune d’Anfa et au directeur de l’agence urbaine de Casablanca. Ce n’est qu’après la décision d’arrêt du chantier ordonné par les autorités que Zhor Kabbaj a fait installer un panneau de chantier  mentionnant la nature des travaux autorisés:  Modification. Mais dans les faits, ceux-ci ont été exécutés en violation de l’autorisation obtenue. Les dépassements à la pelle sont tellement graves que les autorités ordonnent l’arrêt du chantier. Il est tout de même surprenant qu’un tel bâtiment en instance d’inscription au patrimoine de Casablanca ait obtenu une autorisation de modification. Zhor Kabbaj, fort d’un sentiment d’impunité qu’elle croit compatible avec son statut de riche héritière, s’est tout permise pour arriver à ses fins. Expulser les résidents à moindre frais en produisant devant le tribunal de première instance de Casablanca une expertise sujette à caution tendant à prouver que les travaux effectués, réalisés dans le cadre d’une procédure de péril, sont justifiés par un risque d’effondrement de la résidence du fait de sa vétusté. C’est sur la base de ce rapport que  desquels figure l’ex-wali de Bank-Al-Maghrib Mohamed Sekkat ont été expulsés par la justice. Une manœuvre qui n’a pas fonctionné avec la battante Malika Sedki visée par une procédure d’expulsion initiée par la SCI de Zhor Kabbaj à son encontre. Notre locataire, qui n’est pas  née de la dernière goutte de peinture, a taillé en pièces les arguments de la partie adverse en présentant des contre-expertises démontrant que l’immeuble est en bon état et que la nature des  travaux autorisés  ne nécessitent pas l’expulsion des résidents.

C’est fort de ce jugement obtenu en première instance le 14 février dernier, qui a fait l’effet d’un coup de massue sur la tête de la plaignante, que Me Sedki  compte poursuivre le combat en affrontant celle qui a interjeté appel en sortant les gros moyens. En attendant le verdict prévu pour les semaines à venir, Zhor Kabbaj n’a pas hésité à  faire  démolir  la terrasse et ses box et à s’attaquer aux parties communes  en fermant l’accès aux ascenseurs  et au parking. Résultat : les derniers récalcitrants de Floréal ne peuvent plus monter chez eux ni descendre leurs voitures dans le garage de l’immeuble. Couverts d’une substance visqueuse ressemblant à un plâtre de moulage, les escaliers sont devenus impraticables. Tous les moyens sont bons pour faire partir les derniers rebelles. Partir bredouille ? Zhor Kabbaj, dont l’entreprise s’est diversifiée dans divers segments de l’immobilier locatif (industriel, bureaux, résidentiel, logistique et commerce), a offert une compensation financière jugée dérisoire aux locataires. Un vieil homme expulsé a dénoncé auprès du Canard la manière utilisée par la patronne de Softgroup pour dégager les habitants. « Aveuglée par sa puissance financière, elle nous a traités comme des moins que rien alors que nous sommes des gens sans histoires qui avons toujours payé nos loyers  en temps et en heure », explique-t-il, une pointe de colère et d’amertume dans la voix. Zhor Kabbaj, une femme qui va droit dans le mur ?

Tissu de petits scandales…

La vie de Softgroup est loin d’être un long fleuve tranquille. Présidé par Mohamed Kabbaj, le groupe dont la partie immobilière est gérée par sa fille Zhor, diplômée de HEC Lausanne, est présent dans une myriade d’activités. En plus de l’immobilier, le textile et l’industrie. L’usine de confection de ce holding familial a eu le privilège, en pleine crise sanitaire, d’obtenir, grâce à la générosité de Moulay Hafid Elalamy, alors ministre du Commerce, de l’Industrie et bien d’autres choses, le marché juteux des bavettes subventionnées à deux sous revendues très cher compte tenu de leur piètre qualité. Softgroup, version immobilière, est synonyme de quelques ratages retentissants comme l’arrêt en 2021 par les autorités, pour non-conformité, de son chantier de mall implanté sur la route d’Azemmour. Softgroup se retrouve aussi mêlé au fameux scandale Aramex provoqué par l’incendie qui a ravagé il y a quelques années des biens  de famille précieux appartenant à SAR le prince Moulay Rachid. Opéré par Aramex, spécialisé dans la logistique et le transport international, l’entrepôt qui a pris feu appartient à Softgroup. Softgroup c’est aussi le mécénat à travers une fondation pour les sans-abris. Seuls les esprits tordus ou les jaloux qualifieraient cette entreprise humanitaire d’activité de façade. N’est-ce pas Lalla  Zhor?

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