Président de la Fédération nationale des industries de transformation et de valorisation des produits de la Pêche au Maroc (FENIP), Hassan Sentissi est un infatigable défenseur de la filière du poisson transformé. Dans cet entretien, il aborde les insuffisances dont souffre le secteur et les défis auxquels il est confronté.
Le Canard Libéré : L’industrie de la transformation des produits de la mer occupe-t-elle la place qu’elle mérite dans l’économie nationale compte tenu de l’importance de son potentiel ?
Hassan Sentissi : Il est difficile de dire si l’industrie de la transformation des produits de la mer au Maroc occupe la place qu’elle mérite dans l’économie nationale, car cela dépend des critères utilisés pour évaluer son importance. Cependant, il est indéniable que l’industrie des produits de la mer au Maroc est un secteur important de l’économie nationale. Le Maroc est doté d’un littoral de 3 500 km, bordant l’océan Atlantique et la mer Méditerranée et représente le premier producteur de poissons en Afrique, ainsi que le premier producteur et exportateur mondial de sardines. Selon les classements de la FAO en 2022, le Maroc est également le 15ème producteur de poissons à l’échelle mondiale en termes de pêche et capture marines.
Quel est l’apport du poisson transformé à l’économie nationale ?
L’industrie de la pêche au Maroc contribue significativement à l’économie nationale avec un chiffre d’affaires à l’export de plus de 2 milliards de dollars et une contribution moyenne de 2,3% au Produit Intérieur Brut (PIB). Elle crée également des emplois, avec plus de 660 000 emplois directs et indirects. En outre, les produits de la mer représentent 50% des exportations alimentaires marocaines, avec une production annuelle de plus de 1,4 million de tonnes et des exportations dans plus de 140 pays. Il existe également une grande diversité de ressources halieutiques au Maroc, réparties en six grandes catégories : poissons pélagiques, poissons blancs, céphalopodes, crustacés, coquillages et algues marines. En somme, l’industrie de la transformation des produits de la mer au Maroc est un secteur important de l’économie nationale, avec un potentiel considérable, qui mérite d’être soutenu pour assurer son développement durable. Cependant, cette industrie n’a pas encore atteint son plein potentiel de croissance en raison des défis auxquels elle fait face.
Quels sont ces défis ?
Malgré les bonnes performances du secteur notamment à l’export, son potentiel de croissance n’est pas suffisamment exploité et nécessite l’instauration de mesures spécifiques d’accompagnement du secteur dans le cadre d’un partenariat public-privé. Il est important de soutenir le secteur de la transformation et de la valorisation des produits de la pêche en développant les capacités nécessaires pour améliorer la qualité et produire localement des produits à plus haute valeur ajoutée, notamment à base de poissons pélagiques. Ces derniers représentent plus de 86% des débarquements de la pêche côtière et artisanale. Il est également essentiel de mener des actions de communication pour promouvoir la consommation des produits transformés à base de poissons pélagiques, notamment à base de sardines. Pour y parvenir, il est crucial de doter le secteur d’un contrat-programme que nous jugeons vital pour le pays.
La FENIP a appelé régulièrement le ministère de tutelle pour mettre en place ce contrat-programme, mais sans succès, même après le changement de gouvernement. Or, il est nécessaire de fournir aux industriels du secteur des incitations et des soutiens, comme c’est le cas pour le secteur agricole.
Le secteur pourrait aisément doubler son chiffre d’affaires et améliorer sa contribution à l’économie nationale à l’horizon 2030 si des mesures incitatives nécessaires sont instaurées, à savoir la mise en place d’un contrat programme, d’une communication fluide et régulière avec l’administration, d’une gouvernance articulée autour de partenariats publics privés, et d’un financement adéquat et pérenne à travers la création d’un crédit maritime. En outre, nous réclamons une représentativité de nos activités au sein des Chambres de pêche maritimes, via la création d’un collège spécifique pour l’industrie de la pêche qui va avec la tutelle actuelle.
Considérez-vous que la valorisation de la richesse halieutique nationale reste le parent pauvre des politiques publiques et quels sont les freins à lever pour installer un cercle vertueux dans cette industrie à haute valeur ajoutée ?
Malgré de nombreux atouts, le secteur de la pêche au Maroc enregistre des performances moyennes du fait de la persistance de freins qui limitent son développement. Bien que la capture nationale ait augmenté de 15.2% au cours des cinq dernières années, représentant 2% de la capture mondiale, l’appareil de production reste peu productif.
La capture est insuffisante pour répondre à la demande des industries de transformation (pélagique et poisson blanc). Il serait judicieux de valoriser davantage la production marocaine en encourageant la fabrication locale de produits à haute valeur ajoutée.
Les faiblesses du secteur sont principalement liées à l’irrégularité de l’approvisionnement en matières premières et à la qualité des produits fournis aux industries de transformation. Il est donc essentiel d’optimiser et d’adapter les infrastructures de base sur toute la chaîne de valeur aux évolutions technologiques internationales.
De plus, le Maroc manque d’une stratégie commerciale agressive pour la promotion de ses produits sur les marchés extérieurs. Le label marocain souffre d’un manque de notoriété et la demande interne reste très faible. L’innovation et le développement de nouveaux produits demeurent également très limités.
Il est important de noter que le potentiel de croissance est considérable, notamment en raison de la forte demande en produits de la mer, de la position géographique du Maroc et des caractéristiques de sa ressource halieutique. Les enjeux de la croissance du secteur sont tout aussi cruciaux lorsque l’on considère le chiffre d’affaires et le nombre d’emplois rattachés à la filière.
La faiblesse de l’industrie de la valorisation est-elle due à un manque de projets faute d’attractivité de cette activité ou à une absence de mesures incitatives en direction des investisseurs potentiels ?
La FENIP appelle à doter le secteur de la capture et de la transformation des produits de la mer d’un accompagnement spécifique dans le cadre d’un partenariat public-privé. Cet accompagnement vise à maximiser le retour sur investissement et à assurer un développement harmonieux avec des retombées bénéfiques aussi bien pour le pays que les régions concernées par la transformation.
L’exploitation des ressources maritimes au Maroc doit passer par l’aménagement et la gestion durable des ressources halieutiques, couplée à une meilleure compétitivité des entreprises.
Pour cela, il est nécessaire d’établir un partenariat concerté entre la recherche scientifique, le département des pêches et le secteur privé. Chacune de ces parties a un rôle primordial à jouer pour créer un cadre propice et incitatif pour établir et renforcer des règles d’aménagement et d’exploitation durables des ressources halieutiques, basées sur des données scientifiques fiables.
Il est également important de promouvoir la compétitivité du secteur à travers l’innovation et l’investissement dans les ressources humaines et les technologies propres. En ce qui concerne l’aquaculture, la stratégie Halieutis accorde une importance majeure au développement de l’aquaculture marocaine et plusieurs réalisations sont actuellement en cours de mise en œuvre. Pour stimuler le développement de ce secteur, les professionnels appellent à une refonte du cadre juridique, foncier et réglementaire, à une meilleur accès des professionnels au financement, tout en tenant compte des spécificités du secteur avec la mise en place de fonds de garantie, à un renforcement du dispositif de formation au profit des acteurs du secteur, ainsi qu’à la préservation des zones aquacoles, au traitement des eaux usées avant rejet en mer et au renforcement de l’intégration du secteur piscicole en favorisant la fabrication de l’aliment localement. Le défi du secteur de la transformation halieutique et de ses partenaires publics et privés est donc de réduire les freins de croissance de la valeur ajoutée tout en favorisant l’orientation des activités vers la génération de valeurs accrues pour le secteur. Dans cette optique, la FENIP recommande les actions suivantes :
• Travailler avec toutes les parties prenantes pour favoriser la performance de l’entreprise de transformation des produits de la mer ;
• Appuyer les entreprises du secteur pour la fabrication de produits innovants adaptés aux besoins des citoyens ;
• Optimiser les infrastructures portuaires, les zones industrielles intégrées et un réseau de transport et des plateformes logistiques adaptées ;
• Favoriser la durabilité du milieu marin et appuyer les entreprises pour une production propre sobre en carbone ;
Selon vous, la star du pélagique qu’est la sardine est-elle suffisamment valorisée au Maroc ?
La sardine n’est clairement pas suffisamment valorisée au Maroc. En effet, la plupart des produits à base de sardine sont utilisés comme matières premières pour des industries plus innovantes à travers le monde, qui parviennent à créer des produits à haute valeur ajoutée.
Avec l’accroissement de la concurrence et la montée des pressions économiques, l’innovation est devenue un enjeu majeur pour les entreprises du secteur de la transformation des produits de la mer. Pour améliorer leur performance, assurer leur croissance et occuper une position de leader sur le marché, il est crucial pour ces entreprises de se différencier de la concurrence. La FENIP propose un certain nombre d’actions pour encourager l’innovation dans ce secteur, notamment, la mise en place de plans de recherche en partenariat avec les professionnels et l’INRH (Institut National de Recherche Halieutique) pour mieux comprendre les caractéristiques et le potentiel d’utilisation des ressources nationales, le développement de la coopération internationale en matière de recherche, qui est déjà en grande partie assuré par les travaux de l’INRH, l’accélération de la mise en place de pôles de compétitivité et la promotion et le développement de l’activité de dépôt de brevets, notamment par la promotion de l’OMPIC et le renforcement et la rénovation du dispositif de formation technique et supérieur.
• L’association des centres et laboratoires de recherche universitaires à l’effort de mieux valoriser les produits, de trouver de nouvelles combinaisons chimiques et organoleptiques, etc.
• L’encouragement de la création de clusters autour des principales spécialités marines, tels qu’un cluster des produits pélagiques à Laâyoune, qui permettrait une valorisation intégrée de toute l’activité, de l’amont à l’aval ;
• L’encouragement de l’investissement dans le domaine de l’emballage.