En dehors du dynamisme croissant du tout-bétonnage, la capitale économique a du mal à sortir des projets utiles pour les habitants. En cause, une gouvernance urbaine confuse et troublante qui suscite bien des interrogations.
La déception commence à gagner les milieux casablancais face à l’absence de signaux forts émanant de la nouvelle équipe aux commandes qui s’est glissée dans les pantoufles des islamistes. Le changement de majorité en septembre 2021 et l’arrivée d’une femme, Nabila Rmili du RNI, à la tête de la mairie centrale avaient pourtant soulevé bien des espoirs… qui risquent, en l’absence d’un changement de méthodes, de crever comme des bulles illusoires… Mais qui gère véritablement Casablanca ? La question se pose avec insistance car la métropole donne de plus en plus l’impression d’être administrée en sous-main par des lobbys puissants qui roulent pour leurs propres intérêts. Essentiellement celui de l’immobilier et de la construction. N’ayant pas les faveurs des élus qui ont d’autres préférences pas forcément citoyennes, les projets à caractère socio-éducatif sont inexistants. Ce sont les professionnels de la pierre que l’on voit (trop) à l’œuvre, multipliant les chantiers et coulant le béton. Partout. Y compris dans les dernières zones villas historiques de la capitale économique, transformées en secteurs immeubles. Après les quartiers de l’Hermitage, Palmier, Ferme Bretonne et les Princesses…, les bulldozers s’attaquent depuis quelque temps à ceux de Riviera et de l’Oasis où ont jailli à la place des villas plusieurs rangées de résidences R+3 et même des plateaux de bureaux. Ce passage de zones villas à zones immeubles interroge les motivations réelles des faiseurs de ces nouveaux schémas d’aménagement urbain dont l’utilité et la pertinence échappent aux habitants les plus avisés. Comment applaudir ces restructurations, officiellement dictées par l’impératif de résorption de la crise de logement alors qu’elles sont souvent accompagnées d’incohérences en pagaille?
Nuisances
En plus de l’inconvénient de la densité de la population et son lot de trop plein de voitures, le grand point noir est l’absence aux alentours d’aires de stationnement automobile, levier majeur des politiques de mobilité et facteur essentiel du bon fonctionnement du commerce de proximité. Un commerce massacré par les rames du tram et les voies du busway en gestation qui ont avalé l’essentiel des grandes artères de la ville… Pourquoi les principaux acteurs de l’urbanisme, commune et agence urbaine, ne prévoient-ils jamais des parkings modernes, multi-étages par exemple qui existent sous d’autres cieux, dans les nouvelles zones d’habitation autorisées ? Qu’est-ce qui qui explique cette exclusivité accordée au tout-résidentiel? La construction de logements génère un grand profit immédiat tandis qu’un parking est un investissement qui rapporte sur le long terme. Mais le rôle d’une autorité urbaine digne de ce nom ne se limite pas seulement à l’octroi des permis de construire pour permettre à ses bénéficiaires déclarés et occultes de réaliser des plus-values faramineuses sur le bétonnage. Ce rôle doit englober aussi et surtout le souci de l’aménagement de l’espace public pour en faire des centres de vie, de connexions cohérentes au bénéfice des habitants.
A Casablanca, force est de constater que l’espace public se plie depuis longtemps à la volonté des lobbys du béton qui le façonne comme ils veulent et non pas aux besoins de la population livrée, elle, aux nuisances sonores, aux bouchons monstres à longueur de journée, au racket des gardiens de voitures et autres phénomènes comme la mendicité à outrance et le vagabondage. Certes, le tout-bétonnage de Casablanca ne date pas d’hier. Mais l’emprise du bétonnage s’est accentuée à vue d’œil depuis que la métropole est gérée par la maire Nabila Rmili avec le soutien informel du mari Kamil Taoufik (Deux pour le prix d’un, ironisent certains). C’est que ce dernier est un promoteur immobilier qui porte aussi la casquette de président de la Fédération nationale de la promotion immobilière (FNPI).
Sous la pression des dirigeants du RNI qui lui ont vivement déconseillé de démissionner du Conseil de la ville pour éviter toute allégation de conflit d’intérêt susceptible d’être exploitée par les adversaires politiques du parti, Kamil Taoufik démissionne de son poste de 3ème vice-président le 30 septembre 2021, soit quelques jours après la constitution du bureau. Sans que la maire ne fasse le nécessaire afin qu’il soit remplacé malgré les multiples relances des autorités locales pour mettre fin à cette irrégularité. Mais ceux qui connaissent les dessous des plats ne sont pas dupes. Ils savent que le geste du député et président de la commune de Sebata n’est qu’un leurre puisque la délégation de signature de la commission d’urbanisme et des grands travaux a été gardée par sa femme Nabila Rmili. Au sein du Conseil de la ville et dans le club fermé de la promotion immobilière, on sait parfaitement qui décide, tire les ficelles et qui contacter pour obtenir une autorisation, obtenir une dérogation… Le fait que la maire ait conservé la plus convoitée des délégations de signature (électronique et non plus manuscrite) ne clarifie en rien les choses et ajoute même à la confusion. A partir de là, on peut imaginer toutes les dérives possibles et imaginables. A tendre un peu l’oreille, on surprend des chuchotements sur la puissance du lobby immobilier qui a réussi à placer l’un des siens au cœur de la décision urbaine et urbanistique et sur ses nouveaux seigneurs de l’immobilier sortis de nulle part qui ont le vent en poupe et que l’on évoque par leur prénoms et dont les demandes sont irrésistibles… En somme, Casablanca se renouvelle et se redynamise dans l’émergence de nouveaux prête-noms, dans l’entretien de sa réputation de métropole où continuent à se construire des fortunes colossales sur le terreau d’un processus urbanistique chaotique qui part dans tous les sens.
Racket
Ce qui se raconte en coulisses donne à voir l’autre face cachée de Casablanca tout révélant en creux les fragilités politiques et gestionnaires de Nabila Rmili qui s’est curieusement cadenassée dans un rôle moins ambitieux. Alors qu’elle est attendue sur les grands chantiers qui vont changer la vie des Casablancais en mieux (réhabilitation du centre-ville, plus de verdure et d’espaces verts, qualité de l’architecture, harmonisation du paysage urbain, amélioration de la mobilité, aménagements de zones piétonnes, aires de jeux pour les familles, lieux de culture et de loisirs …), cette médecin de formation a fait des sorties sur des sujets relevant de l’intendance comme la gestion des déchets de la fête du sacrifice de l’année dernière, fait adopter lors de la session d’octobre 2022 du Conseil de la ville un décret interdisant la circulation des charrettes à traction animale.
Mais aucune action contre cette armée de gardiens de voitures en perpétuelle croissance qui a occupé l’espace public dans ses moindres recoins, se livrant jour et nuit au racket des automobilistes pour le compte de l’on ne sait quel lobby du cache-cash… Et quand il s’est agi de s’exprimer au micro d’un site électronique sur le drame poignant des migrants subsahariens a la faveur de leur évacuation de la gare routière de Oulad Ziane le 17 janvier dernier, elle a franchement montré ses limites. Mal à l’aise, à la peine pour exprimer clairement sa pensée, elle a été incapable de formuler une phrase correcte et cohérente, passant du coq à l’âne. Troublant ! Cette sortie malheureuse lui a valu une bordée de commentaires sarcastiques des internautes qui ont remis en cause sa compétence. «Cela se voit que Nabila Rmili qui n’a jamais géré une commune auparavant ne connaît pas les arcanes de la chose locale. Elle manque d’expérience et d’expertise», explique un ancien conseiller. «De deux choses l’une, soit Nabila Rmili a une méconnaissance de ses prérogatives de présidente du Conseil de la ville, soit le tailleur de maire est trop grande pour elle», cingle pour sa part un élu de la majorité. Une majorité censée pourtant être forte et cohérente à l’échelle locale du fait qu’elle est formée des trois partis constituant le gouvernement. Nabila Rmili va-t-elle se ressaisir et démentir les critiques à son endroit ?
Conseil de la ville : Un ordre du jour en béton
Le Canard a mis la patte sur la convocation adressée par la maire de Casablanca Nabila Rmili aux membres du Conseil de la ville pour assister à la session ordinaire du mois de février (séance du 7 février et séance du 22 février). Les points inscrits à l’ordre du jour des deux réunions pour étude et vote sont au nombre 68 dont 20 portent sur des affaires en relation avec la cession de terrains au profit de particuliers ! Qui a dit que la dévouée Nabila et ses proches collaborateurs ne sont pas au service des habitants ? Preuve que tout n’est pas foncièrement mauvais dans cet ordre du jour très parlant, un projet parking s’y est faufilé programmé dans un « triangle d’hôtels » et qui sera construit aux frais de la ville! Pauvres hôteliers ! Le reste des sujets programmés est dominé par des projets de convention signés entre le Conseil de la ville et différentes entités dont le WAC section football. Le président Saïd Naciri, également patron du Conseil préfectoral de Casablanca sous la bannière du PAM, fait partie des gros pontes de la métropole qui façonnent dans l’ombre le paysage immobilier de la ville. Lallahom Nabila considère les désirs de l’irrésistible Naciri comme des ordres, au point d’interrompre une réunion pour le recevoir sur le champ. De peur d’écoper d’un carton rouge ?