Plusieurs livres ont été écrits sur Charles de Foucauld (1858-1916) dont le destin demeure lié à l’Afrique du Nord, comme on disait alors, et à la conquête coloniale, comme on le dira plus tard. Une fois n’est pas coutume, c’est par le roman, et non l’essai, que l’icône catholique du désert saharien est cette fois saisie. Kebir-Mustapha Ammi a choisi un court épisode de la vie de ce fervent ermite et grand érudit : le voyage au Maroc, que l’ancien saint-cyrien entreprit, en 1883, déguisé en rabbin et guidé par un juif marocain, Mardochée Aby Serour.
C’est ce dernier qui parle. Il donne à ce récit picaresque et cruel une profondeur inattendue et à Charles de Foucauld les traits d’un Don Quichotte sadique et puritain. Son récit est une confession : n’a-t-il pas trahi, lui, le juif, en ouvrant la porte du royaume chérifien à un espion français, dont les connaissances seront si précieuses, ensuite, à la conquête ? « Mardochée » est un roman historique saisissant de l’écrivain vient de connaître une nouvelle édition chez La Croisée des chemins. En juin 1883, Charles de Foucauld, futur saint de l’Église, se rend au Maroc déguisé en rabbin, sous le nom de Joseph Aleman, pour se livrer pendant un an à une minutieuse exploration de ce pays.
Cette exploration servira avantageusement la France pour entreprendre la conquête du Maroc. À la veille de sa mort, Mardochée, celui qui fut le guide du père de Foucauld, se livre à une troublante confession. Un conte du futur pour nous éclairer sur les anomalies du présent. Kebir-Mustapha Ammi est romancier, essayiste et dramaturge, il est notamment l’auteur de Ciel sans détours, Vertus immorales, Partage du monde et de Feuille de vert aux éditions Gallimard. Ce livre de 258 pages (format moyen), préfacé par l’écrivaine Alice-Catherine Carls « doit se lire comme une épopée de la naissance du Maroc moderne dont l’intrigue à valeur de mythe fondateur », lit-on dans la préface.
En tête de cet ouvrage, Catherine Carls donne une biographie de « Mardochée Aby Serour » (1826-1856), un rabbin qui naquit à Akka dans une famille de bijoutiers, grandit à Marrakech, étudia à Jérusalem, vécut en Europe (Constantinople, Salonique, la Provence), puis se fixa à Alger où il devint citoyen français. Selon l’écrivaine, les documents sur la vie de Mardochée sont minces et certains sont éparpillés aux quatre coins de la Méditerranée, dans les lieux où il vécut, et certains sont conservés dans les sociétés de géographie de Mogador, d’Alger et de Paris aux travaux desquelles il participa.
Kebir Ammi a choisi d’abord de rester fidèle à la vérité humaine des personnages (Mardochée et Charles de Foucauld). Puis il a donné la parole à Mardochée qui n’avait jamais pu parler de ce voyage et apportait une perspective maghrébine. Enfin, il a conservé plusieurs éléments véridiques essentiels en suspense: les désaccords entre les deux hommes, les dangers qu’ils coururent, les rivalités coloniales et les buts de la mission du vicomte (de Foucauld), ajoute-t-on.
« Je me suis décidé, après de longues hésitations, à écrire ce livre. J’ai accepté de franchir le pas, même si de toutes parts une clameur soutenait que je ne devais en aucun cas me livrer à cette confession impudique, que j’étais un imposteur et que mes explications ne servaient à rien qu’a salir un peu plus notre nom. Je devais une explication franche et directe à ceux qui viendront après moi », peut-on lire dans un extrait du roman. Né à Taza, Kebir Ammi vit à Paris depuis plus de trente ans. Romancier, essayiste et dramaturge, il est notamment l’auteur du « Ciel sans détours», des « vertus immorales », du « Partage du monde» et de « Feuille de vert», aux Éditions Gallimard.