Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘JnaynarLotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Le gisement des Ouled Abdoun à Boujniba,dans les environs de la future ville de Khouribga, est le premier à être exploité. Du côté de Mnina, les 3 garçons du seigneur Benji et leur cousine Claire guettent impatiemment le colporteur juif sur sa mule. Nombreux sont les juifs qui se livraient au colportage, à la friperie, à la brocante et au ferraillage. C’est le grand jour pour Claire, elle va se faire offrir ses premières boucles d’oreilles. Outre les bijoux, les colporteurs juifs proposaient un large éventail de produits dans lesquels parfois ils se spécialisaient : des livres, des bulletins, des journaux, du tissu et du linge,de la toile et des rubans, de la mercerie, des images de la Mecque ou d’Antarfils de Chadad, un poète amoureux d’Abla qui tuait ses rivaux qui se moquaient de sa peau noire. Antar a été assassiné en 615 par une flèche empoisonnée décochée par un de ses anciens rivaux dont il avait crevé les yeux, mais qui s’était entraîné pendant des années à tirer à l’arc malgré sa cécité en guidant son tir d’après le bruit de sa cible.
Les circuits de colportage étaient toujours prédéterminés, obéissant à un ordre bien défini et revenant à des périodes fixes de l’année suivant un calendrier connu des acheteurs potentiels.Dès la clôture du Shabbat, le colporteur reprenait son habit de tous les jours et se mettait en route sur son mulet. Il lui fallait parfois parcourir huit ou dix lieues dans la nuit, pour se trouver tôt le matin à un marché ou à une foire, pour y vendre sa marchandise, tatouer les dames, percer les lobes d’oreilles des jouvencelles… Tous les témoignages sur la condition du Juif colporteur mettent l’accent sur la dichotomie qui rythmait son existence : sa lutte pour le pain quotidien, loin des siens une semaine durant, et le temps de Shabbat, le jour 7 de la semaine (sept en français, sabte en arabe, shabbat en hébreux). Le jour 7 de la plénitude recouvrée au sein de la famille et de la communauté, car Dieu a créé le Monde en 6 jours puis s’est reposé le 7ième. Le fils de Rabbi Sem7oune – sans doute un lointain cousin du comique Eli Sem7oun -était marchand de toile. Son commerce le retenait la semaine entière dans les villages semés entre Boujad et les Ouled Abdoun. Il partait le dimanche, le jour 1 (a7ad en arabe) et restait sur les routes jusqu’au sixième jour de la semaine, colportant ses lourds paquets de toile de hameau en hameau, de ferme en ferme, et vivant plus que sobrement. Il se nourrissait de pain, d’œufs, de pommes de terre cuites sous la cendre. Mais, lorsqu’ après une longue semaine de marche et de fatigue il retournait à Boujad, son cœur battait joyeusement quand il revoyait la première maison de la ville spirituelle ; non seulement parce qu’il rapportait le petit pécule de la semaine, mais parce qu’il allait redevenir homme, en passant le Shabbat parmi les siens. (A suivre)