Khouribga, une ville française… (58)

Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Le gisement des Ouled Abdoun à Boujniba,dans les environs de la future ville de Khouribga, est le premier à être exploité. Du côté de Mnina, les 3 garçons du seigneur Benji, le Ztawri, le Buveur et le Bon ainsi que leur cousine Claire guettent impatiemment le colporteur juif sur sa mule. Surtout le Buveur. Enfant, il a abusé pendant ses tendres années du thé à l’absinthe l’hiver et du thé à la menthe aux beaux jours. Les Marocains étant mono théistes, le thé Allah menthe est leur unique apéritif et digestif abondamment consommé.

‘‘Un Athaye avec nana, choukrane Sidi’’, c’est ainsi que les touristes qui se la jouent ‘‘bledard intégré’’,commandent un thé à la menthe, mais hélas pour eux, ils n’arrivent pas à prononcer le son guttural du 3ayne de na3na3, ce qui peut être compris par certains garçons de café comme du proxénétisme : un thé avec une fille. Aujourd’hui adolescent, Buveur Ben Benji est devenu accro à la ma7ia. Ce vocable marocain est une contraction de deux mots arabes « maa7ya  » eau-de-vie, en français).

Originaire du Maroc, la ma7ia est historiquement produite par les Juifs marocains depuis la nuit des temps, par distillation des figues, la plupart du temps et des dattes, à moindre échelle.Les musulmans ne pouvant consommer les boissons alcoolisées, les deux fils aînés de Benji devaient le faire en cachette. Se posait alors le problème du financement de la ma7ia et de sa livraison par le Deliveroo en cachette de tous. Il était interdit de la fabriquer et de la vendre au Maroc. C’était plus facile de se la procurer au mellah, le quartier juif. A Boujad, du côté de la synagogue,un Juif faisait rentrer furtivement les clients chez lui en regardant à droite et à gauche pour s’assurer que personne n’observait (comme de nos jours les «choufs » arabes, vendeurs de 7achich dans les banlieues françaises.

A l’intérieur, il avait son « inbi9 » (alambic, en français). Les clients musulmans repartaient avec une ou deux bouteilles cachées sous le burnous. De nos jours, la ma7ia marocaine est prisée par les bobos (bourgeois bohêmes)yankees dans les bars huppés de la grosse pomme et de LA. David Nahmias, un distillateur marocain originaire de Ouarzazate, descendant de la famille Nahmias qui produit la ma7ia depuis des générations, commercialise ce spiritueux traditionnel à base de figues grâce à leur Start-up Baron Nahmias Inc. basée du côté de New York. Ne vivant pas à proximité d’une ville avec mellah, Buveur Ben Benji devait s’arranger avec le Deliveroo pour se faire livrer discrètement sa ma7ia sur son mulet à Mnina. Il le payait en blé qu’il prélevait discrètement de la matmoura (silo souterrain). L’unité de mesure à l’époque était la « 3abra » (mesure, en français) ; la 3abra contenait environ 20 litres, permettant d’ensemencer environ un dixième d’hectare. Outre lama7ia, le Buveur passait aussi des commandes de fruits à coque (amandes, noix)pour épater/appâter sa dulcinée. C’est à cause de ces fruits secs que Benji, le seigneur de Mnina, découvrira ses stratagèmes. Un jour, adossé à l’ombre d’un mur, à cause de la chaleur écrasante du mois d’août, Benji voit passer des souris transportant des amandes et des noix. Intrigué, il arrive à repérer la cachette, puis plus tard découvrira le stratagème de ses fils et comprendra enfin l’origine des erreurs d’inventaire et le décalage entre le stock informatique du blé enregistré à la fin des moissons et le stock réel à la fin de l’hiver. (A suivre)

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