Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates ‘‘Loufisse’’ voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Le gisement des Ouled Abdoun à Boujniba, dans les environs de la future ville de Khouribga, est le premier à être exploité. Les rapports de la revue coloniale de décembre 1926 sont alarmants pour la production phosphatière algérienne. Il est indéniable que l’extrême rapidité (1921-1924) de la montée en puissance de « Loufisse » fait très mal aux « Rajlines Ka7lines» (traduction littérale en Marocain de ‘Pieds Noirs’). Cette revue coloniale signale que les transports par chemin de fer algériens progressent péniblement d’une cinquantaine de milliers de tonnes par an. Les ventes se ressentent de l’incertitude des transports. La prudence des commerciaux algériens ne leur permet pas de s’engager, vis-à-vis des clients, sur d’improbables tonnages. En 1925, ils vendent légèrement moins qu’en 1924 ! Les conditions de transport ne s’améliorent pas malgré les efforts de la Compagnie des Chemins de Fer Algériens. Les vingt-cinq nouveaux wagons auto-déchargeurs de vingt tonnes, que la Compagnie vient de livrer, permettent de transporter à peine 800 000 tonnes par an. Les colons zéropéens terminent les installations destinées à peser sur le prix de revient, qui augmente du fait d’une main-d’œuvre insuffisante et progressivement plus coûteuse.
La traction électrique en mine se substitue progressivement aux anciens modes de roulage, lui procurant de sérieux avantages pour l’évacuation d’une production qui atteint péniblement une moyenne de 3 000 wagonnets par jour. L’emploi des explosifs à l’oxygène liquide au moyen de cartouches (brevets Weber) est généralisé en Algérie. La cartoucherie établie sur place emploie exclusivement de la main-d’œuvre féminine au grand avantage des familles des mineurs. Les nouvelles installations de broyage, triage, stockage s’achèvent hors délais suite à des incidents. Les colons espèrent que ces « considérables efforts industriels» qui représentent pour eux – sortez vos mouchoirs, vous allez pleurer – « tant de sacrifices» et « tant d’années de labeur persévérant », seront récompensés dans les prochains exercices. Raté, l’exercice 1925 va être médiocre. Jamais les prix de vente n’ont été aussi bas. La situation de certains gisements était devenue assez critique pour que l’administration n’hésitât pas, au cours de l’année, à intervenir auprès des producteurs pour leur conseiller des mesures collectives, destinées à donner au marché la stabilité qui paraissait lui échapper du fait de la pesée de plus en plus lourde qu’exerçait sur son présent et sur son avenir la production des gisements de Khouribga, doublement favorisés par la nature du plateau des Ouled Abdoun d’une part et par l’absence d’un capital à rémunérer d’autre part, grâce à Jnaynar Lotti qui dès le départ ne voulait pas de la rapacité du secteur privé.
Pour les colons zéropéens, les Rajlines Ka7lines, c’est un avertissement qui doit conduire les trois gouvernements français de l’Afrique du Nord (Maroc, Algérie, Tunisie) à être solidaires pour le maintien d’industries indispensables à la colonisation et au fonctionnement des voies ferrées de « l’empire algérien » et à envisager sérieusement la question de la production phosphatière. Il s’agissait en fait d’empêcher le Maroc de prendre sa part légitime du marché et de ne pas gêner la rapacité des Rajlines Ka7lines. Il fallait que le Maroc tienne compte des droits acquis par les colons en Algérie et en Tunisie, et s’harmonise, sans les précéder, avec les progrès annuels de la consommation du phosphate en Europe. (A suivre)