Khouribga, une ville française…(67)

Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates ‘‘Loufisse’’ voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Pour parachever l’œuvre de Lyautey en étendant la Supply Chain du Magasin à l’ensemble de l’Empire chérifien, Lucien Charles Xavier Saint, né le 26 avril 1867 à Évreux, est nommé résident général de France au Maroc le 2 janvier 1929. Après l’extraordinaire développement de la ville, la région de Khouribga se trouve bien changée. Les nomades se sont sédentarisés pour la plupart.  La ville se trouve au sommet du bombement qui a déterminé la disposition centrifuge du réseau hydrographique : elle se situe au croisement de plusieurs zones de partage des eaux qui vont s’écouler vers le Nord (Oued Zemrane), vers Benahmed à l’Ouest et vers le Sud de la ville. Les Français se rendent vite compte de l’inconvénient de ce site pour le développement de la ville : aucun écran ne protège Khouribga contre les vents. Par ailleurs, la présence des usines de séchage des phosphates risque de déverser des tonnes de poussières sur la ville. Il était une fois Nass El Ghiwane, nos Beatles marocains, un groupe musical né dans le quartier Mohammadi, l’un des lieux les plus riches en diversité intellectuelle et culturelle de Casablanca, qui « essayaient » de donner un concert dans le stade bondé de l’Olympique Club de Khouribga, dans les années 70… Un vent glacial soufflait très fort et gênait les artistes.

A un moment, agacé, un des membres du groupe, Omar Sayed, craque et s’adresse à la tribune d’honneur du stade : ‘‘machi bard hada ! Raha 7ogra !’’ (Ce n’est pas du vent ! c’est de l’injustice !). C’est pourquoi dès la conception de la ville, les Français vont accorder une place importante à la création d’espaces boisés, la fameuse forêt au nord de la ville « ghaba en arabe», aujourd’hui disparue au profit de bâtiments publics (Collège Moulay Rachid, un complexe sportif, 3 cliniques, un hôpital, des écoles d’ingénieurs, …). Benji, le seigneur de Mnina a été exproprié par les Français de ses terres pour boiser le Nord du village. Sauvé par son statut de goumier, la France lui donnera l’autorisation d’aller occuper d’autres terres plus loin, au sud du village, terres caillouteuses infestées de palmiers nains (doum) qui seront nettoyés, comme on les verra d’une prochaine chronique, par les prisonniers fascistes mussoliniens. Les trois premiers fils de Benji, le Ztawri, le Buveur d’Athaye et le Bon, devenus adultes, feront de grandes carrières par là-bas.

En plus de la ‘ghaba’, les Français feront aussi attention à l’orientation des rues pour atténuer la sécheresse de l’été. Jusqu’en 1935, des tournées de propagande sont entreprises pour recruter des zoufria. Khouribga est alors en concurrence pour recruter les zoufria avec les mines du bassin houiller de Jerada du côté de la frontière algérienne. Diverses pressions furent exercées sur les caïds du Sud pour activer le recrutement. Les cadres français partaient au Sud avec leurs meilleurs zoufria pour que ces derniers facilitent les contacts avec leur famille et leurs voisins berbères.

Si ces zmagria chleuhs quittaient leurs douars et ‘nwala’ (hutte en chaume) pour travailler dur et avec acharnement loin de leurs familles, à la grande satisfaction des cadres français de l’OCP, c’est qu’ils voulaient y retourner au plus vite pour acheter un lopin de terre, construire une maisonnette en dur et élever du bétail et non pas pour se sédentariser comme zmagria chez les 3roubia des Ouled Abdoun à Khouribga. L’expression « faire du phosphate », c’était pour le zmagri du sud un moyen pour mieux s’intégrer, en revenant plus tard chez lui, dans son mode de vie traditionnel. (A suivre)

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