Depuis que Roosvelt a inauguré cette pratique en 1933, au terme de cent jours de son investiture, pour annoncer des mesures anti-crise, elle est en passe de devenir une sorte d’obsession à laquelle peu de gouvernements pourraient y déroger. En effet, l’habitude est prise de faire bénéficier tout nouveau gouvernement d’un délai de grâce de 100 jours. Passé ce délai, le gouvernement en question est tenu moralement d’exposer son bilan, le porter à la connaissance de l’opinion publique et le soumettre à l’appréciation des parlementaires en vue d’engager un débat parlementaire. C’est dans ce sens que le Chef du Gouvernement Aziz Akhannouch a décidé de se plier à cet exercice en s’adressant ce mercredi à l’opinion publique, comme « invité spécial » via les deux chaînes de télévision publiques.
Pourquoi cent jours ? Aucune réponse convaincante à une telle question dans la mesure où elle n’a aucun fondement juridique ni constitutionnel. Il s’agit d’une simple pratique. D’ailleurs, le Président Obama, une fois élu, a demandé une période de 1 000 jours pour présenter son premier bilan ! Les 100 jours de Roosvelt s’expliquent essentiellement par le contexte créé par la grande crise de l’époque.
Une fois le principe admis, reste à savoir la méthodologie de présentation de ce premier bilan et de son évaluation. Bien sûr, toute appréciation doit porter sur les engagements du gouvernement tels qu’ils ont été annoncés dans son programme et programmés dans la loi des finances. Autrement dit, on juge le gouvernement sur ce qu’il a fait et ce qu’il compte faire dans un proche avenir et non sur ce qu’on voulait qu’il fasse. La différence entre les deux conceptions est de taille ! Il s’agit en quelque sorte de faire une évaluation interne et non une critique externe. Pour le dire d’une manière prosaïque, il s’agit de prendre le gouvernement au mot avec ses dix grands engagements. Par ailleurs, il faut éviter de tomber dans l’écueil des détails comme l’a fait le gouvernement précédent en présentant un bilan de ses premiers cent jours sous une forme caricaturale qui se prête au rire: « 120 jours, 120 mesures». Une telle méthode ne fait que noyer le poisson et esquiver les grandes questions du pays. Examinons de près les engagements du Gouvernement.
Au niveau de l’engagement 1 consistant à réaliser un taux de croissance moyen de 4%, le gouvernement prêche par la prudence et le manque d’ambition en ne retenant en fin de compte qu’un modeste taux de 3,2% pour l’année en cours. Ce qui risque d’hypothéquer l’objectif de création d’un million d’emplois au moins au terme de la législature. Engagement numéro deux du gouvernement. A cet effet, force est de constater que le gouvernement a donné le coup d’envoi pour la création de 250 000 emplois temporaires, et précaires pour dire les choses clairement : 80% de ces emplois, soit 200 000, ne durent que ce que durent les roses, à peine six mois; les 20% restants peuvent aller jusqu’à 24 mois. Il est prématuré, en effet, de porter un jugement sur ce programme baptisé « Awrach» et d’examiner son impact sur le marché du travail. Le quatrième engagement porte sur la généralisation de la couverture sociale. Ce chantier royal, qui a démarré au cours de la législature précédente, bénéfice d’un traitement et d’un suivi particuliers. Et on ne peut que s’en féliciter. Il convient de rester prudent et attentifs pour en assurer le succès et la durabilité.
Nouvelle approche
Concernant les 7 autres engagements, il est difficile de s’y prononcer à présent tant que rien de concret n’est apparu sur la scène et aucun signal fort n’a été donné. A l’exception de quelques maladresses et bévues dont on aurait pu bien se passer : mauvaise gestion de la crise du secteur touristique en relation avec la fermeture prolongée des frontières du pays, cacophonie dans la gestion du secteur de l’enseignement …
Il faut cependant inscrire à l’actif de ce gouvernement sa nouvelle approche de traiter la problématique de l’investissement, une approche pragmatique et réactive. Ainsi, la commission nationale d’investissement que préside le Chef du Gouvernement a tenu au cours de cette période pas moins de 4 réunions en approuvant 31 projets avec un investissement global de 22,5 MM DH générant 11 300 emplois directs et indirects. Dans l’ensemble, le gouvernement n’est pas parvenu à créer un climat de confiance dans le pays et n’a pas pu, nous semble-t-il, gagner l’adhésion du peuple marocain à son projet. Ne disposant pas d’instituts indépendants pour mesurer la popularité du Chef du Gouvernement et de ses différents Ministres, comme du reste des autres responsables politiques, le seul élément à notre disposition est l’indice de confiance des ménages élaboré par le HCP.
A ce niveau, force est de constater que la situation est loin de s’améliorer depuis la nomination de l’actuel exécutif. Ainsi, l’indice de confiance des ménages (ICM) s’est établi au quatrième trimestre 2021 à 61,2 points, enregistrant une dégradation par rapport au trimestre précédent où il a été de 65,5 points et une stagnation par rapport au même trimestre de l’année précédente. Et qui plus est, les ménages interrogés n’entrevoient aucune amélioration au cours de l’année actuelle.
C’est là où justement le Chef du Gouvernement est attendu ce mercredi. S’il veut convaincre les citoyens de ses choix et instaurer un climat apaisé, il doit s’exprimer dans un style direct et sans faux-fuyants et dire aux Marocains la vérité, toute la vérité, y compris sur des questions soulevées dans la presse nationale et par l’opposition parlementaire. L’erreur à ne pas commettre est de se retrancher dans un discours technocratique et glacial. Un discours sans couleur et sans saveur. Le Chef du Gouvernement est d’abord un responsable politique. Et c’est à ce titre qu’il est là où il se trouve. Bien sûr, il appartient aux journalistes qui vont l’interroger de jouer le jeu comme il se doit en étant des interprètes fidèles des préoccupations et des interrogations de la population. Y compris sur des sujets qui risquent de fâcher !!