L’inflation au Maroc Les pauvres sont plus affectés que les riches

L’inflation au Maroc, comme dans la plupart des pays, est calculée sur la base de l’évolution de l’indice des prix à la consommation (IPC). Le HCP publie mensuellement et annuellement les données recueillies dans un certain nombre de villes représentant les 12 régions du Royaume. Ces données, loin d’être parfaites, sont les seules disponibles pour appréhender l’évolution du coût de la vie. Très souvent, on remarque une différence entre l’IPC diffusé et celui ressenti de la population. Si cette différence pouvait s’expliquer pour des raisons subjectives, elle est due également à la méthodologie suivie pour la collecte de l’information.

Ce biais méthodologique est dû aux éléments suivants : en premier lieu, la population rurale entièrement exclue du champ de l’enquête, seule la population urbaine est prise en considération ; en deuxième lieu, au sein de cette population urbaine, les prix relevés ne concernent que 18 principales villes, à savoir : Agadir, Casablanca, Fès, Kénitra, Marrakech, Oujda, Rabat, Tétouan, Meknès, Tanger, Laâyoune, Dakhla, Guelmim, Settat, Safi, Béni–Mellal, Al Hoceima et Errachidia. Plus de 250 communes urbaines sont exclues ; en troisième lieu, le panier de l’indice ne reflète pas la réalité du panier de la ménagère. La note méthodologique du HCP précise que le panier contient 546 articles et 1391 variétés de produits, classés en 12 divisions et 43 groupes représentant la majorité des articles consommés par la population urbaine ; en quatrième et dernier lieu, les pondérations de l’année de base ont été calculées à partir des données provenant des résultats de l’enquête de consommation de 2014. Elles représentent la structure des dépenses de consommation des ménages urbains. Soit.

Mais on aurait aimé que le HCP nous présente différents indices relatifs aux dix classes de consommation allant du décile le plus pauvre au décile le plus riche en lieu et place d’un indice moyen qui englobe les riches et les pauvres. Et c’est à ce niveau que réside le fossé entre les chiffres publiés et la réalité sur le terrain. Bien sûr, on ne demandera pas au HCP, dans sa structure actuelle et les moyens dont il dispose, l’impossible. Il faut pour cela renforcer les  moyens mis à sa disposition pour pouvoir couvrir l’ensemble du territoire et produire une information plus proche de la réalité pouvant servir effectivement de base à l’élaboration des politiques publiques dédiées. En attendant, et faute de mieux, on continuera à travailler avec ce qu’on a. Ainsi, au terme de l’année 2022, l’indice des prix à la consommation a atteint le niveau de 110,8 contre 103,9 l’année précédente, marquant ainsi une hausse de 6,6%. Cette moyenne globale de 6,6% est ventilée en fonction des divisions des produits comme suit : Les «produits alimentaires et boissons non alcoolisées» ont  connu une hausse de 11,3% au cours de l’année 2022 par rapport à l’année 2021. Cette variation résulte, de la hausse des prix des «Huiles et graisses» avec 26,4%, des «Légumes» avec 15,7%, du «Pain et céréales» avec 14,4%, des «Viandes» avec 7,9%, du «Lait, fromage et œufs» avec 6,9%, des «Fruits» avec 5,6% et des «Poissons et fruits de mer» avec 4,6%.  

Variation des prix

Pour les produits non alimentaires, l’indice de la division «Transports» a enregistré une augmentation de 12,2%. Celle-ci résulte essentiellement de l’augmentation des indices des « carburants et lubrifiants pour véhicules de tourisme » avec 42,3%. L’indice de la division «Meubles, articles de ménage et entretien courant du foyer» a connu une hausse de 5,1%. L’indice de la division « Articles d’habillement et chaussures » a connu une hausse de 4,8% et celui de la division «Loisirs et culture»  a augmenté de 4,1%.

On le voit, les produits qui constituent l’essentiel du panier des classes démunies sont ceux dont les prix à la consommation ont enregistré les taux les plus élevés. D’ailleurs, la Banque Mondiale dans son dernier rapport sur l’économie marocaine n’a pas manqué de le souligner « En effet, les calculs présentés dans ce rapport montrent que l’inflation annuelle peut être 30% plus élevée pour le décile le plus pauvre que pour le décile le plus riche. En outre, les pressions inflationnistes pourraient être plus intenses dans le milieu rural, où les niveaux de pauvreté sont également plus élevés. Ces écarts d’inflation sont principalement dus à l’impact de la hausse des prix des produits alimentaires, qui représentent la part la plus importante du panier de consommation des ménages les plus pauvres ».  Ce qui explique, en grande partie, le mécontentement populaire contre cette augmentation vertigineuse des prix et qui a obligé, enfin, le gouvernement à sortir de son silence, mais sans aller jusqu’à mettre en œuvre une politique conséquente et réfléchie pour protéger le pourvoir d’achat des citoyens. On dénombre également une variation des prix entre les 18 villes retenues allant de 8,4% enregistré à Al-Hoceima à 5,3% enregistré à Dakhla et Agadir, soit une différence de 3,1 points ce qui n’est pas négligeable. Il serait utile d’entreprendre des enquêtes plus pointues sur le terrain pour comprendre ces différences de prix. Le gouvernement ne doit pas se contenter de ses sorties théâtrales et circonstancielles pour croire que le problème est résolu. La population attend de sa part des mesures concrètes et continues dans le temps et dans l’espace. Les solutions existent.

Il faut simplement avoir la volonté de dépasser les intérêts étroits (de classe) et mettre l’intérêt collectif au-dessus de toute considération. A titre d’indication, nous lui rappelons les propositions des différentes organisations politiques, syndicales et de la société civile, ou celles émanant des instances constitutionnelles du pays : le CESE, le Conseil de la Concurrence. Ainsi, tout récemment, le CESE, instance de concertation et de dialogue, rappelle l’urgence d’une réorganisation des circuits de commercialisation et d’une réglementation du rôle des intermédiaires pour atténuer la hausse des prix des produits alimentaires.

Auparavant, le Conseil de la Concurrence a proposé l’imposition des superprofits réalisés par les sociétés pétrolières. Par ailleurs, et cela relève de la confiance entre administration et administrés, le gouvernement doit être réactif avec les médias et l’opinion publique. Ainsi, on ne comprend pas son silence par rapport aux rumeurs sur l’existence d’un délit d’initié en matière d’importation des bovins du Brésil. Le même silence est observé face au sujet de l’importation du diesel russe à un prix très inférieur au prix mondial sans en faire bénéficier le consommateur local. Vraies ou fausses, de telles informations, eu égard à leur sensibilité, méritent une clarification. Qui ne dit pas mot consent !

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