Alors qu’elle représente un maillon essentiel de la chaîne sanitaire, la profession pâtit d’un certain nombre de problèmes qui rognent continuellement sa marge bénéficiaire. Dans l’indifférence des autorités de tutelle.
Depuis quelque temps, les pharmaciens donnent de la voix pour dénoncer la dégradation continue de leur situation financière. Une baisse de revenus qu’ils imputent à l’adoption en 2014 de la réglementation sur la fixation des prix des médicaments au Maroc qui s’est traduite régulièrement par une série de baisses des prix de vente au public d’un certain nombre de médicaments. La dernière baisse en date est intervenue début mars 2024, portant sur une liste de 13 médicaments. Dans le lot, Cardelius 600 mg, prescrit contre les carences en calcium et vitamine D3, dont le prix de la boite est passé de 120,30 DH à 105,30, l’antipaludique Malanil 250 mg/100 mg qui passe de 465 à 394 DH pour une boîte de 12 comprimés.
Quant au Neulastim 6MG, utilisé dans le traitement des cancers sanguins, son prix a subi une véritable dégringolade. Il affiche désormais 6742 DH au lieu de 9.460 DH. Si ces révisions à la baisse sont bénéfiques pour les patients et les organismes d’assurance maladie, elles contribuent à rogner la marge bénéficiaire de la profession surtout que le volume des ventes stagne. Ce qui impacte de manière significative le chiffre d’affaires des officines en les mettant en situation d’asphyxie financière. Sur près 12.000 pharmacies, quelque 4.000 vivotent et risquent de mettre la clé sous la porte, soit le tiers des pharmaciens en activité selon l’association des pharmaciens, Mpharma, réunie en congrès en novembre dernier à Casablanca. La situation est telle que les pharmaciens, unis dans leur combat légitime, ont crié leur ras-le-bol en se mettant en grève le jeudi 13 avril 2023.
Ce débrayage est intervenu après l’échec une semaine plus tôt d’une réunion, censée acter le début d’une sortie de crise pour les pharmaciens, entre le ministre de la Santé Khalid Aït Taleb et leurs représentants syndicaux.
Au cours de ces échanges, le ministre a reconnu les difficultés financières de la profession tout en affirmant que sa marge bénéficiaire, à l’inverse des conclusions du rapport de la Cour des comptes de 2021 qui avaient scandalisé les pharmaciens, est loin d’être élevée par rapport à d’autres pays. « La marge de près de 57% que la Cour des comptes nous a prêtée est une pure fiction et elle ne dépasse guère 8% après déduction de diverses charges, de l’aveu même du ministre », explique un vieux routier de la corporation.
Si Khalid Aït Taleb partage le même diagnostic avec ses interlocuteurs, il a évité de s’engager sur une réponse concrète et claire du cahier revendicatif, comprenant entre autres l’exonération des médicaments du paiement des droits de timbre, la suppression de la TVA pour certains médicaments, la lutte contre la vente informelle des médicaments et le droit de vente expulsive des dispositifs médicaux stériles dont les officines vendent déjà quelque 8000 produits. L’accord signé le 15 avril, au lendemain de la grève nationale, entre le deux parties est restée jusqu’ici lettre morte alors qu’il contient des points d’importance comme le droit de substitution, en vigueur dans de nombreux pays, qui autorise à un pharmacien à substituer un médicament générique à celui prescrit, à condition que le médicament en question soit dans le même groupe générique et que le médecin n’ait pas exclu cette possibilité par l’apposition d’une mention « non substituable » justifiée sur l’ordonnance. Cette disposition est pourtant essentielle dans un contexte de rupture fréquente des médicaments et peut être une solution à ce problème récurrent dû essentiellement à une perturbation des chaînes de production en Inde et Chine.
Partenaire essentiel
Basé essentiellement sur la vente des médicaments, le modèle économique de la profession, régi par des lois anciennes, a besoin d’une refonte en profondeur pour lui permettre de fournir de nouvelles prestations et diversifier ses sources de revenus. «Dans de nombreux pays, la profession pharmaceutique s’est diversifiée en proposant de nouveaux services tels que les vaccinations, les tests biologiques rapides et al coordination des soins pour les maladies chroniques», indique la Coordination nationale des pharmaciens d’officine du Maroc dans un communiqué datant du 18 mars 2024 expliquant «les raisons » de sa création.
« Depuis 2008, nos instances professionnelles sont en proie à une crise démocratique qui a entaché leur légitimité représentative. Les espoirs nés des élections de 2015 se sont rapidement dissipés en 2017 en raison de l’irresponsabilité et de l’inaction de certains dirigeants élus.
Ce contexte a engendré le chaos et les difficultés impactant négativement l’activité de certaines pharmacies », reconnaît la jeune instance qui estime que la profession des pharmaciens d’officine demeure le seul acteur de la santé « à ne pas bénéficier des avancées de la stratégie royale en faveur de la généralisation de la protection sociale » .
Et pourtant, le pharmacien est un maillon essentiel de la chaîne sanitaire, un partenaire prépondérant dans le dispositif des soins. « Mais l’importance de notre métier n’est pas palpable dans les faits », regrette un membre de la coordination qui en veut pour preuve la non-tenue par le ministre de la Santé de ses promesses consignées dans l’accord du 15 avril 2023 et qui visent, via une série de mesures d’accompagnement, à atténuer l’impact des baisses régulières des prix des médicaments sur l’activité du pharmacien.
Ce qui revient à vouloir faire avaler la pilule à un secteur qui refuse avec véhémence que les autorités de tutelle soignent leur image auprès de la population au détriment de la santé financière du pharmacien et de sa santé tout court.