Le salon Al Omrane Expo rassemble une grande diversité d’acteurs, des institutions publiques aux promoteurs privés, en passant par les investisseurs et les acheteurs potentiels.
Le 29 mai 2025 à Casablanca, la 8ᵉ édition d’Al Omrane Expo a permis de faire un bilan d’étape sur un dossier devenu prioritaire au Maroc: l’accès au logement. Sous la bannière « Daam Sakane : une initiative solidaire pour des logements accessibles à tous», le salon se veut le reflet d’une politique nationale lancée par Sa Majesté le Roi Mohammed VI le 17 octobre 2023, visant à répondre à une demande croissante.
Depuis son lancement, plus de 136.000 demandes ont été enregistrées dans le cadre de ce programme. Ce chiffre, aussi impressionnant soit-il, illustre avant tout une pression intense sur un secteur où l’offre peine encore à répondre aux besoins réels. Cette tension se traduit notamment par une hausse de 82 % de la consommation nationale de ciment, qui témoigne d’une dynamique sans précédent du secteur de la construction.
Le salon Al Omrane Expo rassemble une grande diversité d’acteurs, des institutions publiques aux promoteurs privés, en passant par les investisseurs et les acheteurs potentiels. Près de 50.000 bénéficiaires ont été identifiés à ce jour, avec une composition sociale significative : plus de 25% sont des Marocains Résidant à l’Étranger (MRE), près de la moitié sont des femmes, et un tiers des jeunes de moins de 35 ans. Ce tableau illustre la volonté affichée de favoriser la mixité sociale et d’assurer une répartition équitable des logements.
Toutefois, l’effort se concentre largement sur l’axe Casablanca-Rabat-Fès, un corridor urbain et économique majeur. Cette concentration soulève des interrogations quant à l’équilibre territorial, puisque les zones rurales, côtières et montagneuses restent relativement sous-dotées, posant un défi de cohésion nationale.
Concrètement, Al Omrane a mobilisé 76.000 parcelles, avec 26 000 logements livrés à ce jour, et vise la réalisation de 120 000 logements dans les années à venir. L’objectif s’inscrit dans une logique quantitative forte, mais aussi qualitative, notamment à travers le soutien aux petites et moyennes entreprises immobilières, qui représentent un maillon non négligeable dans la dynamique locale et la création d’emploi.
Le volet qualité et durabilité est présenté comme central dans les projets d’Al Omrane, sans pour autant que cela soit systématiquement accompagné de garanties claires pour le consommateur. Interrogé par Le Canard Libéré, le secrétaire général du ministère de l’Habitat a précisé que les prix des constructions — qu’elles soient en dessous de 300.000 dirhams ou dans la fourchette de 300.000 à 700.000 dirhams — ne déterminent pas la qualité. Selon lui, les logements sont réalisés conformément aux règles et aux normes en vigueur.
Le dispositif ANSEC (Accès National à un Logement Social Économique et Confortable), qui sous-tend une partie du programme, laisse une large place au marché libre. Cela signifie que la classe moyenne a un choix relatif entre des logements standards ou des logements moins énergivores, souvent plus onéreux. La concurrence est censée garantir un meilleur prix, mais les mécanismes de régulation et de contrôle restent peu transparents et parfois insuffisants.
Dans le même temps, un autre projet, élaboré en partenariat avec les promoteurs immobiliers, l’Agence Marocaine d’Efficacité Énergétique (AMEE) et l’association Green Building vise à renforcer l’intégration des normes environnementales. Ce dispositif prévoit des mesures d’appui multiples, incluant des facilités de financement avec des taux d’intérêt préférentiels et des incitations fiscales, mobilisant à la fois le ministère de l’Aménagement du Territoire, celui de l’Environnement et le secteur bancaire.
Ces mesures témoignent d’une volonté politique d’orienter la production immobilière vers des standards de basse consommation énergétique. Néanmoins, l’impact réel de ces incitations dépendra de leur application rigoureuse et de la capacité des acteurs à les généraliser sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, la digitalisation du programme, notamment via la réduction des frais notariaux et la suppression de l’intervention humaine dans certaines étapes administratives, est présentée comme un facteur clé côté diligence et transparence. Ce système doit théoriquement limiter les risques de corruption et accélérer le déblocage des fonds.
Cependant, la complexité administrative et les difficultés persistantes d’accès au financement pour les ménages modestes restent des freins importants. La coordination entre les différentes parties prenantes, tant publiques que privées, apparaît encore perfectible, ce qui peut ralentir la cadence des réalisations et affecter la qualité globale du service rendu.
Au terme de cette 8ᵉ édition, les chiffres témoignent d’un déploiement progressif du programme. Sur les 120.000 logements prévus à moyen terme, environ 26.000 ont été livrés, représentant un peu plus d’un cinquième de l’objectif fixé. Si la dynamique est engagée, le rythme de réalisation reflète la complexité d’un chantier d’une telle ampleur. Par ailleurs, la répartition géographique des opérations reste concentrée sur les grands pôles urbains, avec environ 15 % des projets situés dans les zones périphériques et rurales, qui, bien qu’abritant près de 40% de la population, continuent de faire face à des défis spécifiques en matière d’accès au logement.
Sur le plan environnemental, les projets labellisés basse consommation énergétique représentent moins de 10% du total des constructions, malgré les facilités de financement et les incitations fiscales mises en place. Cette proportion révèle l’écart entre les ambitions affichées et la réalité du terrain, où la généralisation des pratiques durables reste encore embryonnaire.
Enfin, les mécanismes administratifs et financiers, bien que digitalisés, souffrent de lenteurs et d’un accès limité aux crédits pour une large partie des ménages cibles. Pour sa part, le taux d’octroi de prêts immobiliers aux ménages modestes stagne autour de 22 %, freinant ainsi la capacité d’acquisition effective.
Ces chiffres traduisent une série de contraintes structurelles qui tempèrent les promesses. Le succès futur de ce programme dépendra d’une meilleure articulation entre planification, régulation et contrôle effectif, ainsi que d’une mobilisation accrue des ressources financières et techniques.