Les propos tenus récemment par le ministre des Habous et des Affaires islamiques sur la question sensible de la laïcité ont suscité un débat passionné. Le chef des islamistes, qui s’est invité dans la controverse, en a pris pour son grade.
Laila Lamrani
Les déclarations du ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, sur la laïcité ont suscité une grande controverse. «Les Marocains sont laïques. Chacun est libre dans ses choix, car il n’y a pas de contrainte en religion», a-t-il déclaré récemment sous la coupole tout en rappelant avoir tenu le même langage au ministre français de l’Intérieur Bruno Retailleau, en marge de la visite d’État du président Emmanuel Macron au Maroc fin octobre. Réaction immédiate du chef du PJD Abdelilah Benkirane qui n’est pas d’accord lors d’une réunion du parti à Taroudant. Profitant de cette occasion, l’ex-Premier ministre a affirmé que le « Maroc est un État islamique et non laïque ». Piqué au vif, Ahmed Taoufik prend sa plus belle plume et répond dans un arabe classique relevé au patron des islamistes légalisés. Verbatim.
« Vous auriez dû, après avoir entendu ce qui a été dit ou après avoir entendu des paroles « hâtives » prononcées au parlement, me contacter et me demander ce que j’avais dit et ce que je voulais dire. Puisque vous ne l’avez pas fait, vous avez préféré la calomnie. Vous êtes le président d’un parti politique moderne, et le parti politique moderne est inspiré d’un système occidental laïque, et vous avez été élu sur la base de l’égalité des voix des électeurs, indépendamment de leurs croyances et de leurs comportements, ce qui est inspiré d’un système occidental laïque. Lorsque vous étiez Premier ministre, vous avez travaillé sur des textes de lois qui servent l’intérêt rationnel et qui sont soumis au vote du parlement, ce qui est inspiré d’un système occidental laïque. Si vous aviez voulu consulter les cheikhs d’une secte, vous auriez perdu beaucoup de temps en raison de leurs divergences, et vous avez fait passer un certain nombre de lois basées sur des références consensuelles ou des décisions internationales, ce qui est inspiré d’un système occidental laïc .
Tout ce qui a été mentionné se déroule dans le contexte de ce royaume en sécurité et en harmonie parce que l’Émir des croyants protège les principes fondamentaux de la religion (…). Sans cela, nous vivrions dans une laïcité où la seule référence est la majorité, et vous étiez obligé de former une coalition gouvernementale, et il vos alliés n’étaient pas supposés partager la même conviction ou compréhension de la religion, et c’est un autre « bon » mélange enraciné dans la cuisine du « sécularisme ».
La réalité est que nous vivons dans des situations complexes où nous n’avons ni la culture ni la volonté sincère de nous distinguer pour les comprendre. Cela s’est produit depuis que nous avons été entraînés (…) dans un système fabriqué par d’autres comme ils ont fabriqué des armes de domination, et nous aurions pu les conquérir avec la morale. Le manque de distinction est un manque de maturité politique qui ne nous vient pas par la dissimulation et l’hypocrisie.
Ainsi, Monsieur le Président, j’ai convaincu mon interlocuteur que toutes les valeurs rationnelles liées à la jurisprudence, en liberté, sont celles qui doivent être appliquées dans notre contexte, celui de la liberté de religion qui est un principe fondamental en Islam. La bénédiction chez nous est que la Commanderie des croyants protège ces valeurs sociétales du point de vue de l’État et protège la religion en facilitant les pratiques religieuses comme une demande essentielle de la majorité des gens, ce qui est en accord avec l’essence de ces valeurs rationnelles jusqu’à l’extrême limite de la jurisprudence (…).
Le contexte marocain avec ses soubassements historiques et ses atouts actuels est prometteur pour la construction d’un modèle qui résout un certain nombre de problèmes intellectuels de la nation, qui est embourbée dans la confusion entre religion et politique. Mais il est question de l’unification de Dieu au lieu de laisser libre cours à l’égoïsme, qui est le polythéisme caché. Dieu, qui a dirigé et dirige les affaires des gens, nous a guidés pour ouvrir nos esprits à ce dénominateur humain commun dans les lois de la vertu et de la prévarication.»
Dans une réponse à la mise au point écrite du ministre des Habous et des Affaires islamiques, Abdelilah Benkirane a précisé que ses propos n’étaient pas destinés à Ahmed Taoufik mais à ceux qui ont cherché à instrumentaliser la question de la laïcité tout en s’excusant si ses propos l’ont offensé. La volonté de temporiser du patron des islamistes ne fait aucun doute, soucieux de ne pas se mettre à dos un responsable gouvernemental qui s’occupe de surcroît d’un champ très sensible dont le PJD fait son principal fonds de commerce politique. M. Benkirane sait qu’il sortira perdant et laissera des plumes dans toute polémique avec Ahmed Taoufik autour des affaires de religion et la question de la laïcité . Un terrain glissant…