Le ministre délégué chargé du budget et président de la Fédération royale marocaine de football (FRMF), Fouzi Lakjaa, est monté au créneau. Sa cible? La société russe 1xBet, l’opérateur de paris en ligne pointé du doigt pour ses activités illégales au Maroc. Explications.
Ahmed Zoubaïr
Depuis plusieurs années, l’opérateur ne lésine pas sur les moyens pour étendre son influence sur le marché marocain, alors que la législation du Royaume encadre strictement les paris sportifs.
Le secteur des paris sportifs au Maroc est soumis en effet à une réglementation stricte qui vise à garantir la transparence, le contrôle et la collecte des recettes fiscales. Les entreprises autorisées à exercer dans ce domaine doivent respecter une série d’obligations, notamment disposer d’un siège social, d’une domiciliation fiscale et de registres financiers officiels, souligne Fouzi Lakjaa. Ces conditions sont scrupuleusement respectées par les opérateurs nationaux, comme la Marocaine des Jeux et des Sports (MDJS), qui a pour mission de gérer les paris légaux dans le pays.
Quant à 1xBet, elle s’est affranchie de toutes ces obligations. Le ministre a précisé que l’opérateur russe, malgré ses offres attractives et ses partenariats avec des clubs comme le Raja de Casablanca, ne dispose d’aucun statut légal au Maroc, ce qui en fait un joueur hors-la-loi.
Lors de la séance de vote en deuxième lecture du projet de loi de Finances, M. Lakjaa a rappelé que les sociétés nationales contribuent annuellement avec environ 2,5 milliards de dirhams aux caisses de l’État, tandis que 1xBet ne paie aucun impôt. Ce manque à gagner a des conséquences directes sur les finances publiques et sur le développement du sport au Maroc.
Expansion de 1Xbet
L’expansion de 1xBet au Maroc ne se limite pas à des transactions financières. L’opérateur russe a aussi tenté de se faire une place sur la scène sportive marocaine en parrainant plusieurs clubs locaux. En plus du Raja de Casablanca, l’entreprise a été associée à l’Association sportive de Salé pour son équipe de basket-ball. Ces partenariats ont suscité des préoccupations légitimes, car ils installent une confusion entre les opérateurs légaux et illégaux dans le domaine du sport.
Fouzi Lekjaa a été clair sur ce point : bien que 1xBet ait proposé de nombreux contrats de parrainage à des clubs et même à la FRMF, la Fédération a catégoriquement refusé d’associer son nom au bookmaker russe, en raison du caractère irrégulier de ses opérations au Maroc.
L’infiltration de 1xBet dans le monde sportif marocain s’inscrit dans une stratégie globale de légitimation de 1xBet, qui multiplie les campagnes publicitaires, surtout via les réseaux sociaux. Ces actions visent à renforcer la visibilité de la marque auprès des parieurs marocains, notamment les plus jeunes, qui représentent une part importante de la clientèle cible.
Le ministre a insisté sur la nécessité de surveiller de près ces pratiques et de renforcer les lois et régulations existantes pour mettre fin à cette dérive.
Concurrence déloyale
Une étude réalisée par la MDJS révèle l’ampleur du phénomène des paris illégaux au Maroc. En 2021, environ 65 % des revenus générés par les paris sportifs tombaient dans l’escarcelle des opérateurs illégaux comme 1xBet, contre 35 % seulement des recettes pour les opérateurs en règle avec la loi. Cela impacte grandement les recettes fiscales de l’État en raison du fait que les paris illégaux échappent totalement à l’imposition. Selon la même étude, la MDJS a enregistré des revenus de 3,91 milliards de dirhams en 2021, contre 11 milliards pour le marché global des paris sportifs.
Ce manque à gagner est plus préoccupant au regard des 600 millions de dirhams annuels reversés au Fonds national du développement du sport (FNDS), une subvention essentielle pour le financement des infrastructures sportives et le développement du sport au Maroc. Le recul des recettes de la MDJS fait peser une lourde hypothèque sur la promotion de la pratique sportive dans le pays.
Techniques de contournement
Si 1xBet a le vent en poupe, c’est parce qu’elle use de subterfuges pour contourner la réglementation marocaine. Comment ? En permettant
aux parieurs d’effectuer des paiements via des portefeuilles électroniques et même des cartes bancaires locales, une méthode vivement dénoncée par la MDJS. De plus, certains intermédiaires locaux facilitent l’achat de devises pour les parieurs, ce qui permet de contourner le plafond annuel de 15.000 dirhams imposé par la réglementation des changes au Maroc. Ces pratiques, conjuguées les unes aux autres, offrent au bookmaker russe la possibilité d’opérer quasiment presque comme un opérateur légal, alors qu’il ne dispose pas de licence et enfreint la loi marocaine.. Le site 1xBet accepte même les paris en dirhams, ce qui lui confère une légitimité trompeuse aux yeux des parieurs marocains. Cela crée une confusion chez les joueurs, ceux-ci croyant s’engager dans des transactions légales, alors que leurs paris échappent totalement au contrôle de l’État marocain et au cadre fiscal national.
Convention de Macolin
Le Maroc, en tant que signataire de la Convention de Macolin depuis 2021, s’est engagé à lutter contre les paris illégaux, en mettant en place des mécanismes de contrôle renforcés. Cette convention définit les paris sportifs illégaux comme étant ceux pratiqués par des entreprises qui n’ont pas de licence dans la juridiction où elles opèrent . Elle préconise des mesures de coercition telles que la fermeture des sites de paris illégaux, le blocage des flux financiers et l’interdiction de toute publicité pour ces opérateurs. Cependant, ces outils restent insuffisamment exploités face à la capacité de 1xBet à utiliser des stratégies de contournement pour continuer à se livrer à leur activité en toute illégalité . La MDJS et d’autres institutions marocaines, comme l’Office des Changes et les ministères concernés, ont été alertés sur la gravité de la situation, mais des actions plus concrètes sont attendues pour fermer définitivement le Maroc aux activités louches de 1xBet.
Mobilisation collective
Soucieux de la santé des finances publiques et du développement du sport national, Fouzi Lekjaa a insisté sur l’importance d’une mobilisation collective pour mettre fin aux activités des opérateurs illégaux comme 1xBet. Il a souligné que cette lutte ne se résume pas à une question de finances publiques, mais qu’elle touche également à la souveraineté du pays et à la préservation de l’intégrité du sport national. Selon le ministre, il est de la responsabilité de tous les acteurs concernés – y compris les banques, les médias, les fédérations sportives, et les influenceurs – de s’engager activement pour contrer ces pratiques illégales. M. Lakjaa a conclu en appelant à un débat national sur la régulation des paris en ligne et sur la mise en place de lois plus strictes, afin de protéger les intérêts économiques du pays et d’assurer un environnement sportif sain, exempt de toute forme de manipulation et d’influence néfaste et illégale.
1xBet interdite en Russie!
Les services du bookmaker russe, qui ont le vent en poupe, sont utilisés par des millions de parieurs à travers le monde. Les disciplines visées sont principalement le football, le hockey et le volley-ball. Le loto sportif et les jeux de casino font également partie des prestations proposées. Ce business illicite génère pour l’opérateur russe des milliards de dollars au titre des mises quotidiennes issues de pays où l’industrie est encadrée par la loi avec souvent un monopole de l’État. C’est le cas du Maroc qui se trouve lourdement pénalisé par l’activité illégale de 1xBet, lui occasionnant un manque à gagner annuel de plusieurs centaines de millions de DH. De nombreux pays sont dans la même situation, sauf (paradoxalement) la Russie où 1xBet est interdit en raison d’une loi adoptée en 2006 et renforcée en 2021 sur la réglementation d’État des activités de jeu d’argent.
Résultat : pour décrocher une licence et fournir des services de jeu en ligne et hors ligne, il faut obligatoirement avoir un siège social en Russie, produire une licence du service fédéral des impôts et supprimer de l’offre tous les jeux d’argent et de casinos.
Comme 1xBet a intégré dans son offre les jeux d’argent et de casino, il a décidé de créer une nouvelle société du nom de 1xStavka en Russie qui répond aux exigences de la loi russe en la matière. Mais les parieurs du pays de Poutine ont toujours la possibilité de recourir aux services de 1xBet. Il leur suffit de s’arranger pour changer l’adresse IP et le point de connexion à l’aide d’un logiciel spécifique. Un jeu d’enfant.