Politiquement sous pression en raison de la vie chère qui touche particulièrement les viandes rouges, le chef du gouvernement s’est senti obligé de prendre lui-même le taureau par les cornes.
Devant l’envolée continue des prix des viandes rouges, ovine, bovine et même caprine, le chef du gouvernement a chargé le président de la Confédération Marocaine de l’Agriculture et du Développement Rural (Comader) Rachid Benali de réunir les acteurs de la filière représentés au sein de la Fédération Interprofessionnelle des Viandes Rouges (FIVIAR) et les représentants de l’association des importateurs. Objectif de cette réunion de crise qui a eu lieu lundi 1er octobre au siège de la confédération à Rabat: identifier les raisons de ce renchérissement inquiétant des prix des viandes rouges et soumettre à Aziz Akhannouch des mesures d’urgence à prendre pour les faire revenir à des niveaux raisonnables. Or, bizarrement cet objectif reste hors de portée malgré les efforts consentis depuis 2022 par le gouvernement, notamment la suppression des taxes comme la TVA sur l’importation des bêtes destinées à l’abattage. Ce qui laisse penser que des dysfonctionnements restent à lever, pour arriver à une stabilisation durable des prix. A cet effet, certains professionnels avisés ont formulé une batterie de propositions comme la suppression du certificat sanitaire consistant en une mise en quarantaine du bétail importé de l’étranger et destiné immédiatement à l’abattage au Maroc. Cette formalité coûte environ 3.000 DH par tête et sa suppression peut éventuellement agir à la baisse sur le prix de revient de manière significative. Aujourd’hui, le business du bétail d’importation est le monopole d’une poignée d’individus qui font la pluie et le beau temps. « Le destin de la filière des viandes rouges est entre les mains de ces opérateurs qui se réunissent autour d’un verre de thé pour faire le marché dans le sens de leurs intérêts personnels en organisant la rareté afin de monter les prix », schématise un connaisseur. Pour casser ce qui ressemble à un cartel, la solution des achats groupés a été proposée comme un outil efficace permettant aux groupements d’acheteurs une optimisation des frais sur toute la chaîne avec obtention des meilleures conditions d’achat.
Parmi les autres pistes proposées pour aboutir à un retour des prix à la normale, la suppression de l’orge subventionnée à laquelle le gouvernement réserve depuis 2022 un budget annuel de près de 700 millions de DH. A en croire les critiques formulées par des éleveurs dans différentes régions du pays, la distribution à l’échelle nationale de ce produit, servant à atténuer la rareté des pâturages du fait de la sécheresse, n’atteint pas sa cible, principalement les petits-ruminants, en raison de pratiques spéculatives, voire d’un trafic illégal entourant cette opération.
Colère populaire
Cette manne financière tout comme la prime de 500 DH par tête de mouton octroyée aux importateurs des ovins de la fête du sacrifice ainsi que les 50 millions de DH au titre de l’opération annuelle de bouclage des moutons à l’occasion de la même fête gagneraient à être supprimés. Ces fonds ainsi économisés peuvent servir, selon les professionnels, peuvent bénéficier sous forme de soutien direct aux éleveurs locaux qui en ont tellement besoin pour nourrir leur bétail et contribuer ainsi à la reconstitution du cheptel national menacé de disparition. Pour éviter cette sombre perspective et induire un retour à la normale des prix des viandes rouges, les opérateurs réunis autour de Rachid Benali ont par ailleurs recommandé de faire l’impasse sur le rite du sacrifice, qui relève de la sunna, donc facultatif, pendant une année au moins.
« L’interdiction de cette fête aurait dû intervenir l’année dernière et le fait de l’avoir maintenu a davantage contribué au renchérissement de la viande ovine », fait remarquer un acteur de la filière. Or, il faut remonter à 1996 pour trouver la trace d’une pareille mesure. Le peuple marocain apprend la décision via un communiqué de feu Hassan II, lu par Abdelkébir Alaoui Mdaghri, alors ministre des Habous et des Affaires islamiques, qui justifie cette mesure d’interdiction par la sécheresse de 1995 qui a été catastrophique pour l’agriculture et l’élevage.
L’élevage en particulier est aujourd’hui une filière sinistrée qui a besoin de mesures fortes et courageuses pour la sauver surtout de la rapacité des lobbys qui voient dans cette situation de crise inédite l’occasion de s’enrichir souvent de manière indue au détriment du consommateur. Sauf que les niveaux stratosphériques atteints par les prix en boucherie pèsent très lourd sur le pouvoir d’achat de la population, notamment les plus défavorisés, déjà dévoré par la vie chère qui frappe des denrées alimentaires essentielles comme les fruits et les légumes et d’autres produits de consommation courante. Cette flambée des prix qui touche la pitance quotidienne du petit peuple dans des proportions sans précédent alimente la colère populaire et plombe le climat social… Politiquement délicat pour un exécutif qui donne de plus en plus l’impression de subir au lieu d’agir… .
Conscient des conséquences fâcheuses de la cherté excessive des viandes sur la cohésion sociale et de sa capacité à éroder la confiance dans la politique gouvernementale, Aziz Akhannouch a fini par prendre le taureau par les cornes et appeler à la rescousse le patron de la Comader pour résoudre cette équation complexe.
Ce qui constitue un désaveu cinglant pour son ministre de l’Agriculture Mohamed Sadiki qu’il a dessaisi du dossier bovin et ovin. Un coup saignant pour l’ex-secrétaire général du ministère de l’Agriculture qui a échoué à ramener ne serait-ce qu’une certaine accalmie sur ce front où il a manqué selon ses détracteurs de tripes.