L’art et la littérature judéo-marocains existent bien Maroc mais ont été tellement occultés par la politique et l’actualité moyen-orientale en relation avec le conflit israélo-palestinien qu’ils ont été longtemps prisonniers des murs du microcosme de l’intelligentsia francophone de l’axe Tanger-Rabat-Casablanca. En dehors de ces cercles fermés, cette composante culturelle du royaume ne pouvait que briller par son absence. Une occultation aggravée par la langue véhiculaire, en l’occurrence de Molière, ignorée par la masse, d’autant que les traductions à l’arabe étaient presque inexistantes. « L’engouement dont bénéficie la littérature maghrébine d’auteurs arabo-musulmans tend à laisser dans l’ombre deux autres productions inspirées au même titre par l’Afrique du Nord : la littérature occidentale d’inspiration maghrébine et la littérature judéo-maghrébine d’expression française. Mais, si l’une fait, bon an mal an, l’objet de quelques recherches d’envergure, l’autre est longtemps restée sous-estimée, au mieux associée dans l’esprit des chercheurs à la précédente, au pire carrément négligée, passée sous silence. ». Guy Dugas (Université Paris XII et Montpellier III – Spécialiste des expressions minoritaires dans le monde arabo-musulman).
Cette négation de fait d’une partie du patrimoine culturel judéo-marocain a commencé à s’estomper dès le début des années 1990 avec la conférence de Madrid et les accords d’Oslo qui l’ont suivie. La visite historique de feu l’ancien Premier ministre israélien, feu Yitzhak Rabin à Rabat et à Casablanca en septembre 1991, a été le point de départ d’une vraie décrispation dans les rapports entre les Juifs marocains et leurs concitoyens musulmans. Une détente dont l’apogée sera la reconnaissance par la Constitution du royaume du 1er juillet 2011 de la culture hébraïque comme une composante de l’identité nationale.
Milieu de la décennie 1990 : Casablanca se dote d’un musée dédié à la culture judéo-marocaine, le premier du genre dans le monde arabe et le ministère de la culture marocain participe à la restauration de plusieurs synagogues menaçant ruine à travers le pays. Le livre de Mme Hind Lahmami, professeure de l’enseignement supérieur HDR à la Faculté des lettres et des sciences humaines de Meknès, est une suite logique à cette découverte passionnée pour ne pas dire engouement du publics pour tout ce qui a trait à la culture juive. S’inscrivant dans la tradition des « entretiens littéraires », cet ouvrage , publié à la mi-mars 2021 aux éditions l’Harmattan, « donne la parole à des écrivains et artistes d’origine judéo-marocaine, qui même éloignés de leur terre natale et engagés dans de nouveaux modes de vie, ont eu la brillante idée de restituer l’essentiel d’une culture multiséculaire marocaine. L’ouvrage se veut un présentoir culturel de l’affluent hébraïque marocain, avec photos à l’appui, curriculums vitae des écrivains, textes inédits, et quelques extraits d’œuvres autour de la marocanité et du vivre ensemble. »
Comme le dit son auteure, « L’ouvrage présent, qui épouse la forme d’entretiens littéraires, ambitionne d’atténuer la discrimination vis-à-vis de la culture séfarade, judéo-marocaine plus précisément, parce qu’elle est partie intégrante du patrimoine national marocain et qu’elle risque de disparaître si nous ne nous attelions pas à l’immortaliser par l’écriture. Nous avons donc décidé de rapporter la parole de quelques auteurs judéo-marocains, qui ont pu porter en eux le sentiment de leur appartenance originelle, la marocanité s’entend. Ceux-là, même éloignés physiquement de leur terre natale et engagés dans de nouveaux modes de vie, modernes et européanisés, ont eu la brillante idée de restituer l’essentiel d’une culture multiséculaire marocaine, actuellement agonisante hélas ! Les huit auteurs retenus dans ce livre ont tous à leur actif des œuvres qui sont toutes, autant de témoignages historique, littéraire, social et culturel sur la présence juive en terre marocaine. Le choix de l’intitulé de notre livre allait presque de soi : Parole aux écrivains judéo-marocains contemporains une façon de rendre hommage à la fidélité et au sens du partage que prodiguent ces gardiens de la culture à ce patrimoine à la fois national et de l’humanité. »