Mouloud Benzadi *

L’intelligence artificielle a transformé de nombreux domaines, mais en littérature, elle suscite encore crainte et rejet. Des manuscrits sont écartés dès qu’une intervention de l’IA est suspectée, souvent sur la base de détecteurs peu fiables et à l’insu des auteurs. Malgré les appels à un usage éthique, les règles restent floues et le sujet souvent tabou. En tant qu’écrivain, lexicographe et chercheur, j’ai voulu défendre le droit d’utiliser l’IA dans l’écriture, proposer des approches réfléchies et contribuer à une définition plus claire des règles.
Utiliser l’IA pour la recherche
En tant que chercheur, j’ai tendance à combiner le moteur de recherche Google et les outils d’IA. L’IA est sans aucun doute plus efficace, car elle peut résumer rapidement des livres, des articles et des documents historiques en un temps record, me permettant de rassembler les informations nécessaires sans avoir à lire chaque source en entier. Les outils d’IA peuvent également aider à vérifier les faits, confirmer des dates, des lieux, des noms et des événements pour garantir un récit précis. Ils peuvent aussi être le meilleur ami d’un romancier en fournissant des informations précieuses sur les contextes historiques, culturels, politiques ou sociaux, aidant à créer des scènes authentiques, notamment dans les romans historiques. Il n’y a aucun mal à utiliser l’IA comme outil de recherche, car cela revient à utiliser un moteur de recherche en ligne, avec une différence majeure — les recherches en ligne nécessitent souvent de consulter plusieurs liens et de trier une quantité d’informations trop importante, ce qui prend du temps, tandis que l’IA fournit des réponses plus spécifiques et ciblées, permettant d’économiser temps et efforts.
Utiliser l’IA pour la rédaction
Les auteurs peuvent utiliser l’IA comme assistant pour rédiger leurs romans. Cette utilisation est éthique et bénéfique si l’auteur connaît déjà l’histoire, l’intrigue et les thèmes à explorer. L’IA ne remplace pas l’écrivain, mais agit comme un outil puissant pour optimiser le processus d’écriture — en organisant les scènes, générant des variations du contenu, maintenant la cohérence narrative et ajustant le rythme ou le ton. Elle répond instantanément aux demandes d’ajustements stylistiques, suggère des formulations plus claires et explore différentes façons de dérouler une scène, tout en respectant la vision de l’auteur. Ce n’est pas une génération de contenu par une machine, mais un contenu guidé par l’écrivain. Les auteurs peuvent utiliser l’IA tout comme ils ont utilisé des éditeurs ou des logiciels d’écriture. J’ai récemment échangé avec l’écrivain canadien Shane Joseph, qui utilise également l’IA pour l’évaluation de manuscrits, la relecture et les livres audio. Il souligne une distinction claire entre assistance et paternité : l’IA doit soutenir, mais jamais générer de contenu, surtout en fiction où la créativité humaine est essentielle. Sa distinction entre travaux « assistés par l’IA » et « générés par l’IA » offre un modèle réfléchi pour une avancée intègre des écrivains et éditeurs.
Assurer la cohérence
L’IA s’avère être un outil précieux pour les écrivains, notamment pour maintenir la cohérence linguistique. Par exemple, un auteur pourrait mélanger le français de France et le français québécois, utilisant des termes comme « voiture » et « char », ou alternant entre « ferry » et « traversier ». Des mots anglais courants au Québec, tels que « parking » ou « weekend », pourraient également être insérés dans un texte destiné au public français. L’IA peut repérer et corriger ces incohérences, garantissant un style uniforme. De plus, elle identifie les différences dans les mots composés, par exemple entre « bien-être » et « bien être ». J’ai moi-même commis des erreurs en anglais, comme écrire « for ever » au lieu de « forever ». L’IA vérifie également la mise en forme, y compris les polices et la disposition des paragraphes, pour respecter les normes éditoriales. Elle peut signaler des lacunes ou des transitions abruptes dans un texte. Ces tâches, généralement effectuées par un éditeur humain, peuvent également être réalisées efficacement par l’IA, qui joue un rôle similaire et ne devrait pas être exclue de ces fonctions.
L’IA pour la relecture et la lisibilité
L’IA peut être utilisée de manière éthique pour soutenir les écrivains en corrigeant les erreurs sans altérer le contenu ou l’intention. Elle repère les fautes courantes, comme « acceuil » corrigé en « accueil », ou « innatendu » en « inattendu », ainsi que des erreurs de grammaire comme « il faut que je vais » remplacé par « il faut que j’aille ». Elle ajuste aussi la ponctuation, la syntaxe, et la cohérence des temps verbaux. Par exemple, « Quand j’étais petit, je vais souvent chez ma grand-mère » devient « Quand j’étais petit, j’allais souvent chez ma grand-mère ». L’IA améliore aussi la clarté et la fluidité du texte. Elle peut reformuler des phrases maladroites, proposer un vocabulaire plus naturel, ou diviser des passages trop longs. Une phrase comme « Elle a rapidement couru très vite pour attraper l’autobus » pourrait être simplifiée en « Elle a couru pour attraper l’autobus ». Le sens reste le même, mais la formulation est plus directe. Tout comme les écrivains font appel à des éditeurs humains, ils devraient pouvoir utiliser l’IA pour peaufiner leurs manuscrits. Si une personne peut suggérer de meilleures formulations, l’IA devrait aussi être acceptée comme outil d’aide à l’écriture.
L’IA affine les voix globales
Les écrivains non natifs comme moi, qui rédigent en anglais, rencontrent souvent des difficultés liées à la structure des phrases, aux idiomes et aux expressions peu familières dans leur langue maternelle — des défis que les locuteurs natifs ne rencontrent pas forcément. Pourtant, ces obstacles n’enlèvent rien à la richesse de nos expériences ou à la pertinence de nos idées. Ils illustrent simplement la complexité de la maîtrise d’une seconde langue. L’IA peut alors jouer un rôle précieux, en proposant des corrections qui améliorent la lisibilité tout en respectant la voix de l’auteur. Cela nous permet de participer plus activement à la littérature mondiale, en surmontant certaines barrières linguistiques sans trahir notre intention d’écriture. Comme beaucoup d’auteurs non natifs font déjà appel à des éditeurs pour peaufiner leurs textes, l’usage éthique de l’IA poursuit le même objectif. C’est une méthode plus rapide, accessible et économique d’obtenir un manuscrit cohérent et engageant — un outil de soutien, et non un substitut, qui aide à bâtir des ponts entre les cultures tout en maintenant l’authenticité du propos.
La liberté d’écrire avec l’IA
En conclusion, je souhaite faire partie des premières voix à défendre la liberté d’écrire avec l’IA, dans le cadre de règles claires. Le terme « limites éthiques » reste trop vague pour servir de guide. Je propose donc une règle concrète : autoriser l’IA à accomplir toute tâche qu’un éditeur humain effectue habituellement dans le domaine de l’écriture. Cela comprend la relecture, la reformulation, l’amélioration de la clarté ou du ton, l’identification des incohérences, la proposition de titres, le résumé du contenu et les suggestions structurelles. Ces tâches relèvent de l’édition traditionnelle, et il n’y a aucune raison d’en exclure l’IA. Les écrivains non natifs, en particulier, ont tout à gagner de ces outils. Contrairement aux locuteurs natifs, nous pouvons rencontrer des difficultés avec certaines tournures ou structures qui nuisent à la clarté. L’IA peut aider à améliorer la lisibilité sans altérer la voix ni les idées, agissant comme un soutien technique au service d’une écriture plus fluide. Enfin, si l’on applique cette règle — traiter l’IA comme un éditeur humain — alors aucune obligation de divulguer son usage ne devrait exister. Les auteurs n’ont jamais été tenus de mentionner les interventions éditoriales humaines. Le même principe doit valoir ici : si l’IA n’est qu’un assistant éditorial, la transparence supplémentaire n’est pas nécessaire.
* Auteur, lexicographe et chercheur -Royaume-Uni