La difficile condition de la femme rurale au Maroc est un thème classique qui offre aux romanciers et essayistes un terrain fertile pour la fiction et la narration et aux sociologues un angle d’attaque de choix pour analyser les maux faits et les faits sociaux… Le dernier livre en date de Mohamed El Ouardi ne déroge pas à la règle. Cet ouvrage de 216 pages paru en février dernier aux éditions l’Harmattan « raconte la descente aux enfers de Touda, une jeune paysanne du sud-est marocain qui, d’épreuve en épreuve, se trouve déchue dans la misère et la précarité. Un premier mariage raté, traumatisme, flétrissure, péripéties, sauvetage, rebondissements. » Du grand classique.
«On est au mois de février, Touda est assise sur une natte à même le sol, elle a quelque chose comme seize ans, cette paysanne, ses yeux sont à peine ouverts parce que les rayons matinaux du soleil que filtrent les interstices des amandiers l’aveuglent mais elle regarde quand même, de là où elle se trouve, du belvédère de la maison, le verger que le père Yidir entretient avec soin. Une fierté, ce verger, pour la famille, toute sorte d’arbres fruitiers, la menthe qui vous arrive à la taille, prospère comme de la luzerne, ces insectes, ces coccinelles, ces abeilles qui butinent, affairées, les odeurs agréables puis ces amandiers en pleine métamorphose, les bourgeons devenus des fleurs blanches souriantes. Juste en bas de ce belvédère un ruisseau vigoureux qui passe au milieu du verger, qui charrie une eau cristalline et dont le rugissement juvénile arrive jusqu’aux oreilles de la jeune fille. Il faut remonter cinq kilomètres pour voir la source de ce ruisseau, l’amont, un grand lac paisible au milieu d’un immense champ verdoyant, c’est de là qu’il sort, ce ruisseau, ce sont-là ses origines, il ramène son eau vers le village, irrigue la vallée puis il s’en va chuter là-bas, là où finit cette vallée. Elle vient, cette jeune paysanne, de se réveiller et, avant môme de se laver le visage, elle est venue s’asseoir sur la vieille natte en chaume, à côté de ses parents qui parlent de leur vache, un trésor, la plus belle de tout le village, le lait qu’elle donne, blanc, consistant, nutritif, les veaux qu’elle donne, des magnifiques, des gros, la taille d’un bufflon…Elle est peut-être au premier mois de sa gestation, cette vache, ils l’espèrent du moins : — Je lui ai caressé méticuleusement les flancs et les pis, dit le père Yidir, mais va savoir si elle est gravide ou non ! » Un style simple et mordant tissé autour de la triste condition féminine au Maroc profond matérialisée ici par le personnage de Touda.
« — Je me suis réveillée comme le muezzin appelle a la première prière, j’ai frappé a la porte de ta chambre, un, deux coups, histoire de te réveiller, mais tu t’es rendormie à ce que je vois ! Allez, magne-toi, je te rappelle que JJa est dans les champs depuis l’aube et que c’est ton tour, aujourd’hui, de faire la cuisine ! Elle n’a jamais compris, Touda, pourquoi sa mère est pressée comme ça, on dirait qu’il y a une guerre qui se prépare, un cataclysme quelconque, on est toujours sur le qui-vive avec elle! Elle a été mille fois sur le point d’en parler, Touda, dire ce qu’elle en pense, qu’il n’y a pas le feu, aucune urgence ! Mais c’est perdre son temps que de tenter de raisonner la vieille Adjou ! C’est l’ancienne école, cette femme, une autre philosophie ! » A lire. Né à Kelaa M’Gouna dans le sud-est marocain, Mohamed El Ouardi, agrégé de littérature en 2001, exerce dans les classes préparatoires aux grandes écoles puis dans les classes préparatoires de BTS. Il obtient un Master spécialisé en Tourisme, communication et développement en 2019.