On croyait Moulahom Hafid Elalamy définitivement retiré du Maroc après y avoir désinvesti en cédant son pôle assurance et son activité des centres d’appel. Le voilà qui cherche à revenir en force avec un appétit féroce pour la Société générale. Mais l’affaire est loin d’être pliée…
La Société générale (SG) Maroc est déjà tombée dans l’escarcelle de Moulahom Hafid Elalamy ? Ce n’est pas sûr si l’on décrypte bien les propos de l’inoxydable wali de Bank Al Maghrib, tenus lors de son point de presse animé mardi 19 mars à Rabat à l’issue de la première réunion trimestrielle de l’année 2024 du conseil de la banque centrale. A cette occasion, le conférencier, toujours bon pied bon œil malgré le poids de l’âge, a levé un coin de voile sur les tenants et aboutissants du projet de cession de la filiale marocaine de la SG qui a transpiré dans plusieurs médias marocains, faisant du patron de Saham le nouveau principal actionnaire de la banque.
Mais il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué, semblait dire d’emblée M. Jouahri sur un ton non dénué d’humour , sans cacher que le patron de la Société Générale France lui a rendu visite pour lui faire part des difficultés rencontrées par le groupe bancaire sur le continent africain et de sa volonté de céder sa participation dans sa succursale marocaine.
Libre à l’actionnaire de référence de de vendre ses parts , explique en substance l’ex- ministre des Finances de feu Hassan II, mais à condition que le nouvel acquéreur obtienne l’agrément des autorités financières du Maroc, en l’occurrence Bank Al Maghrib. Et ce conformément à la loi bancaire marocaine.
«Nous examinerons votre requête lorsque vous serez prêts. Cependant, les règles sont claires : si cette transaction affecte le contrôle de la banque, une nouvelle autorisation est requise», a déclaré sans détours M. Jouahri à son interlocuteur français en lui rappelant ceci : «Puisque vous possédez plus de 50% du capital, l’acquéreur doit obligatoirement solliciter nouvel agrément bancaire. » La communication
Il suit de là que l’affaire, à l’inverse de ce qui a été rapporté dans les médias, est loin d’être pliée pour MHE puisque l’agrément est subordonné à « un examen approfondi du dossier » en vue de connaître « le projet industriel de l’acheteur, son business plan, sa valeur ajoutée à lui » et s’assurer que « l’opération est rentable pour la banque et pour le Maroc ». Le nouvel acquéreur a besoin aussi de l’aval du Conseil de la Concurrence, l’Autorité marocaine des marchés et de l’Office des changes.
Or, dans le rappel réglementaire auquel s’est livré sereinement et didactiquement celui qui n’est pas né de la dernière transaction est présent en filigrane un volet politique se rapportant aux codes à respecter en matière de deals aussi stratégiques. On ne fait pas main basse sur un réseau bancaire fut-il étranger en faisant pression par voie de presse. Légitimer la prise de contrôle de la SG Maroc par la politique du fait accompli ne fonctionnera jamais, tel est le message subliminal décoché par le gardien du temple financier et de ses convenances en direction de MHE qui doit au demeurant se vivre en homme assez puissant financièrement pour s’affranchir de certaines règles incontournables . Dans ce contexte, le recadrage du patron de Bank Al Maghrib laisserait entendre que Moulahoum Hafid n’a pas montré patte blanche dans son projet de rachat de la Société générale Maroc. N’est pas Mohamed Bensalah qui veut, dont le groupe Holmarcom a racheté en décembre 2022 près de 79% du Crédit du Maroc dans les règles de l’art, sans tambour ni trompette. Les deux parties, Holmarcom et le Crédit Agricole France, n’ont communiqué sur le deal qu’après la signature du premier accord intervenu en avril 2022. « Telle n’a pas été la démarche de Moulahom qui a cherché visiblement à brûler les étapes dans une volonté de forcer la main aux autorités du pays… », commente un vieux routier de la banque.
A cet égard, il est instructif de rappeler l’arrêt brutal de sa carrière politique en raison du non-renouvellement de son bail ministériel dans le gouvernement Akhannouch alors qu’il était acquis qu’il allait au moins rempiler à défaut de devenir Premier ministre… Cette séquence politique, qui a surpris plus d’un, a été interprétée à l’époque par ceux qui connaissent les sous et les dessous des cartes comme l’expression de sa disgrâce qu’il doit à l’instrumentalisation de son portefeuille ministériel et de ses accointances au cœur du pouvoir pour influencer les décisions dans le sens de ses intérêts qu’il détenait notamment dans l’assurance et les centres d’appel. Deux secteurs dont il se désengagera en réalisant de très confortables plus-values, le dernier étant le rachat en avril 2023 de son groupe Majorel, qu’il détient à parts égales avec l’Allemand Bertelsmann, par Teleperformance, le leader mondial de la relation clients pour la bagatelle de 3 milliards d’euros.
Moulahom Hafid, surnommé « le loup de la finance » pour s’être introduit par effraction il y a environ trois décennies dans le monde du business, est resté égal à lui-même malgré son ascension fulgurante dans les affaires ( assurances, immobilier, enseignement…). Les activités traditionnelles à fort potentiel d’emploi qui participent au développement effectif d’une économie, ce n’est pas dans son ADN. Lui c’est la culbute financière. Les deals à haute valeur ajoutée pour lui et sa descendance.
Son rêve de devenir un bancassureur a été avorté puisqu’il cédera en mars son pôle assurance Saham au sud-africain Sanlam pour près d’un milliards de dollars. Sans se voir offrir une banque sur un plateau alors qu’il était donné par la rumeur comme le candidat privilégié à la reprise du bateau amiral du groupe d’ Othman Benjelloun.
La transaction Saham a été présentée comme le signe d’un rapprochement entre le Maroc et l’Afrique du Sud. Le patron de Sanlam, Patrice Motsepe, l’une des plus grosses fortunes d’Afrique et président de la CAF, n’étant autre que le frère de Tshepo Motsepe, l’épouse du président sud-africain Cyril Ramaphosa. Mais au lieu de revenir à de meilleurs sentiments à l’égard de Rabat sur le dossier du Sahara marocain, Pretoria accentue depuis son animosité envers le Royaume. « Cette fois, Moulay Hafid Elalamy ne pourra pas présenter son deal avec la Société générale comme un acte fort qui mettrait fin au froid diplomatique entre le Maroc et la France », ironise un fin connaisseur du landerneau financier national. Reste à savoir si Moulahom Hafid finira par signer un retour en force dans le secteur financier après avoir transformé son groupe Saham en fonds d’investissement panafricain ? Un format qui semble le rassurer plus que la compagnie d’assurance du fait de l’anonymat des deals conclus.