Le Roi Mohammed VI a demandé, jeudi 14 septembre, à ce que les enfants devenus orphelins suite au séisme d’Al Haouz soient recensés et que leur soit accordé le statut de pupille de la nation. Mais en quoi consiste-t-il et quels avantages offre-t-il à ses bénéficiaires ?
Le Dahir n° 1-99-191 portant promulgation de la loi n° 33-97 relative aux pupilles de la Nation stipule que « les enfants auxquels a été reconnue la qualité de pupille de la Nation ont droit à la protection morale et à l’aide matérielle prévue par la présente loi jusqu’à leur majorité ou la cessation de leurs études. Ils ont droit aux services que peut leur rendre la Fondation Hassan II pour les œuvres sociales des anciens militaires et anciens combattants ». Ce statut particulier est accordé par une commission dont le secrétariat est la Fondation Hassan II pour les œuvres sociales des anciens militaires et anciens combattants (Osamac) . C’est donc l’interlocuteur parfait pour comprendre ce qu’il en est, réellement. Voulant en savoir plus, naturellement, nous avons essayé de joindre le chef de la direction de la Fondation pour qu’il nous parle de ce que peuvent espérer dans les faits les orphelins, quels services peut leur rendre la Fondation, et quels services elle a précédemment rendus et rend encore aux pupilles de la nation du séisme d’Al Hoceïma,en 2004. ( car le statut de pupille de la nation n’est plus réservé seulement aux enfants de militaires depuis que le souverain décida d’élargir ce statut aux 141 orphelins du séisme d’Al Hoceima). Et, surtout, nous voulions savoir ce qu’ils sont devenus, quasiment 20 ans après. On se fait quand même du souci, vous comprenez ! Tout en ayant beaucoup d’espoir. Par exemple, les pupilles de la nation du séisme d’Al Haouz vont-ils bénéficier eux aussi des clubs estivaux et résidences des FAR ? Ce serait cool…. Car en vertu de la loi, « les pupilles de la Nation sont admis gratuitement aux soins médicaux, chirurgicaux et à l’hospitalisation dans les formations hospitalières civiles et militaires de l’Etat ». Alors pourquoi pas tout le reste ? (Le social des militaires, ça en jette !). Il faut que nous en ayons le cœur net. Mais aucune réponse ne nous est parvenue du côté des responsables de la Fondation Hassan II pour les OSAMAC. Le sujet est-il à ce point sensible ou secret-défense pour être couvert par l’obligation de réserve ?
Les orphelins du séisme d’Al Hoceima et d’El Haouz aujourd’hui ne sont ni des militaires ni des enfants de militaires, et leurs parents n’étaient sur aucune mission militaire ou de maintien de la paix pour la nation. Une communication des institutions concernées directement par ce dossier aurait été extrêmement utile dans la période délicate traversée par la nation.Le sort d’orphelins, qui ont vécu et vivent encore l’enfer (la perte d’un ou de deux parents, dans ces circonstances apocalyptiques…), à cause d’un drame national qui a créé une solidarité inimaginable entre tous les Marocains, autour de leur roi, une grandiose solidarité qui n’est pas prête de s’estomper, est un sujet primordial qui regarde l’opinion publique nationale.
Sur un autre registre, selon le même dahir, lorsque les pupilles de la Nation, comme c’est le cas des orphelins du séisme du 8 septembre, ne disposent pas de ressources permettant de faire face à leurs besoins ou lorsque les personnes ayant légalement l’obligation de leur entretien ne sont pas en mesure d’y subvenir, l’État prend en charge, en tout ou en partie suivant les cas, les frais d’entretien, de santé, d’apprentissage et d’études nécessaires à leur développement normal. En outre, entre autres avantages, « les pupilles de la Nation bénéficient, dans les conditions qui seront fixées par voie réglementaire, d’une priorité pour l’accès aux emplois publics au sein des administrations de l’Etat, des établissements publics et des collectivités publiques ainsi qu’aux concours d’accès aux facultés et aux grandes écoles nationales ».
Chance
Les orphelins doivent être âgés de moins de vingt ans au décès, à l’incapacité ou à la disparition de leur père ou de leur soutien principal mais ils peuvent toutefois bénéficier de cette qualité au-delà de cet âge s’ils poursuivent leurs études ou s’ils sont incapables de travailler par suite d’infirmité. Les textes de lois dévoilent une ribambelle d’autres avantages et de détails, dont on peut citer une allocation annuelle stable (de 9.000 DH, selon le décret numéro 2-01-94, datant de juin 2001).
Les orphelins en bas âge sont trop fragiles pour ne pas les protéger. Exposés à toutes sortes de dangers, le vol, le viol mais aussi le trafic d’enfants. Les drames comme les inondations, le tremblement de terre ou les conflits en font les proies faciles de réseaux criminels. Sur les réseaux sociaux, la mobilisation bat son plein pour tenter d’aider ou de faire adopter ces gosses livrés à eux-mêmes. Mais parfois ces bonnes intentions cachent des projets malveillants.
C’est pour cela qu’il faut faire appel aux organismes de protection de l’enfance reconnus sérieux et qui ont pignon sur rue. C’est le cas de l’association Bab Rayan dont le fondateur Abdelmoula Ratibe nous éclaire un tout petit peu sur la question, compte tenu des autres possibilités offertes, les enfants pouvant par exemple être recueillis par d’autres membres de la famille ou, s’ils ont encore l’un de leur parent en vie, vivre avec lui ; nous parlerons ici de ceux qui n’ont plus personne ou nulle part où vivre… : « Nous avons reçu un coup de fil de la ministre Aawatif Hayar (NDLR : ministre de la Solidarité, de l’Insertion Sociale et de la Famille) et elle nous a expliqué ce qu’ils font. On nous a proposé de recueillir certains enfants. Chose que nous ferons, bien entendu. Nous sommes en train de tout préparer. Nous envisageons d’en recueillir dans les vingt ». Et que font-ils, dans ce ministère, Monsieur Ratibe ? Car quand nous avons contacté Mme la ministre , elle nous a clairement indiqué que « les pupilles de la nation (NDLR : devenus orphelins à cause du séisme) relèvent du ministère de l’Intérieur ». Réponse de M. Ratibe : « Actuellement le ministère travaille sur le recensement. Et c’est très important et il faut le faire très rapidement, car c’est très dangereux de laisser les enfants livrés à eux-mêmes. Ils peuvent même être kidnappés. Dans ces cas-là, le recensement doit s’effectuer dans les plus brefs délais. Après le recensement, ils vont les répartir dans les orphelinats et les associations spécialisées ». Soulignons dans ce volet-là que le ministère de la Solidarité, alors qu’il effectuait le recensement des orphelins, a, selon Al Ahdath Al Maghribia de ce lundi 18 septembre, provoqué la « colère » des responsables du ministère de l’Intérieur en lançant ladite opération de recensement des veuves et des orphelins victimes du séisme d’Al Haouz. Ce dénombrement aurait été jugé « inapproprié », « prématuré » et « devançant » le travail du ministère de l’Intérieur. Cela explique peut-être la réponse laconique et amère que nous a faite Madame la ministre, ce même lundi 18 septembre…
Qu’offre donc l’association Bab Rayan aux enfants qu’elle recueille ? « Notre orphelinat est mixte, déclare M. Ratibe, et nous recueillons des enfants à partir de l’âge de trois ans. Nous avons une école de préscolaire, pour les très jeunes. Puis, à partir de l’âge de six ans, les enfants peuvent intégrer notre école primaire d’une capacité de 260 enfants. Après cela, l’enfant continue ses études ou il intègre notre centre de formation aux métiers de l’hôtellerie. Pas moins de 200 enfants y sont formés. Puis nous leur trouvons des stages qui débouchent la plupart des cas sur une embauche, comme par exemple récemment où le Hyatt Regency a offert un emploi à certains de nos jeunes après une période de stage que nous leur avons obtenue. Nous sommes les seuls à faire ça ! A assurer ce suivi Foyer/Ecole/Formation ». Un modèle qui fonctionne qui, au vu de ces bons résultats, gagnerait à être soutenu et généralisé. Bab Rayan tranche avec ces orphelinats publics qui n’ont pas vraiment bonne presse: certains d’entre eux n’ont-ils pas défrayé la chronique au cours de ces dernières années avec des scandales de gabegie financière et de mauvais traitements infligés aux pensionnaires?
Rien ne ferait plaisir à M. Ratibe que de voir le modèle Bab Rayan prospérer et essaimer un peu partout au Maroc : « On voudrait que l’État reproduise ce qu’on fait car l’Etat, actuellement, ne fait que prendre des enfants de la rue et les relâcher à 18 ans. Il ne faut plus faire d’orphelinats comme ça. Il faut les accompagner, ces enfants. Ce ne sont pas des enfants comme les autres, ce sont des enfants qui ont perdu leurs parents, leurs maisons, tous leurs repères. Et, comme nous le disons toujours à Bab Rayan : tout enfant mérite une chance ! ». Les orphelins du séisme du 8 septembre qui se comptent par milliers auront-ils la leur ?