Chronique d’une panne programmée

Mohamed Horani, président de HPS.

L’activité monétique nationale a été sérieusement perturbée en raison d’une grosse panne technique dans la plateforme du switch. En cause, HPS Switch habilité à centraliser les transactions commerciales effectuées par cartes bancaires sur le marché domestique. Enquête sur un bug fâcheux qui aurait pu être évité…

C’est un épisode noir qu’ont vécu les Terminaux de paiement électronique (TPE) victimes d’une panne technique assez sérieuse. Résultat : Il était impossible de payer par sa carte bancaire aux quatre coins du Maroc. Les premières alertes sur la perturbation du système ont été déjà envoyées le jeudi 21 et le vendredi 22 avril avec des blocages intermittents.  Mais la grosse panne, qui allait affoler les TPE, et imposer un frein d’arrêt à l’activité monétique,   est survenue le samedi 23, soit le dernier week-end avant Aïd Al Fitr marqué d’habitude par une grande fièvre acheteuse. Ce qui a paralysé le business pendant de longues heures, de 15 à 19 heures 30. Une situation pour le moins frustrante pour de nombreux clients qui ne pouvaient pas payer leurs emplettes, que ce soit dans les supermarchés ou dans n’importe quel magasin ou centre commercial. Du coup, c’est la panique à bord mâtinée de colère  sur fond d’un désordre indescriptible qui s’est emparé aussi bien des acheteurs que des vendeurs devant le message invariable envoyé par les appareils de paiement : banque indisponible. Imaginez un peu la tête de tout le monde et la pagaille créée par ce bug surtout dans les caisses des grandes surfaces où le gros des transactions est réglé par carte. En une fraction de seconde, le cash a repris ses droits devenant indispensable pour régler ses achats. Le premier réflexe pour ceux qui n’en avaient pas sur eux est de filer vers le GAB la plus proche pour retirer des billets de banque. Mais là aussi, surprise: l’interopérabilité pour les retraits interbancaires ne fonctionne que pour sa propre banque. Un usager CIH Bank ne pouvait pas par exemple retirer de l’argent que sur un GAB adossée à une banque CIH. Bonjour la galère.  

Pots cassés

Ce cauchemar, on le doit à HPS Switch de Mohamed Horani qui s’est fendu d’un communiqué laconique pour s’exprimer sur une défaillance de grande ampleur qu’il a expliquée par « un incident Hardware de la plateforme principale du Switch» qui a touché «de manière intermittente les opérations monétiques de la place ». Premier mensonge, la panne n’a rien d’intermittent, le blocage, d’envergure nationale, était total et persistant ce samedi 23 avril comme le Canard l’a constaté dans de nombreuses enseignes de la grande distribution et certains centres commerciaux. En plus d’être court avec une volonté manifeste de minimiser un incident gravissime, curieusement, le communiqué de Horani Switch ne comporte la moindre formule d’excuse auprès des clients ni des commerçants qui ont été durement pénalisés par cette avarie. Un communiqué sec et froid qui nous apprend en guise de conclusion que « les équipes de HPS travaillent en étroite collaboration avec l’ensemble des acteurs de la place pour minimiser au maximum les impacts sur l’activité monétique à l’échelle nationale». Circulez, il n’y a rien à voir…

L’activité monétique ! Sur ce point, Horani et ses services ne jouent pas là non plus cartes sur table car c’est d’activité commerciale qu’il s’agit et du préjudice monstre qu’elle a subi à cause de la panne de HPS switch. Le Centre monétique interbancaire (CMI), l’acteur de référence qui assure « la gestion des échanges monétaires électroniques entre particuliers, commerçants, e-commerçants, établissements bancaires et administrations publiques », a laissé des plumes dans cette affaire : 140.000 opérations de paiement ratées et 60.000 retraits interbancaires au niveau des GAB rejetées, qui totalisent un flux financier d’environ 80 millions de DH. Sans compter le préjudice matériel subi par les différents commerçants qui n’ont pas pu conclure des transactions avec des clients dépourvus de cash. Mais qui va payer les pots cassés de cette défaillance financièrement pénalisante pour les uns et les autres ? Le bug en question interroge profondément la fiabilité de la solution technique PowerCard adoptée par Horani Switch.

Désir monopolistique

Car contrairement aux opérations domestiques gérées par HPS Switch,   les transactions internationales n’ont pas été affectées, elles, par la panne.  La raison?  Le service du switch est assuré pour ce qui est des transactions étrangères par Visa. Inutile de faire un dessin pour comprendre. Cela veut dire quoi concrètement ? Cela veut dire qu’un client de Casablanca était dans l’incapacité de payer ses achats via le TPE local pendant qu’un usager détenteur d’une carte bancaire marocaine pouvait régler au même moment ses achats dans un commerce français… Vous avez dit paradoxe ?  A ce niveau de la clarté, il est difficile pour les services de Horani de brouiller les cartes. Cherchez plutôt l’erreur originelle.

Un maillon important de la chaîne de la monétique nationale est directement concerné par ce scandale et il a pour nom Bank Al Maghrib de Abdellatif Jouahri. Mais les dirigeants de cette institution ont évité bizarrement de s’exprimer sur le sujet. Or, c’est cette dernière qui a ordonné au CMI de se séparer des activités d’acquisition monétique et du switching au profit d’un opérateur privé. La consultation lancée dans la foulée par le CMI a abouti naturellement au choix en 2016 de HPS, seule entreprise marocaine en vue maître de l’offre solutions de paiement électronique.

« Pour éviter justement la formation d’un monopole dans ce domaine et prévenir les risques d’une telle situation sur le commerce électronique, Abdellatif Jouahri (NDLR, le patron de Bank Al Maghrib) a voulu introduire les opérateurs Visa et MasterCard dans le cadre d’une interconnexion avec HPS Switch mais le patron de HPS Mohamed Horani a refusé cette solution », explique un connaisseur des dessous des cartes électroniques. C’est d’ailleurs dans cette perspective de partage du réseau du switch que Bank Al Maghrib avait agréé en 2015 MasterCard Asie/Pacific et Visa International. Mais il semble que derrière la bonhomie apparente de Horani et son cal sur le front interprété comme la marque d’une grande assiduité dans la prière se cache un businessman redoutablement gourmand.  Dire oui au partage du switch avec ses deux concurrents c’est accepter de partager un marché de près de 500 millions de DH…La panne des TPE ne se serait certainement pas produite si M. Horani avait privilégié l’intérêt général et accepté l’arrivée sur l’activité du Switch monétique des deux mastodontes qui, fort de leur expertise mondialement reconnue, auraient pris largement le relais suite à la défaillance de son Switch.

Mais comment se fait-il que Bank Al Maghrib, censé être le garant du bon fonctionnement des transactions électroniques en veillant à introduire la notion de concurrence dans un marché très sensible, s’est-il plié au désir monopolistique du président de HPS ? Dans le landernau, les langues commencent dans la foulée de la panne du samedi à se délier sur la relation très privilégiée liant Abdellatif Jouahri et Mohamed Horani, et certains vont jusqu’à susurrer que le désengagement contraint du CMI du switch serait l’expression d’un privilège accordé par le président de Bank Al Maghrib à son ami.

Quoiqu’il en soit, la dématérialisation des systèmes de paiement, qui connaît un essor remarquable au Maroc, est une activité trop essentielle, pour la laisser entre les mains d’un seul acteur fut-il irrésistible. Susceptible de provoquer un retour en force du cash dont Bank Al Maghrib mise sur le déclin dans les transactions commerciales, le bug des TPE du samedi 23 avril sonne comme un véritable avertissement. Horani continuera-t-il à avoir… carte blanche ?

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