Chronique d’une sortie politique cafouilleuse

Une décision attentatoire à la psychologie des enfants et au moral des parents...

En suspendant à la dernière minute l’enseignement présentiel dans certaines villes comme Casablanca, l’exécutif a porté un coup dur au moral des parents déjà au plus mal et  perturbé la psychologie des enfants…

Les élèves de la plus grande ville du pays ont été privés d’une rentrée scolaire en mode présentiel, prévue lundi 7 septembre. Prise par le gouvernement la veille, dimanche vers 22 heures, cette décision brutale a achevé de scandaliser les parents qui se sont déchaînés aussitôt sur les réseaux sociaux en recourant souvent à la dérision. Entre colère et désarroi, les réactions sont tombées en cascade  surtout que la majorité des familles a réglé les frais de scolarité et acheté les fournitures scolaires. Du coup, elles ont eu le sentiment d’avoir été floués par un gouvernement frappé dans des proportions inquiétantes par une épidémie plus ravageuse, celle du cafouillage et de l’improvisation. Une épidémie qui se manifeste par un symptôme  désormais connu de tous :  des communiqués-couperet, irréfléchis, balancés à la dernière minute sans  aucune considération pour la population.

Plus grave encore, l’annulation de la rentrée scolaire a perturbé la psychologie de nombreux enfants dont certains ont éclaté en sanglots, frustrés de ne pas retrouver  comme prévu le chemin de la vraie école où ils n’ont pas mis les pieds depuis mars. Quant aux écoliers de 7 ans, qui s’apprêtaient avec enthousiasme à y débarquer pour la première fois, ils sont bien partis pour ne pas en connaître la couleur de sitôt… L’exécutif a justifié, sans convaincre, la suspension de l’école en présentiel et l’adoption des cours à distance par la flambée jugée inquiétante des cas de contaminations au Covid-19 à Casablanca et la saturation -presque- des structures hospitalières. Le Maroc a battu en effet un nouveau record en enregistrant, selon les chiffres officiels, pour la seule  journée du dimanche 6 septembre, 2234 cas d’infection dont 848 rien que dans la région de Casablanca-Settat et 773 dans la métropole.

Mémoire collective

La vox populi est sceptique. Pour elle, il n’y a pas de coïncidence: les pouvoirs publics ont sciemment gonflé les chiffres Covid-19 enregistrés dimanche dans la capitale économique pour légitimer la suspension de la rentrée scolaire en présentiel programmée le lendemain.  Ils en veulent pour preuve, le fait que le bilan journalier de la journée du lundi est redescendu à 1386 cas dont 416 à Casablanca. On ne tripatouille pas uniquement les narines des malades mais aussi les chiffres des infections ?

Cet épisode démoralisant rappelle celui d’un autre triste dimanche (26 juillet) – soit à quelques jours de la fête du sacrifice alors que la population a déjà acheté le mouton -encore vivace dans la mémoire collective par les scènes de chaos indescriptibles qu’il a provoquées sur les routes et les autoroutes ainsi que les gares routières et ferroviaires. Ce jour-là, le cabinet Al Othmani a attendu 18 heures pour annoncer l’interdiction d’entrer ou de sortir à/de Casablanca, Marrakech, Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Berrechid et Settat. Le Maroc fait ainsi connaissance avec sa première vague d’improvisation mortelle qui n’empêchera pas cependant une partie de la population de voyager contre  le gré des autorités pour égorger la bête convoitée ou de partir en vacances sur présentation d’une réservation d’hôtel dûment signée par le pacha de l’arrondissement de leur résidence.

Les habitants de la préfecture de Casablanca, dont les accès sont tous fermés, doivent de nouveau justifier depuis lundi 7 septembre d’une attestation de déplacement dérogatoire délivrée par le pacha pour pouvoir circuler d’un arrondissement à un autre de la ville !  Résultat : multiplication des barrages sur les routes avec tout ce que ces restrictions suppose comme désagréments pour la population soumise en plus à un couvre-feu de 22 heures à 5 heures du matin. La rentrée 2020 a les allures d’une drôle de sortie gouvernementale

Un peu plus d’un mois après donc,  la même histoire se répète avec cette l’interdiction pour deux semaines- certainement renouvelable- de l’enseignement présentiel que les familles ont pourtant plébiscité à 80%, à rebrousse-poil du choix  principal de ce dernier en faveur des cours à distance. Finalement, le département dirigé par Saaid Amzazi et les enseignes de l’enseignement public et privé se sont mis d’accord sur un dispositif d’alternance entre le présentiel et le mode en ligne avant que l’école à la maison ne devienne une obligation pour tout Casablanca. Reste à savoir si les pouvoirs publics étaient sincères dans leur démarche envers le système éducatif casablancais et d’autres villes comme Témara, Kenitra et Meknès pour lequel ils semblent avoir choisi de manière préméditée les cours en ligne pour éviter une aggravation du nombre des contaminations au Covid-19 que les autorités, prises de panique, semblent de plus en plus incapables de gérer sur le terrain.

Peur par anticipation

Or, aucune garantie que le virus reculera à Casablanca à partir de telle date n’est donnée par les pouvoirs publics. Ce qui renforce encore plus le climat d’incertitude général créé en grande partie par  des décisions politiques cafouilleuses, consignées juste dans des communiqués secs, prises «  sur la base d’un suivi quotidien et d’une évaluation régulière de la part des comités de vigilance et de suivi ». Mais qui sont ces comités et ils sont composés de qui ? Pourquoi suspendre l’enseignement présentiel à Casablanca et d’autres villes alors qu’aucun cas n’a encore été déclaré dans aucune école ? Et le protocole sanitaire mis en place par les établissements scolaires, c’était juste pour le décor ?

Cette peur par anticipation, qui semble gouverner le pays depuis le mois de juillet, va à l’encontre de tout bon sens et révèle au contraire l’incapacité du gouvernement à gérer la situation du Covid-19 sur le terrain, là où les foyers surgissent, de telle sorte que la prise en charge des « covidés » devienne une routine médicale qui cohabite avec une vie économique et sociale apaisée. C’est cette gouvernance intelligente de la crise sanitaire, qui  rassure le citoyen en donnant le sentiment que la situation est sous contrôle, qui fait défaut. Résultat : ce gouvernement, que de nombreux Marocains  y compris lambda ne tiennent déjà pas en estime, est devenu la risée de tous sur les réseaux sociaux. Les gens sont déjà à bout et à trop les écraser par des mesures aussi brutales qu’incompréhensibles  (voir encadré)  le risque est grand de tenter le diable… Ces mesures exceptionnelles ayant ciblé Casablanca sont prises pour une durée de deux semaines. Reconductibles ou pas ? Un reconfinement général est-il dans les tuyaux afin d’envoyer l’économie du pays ou ce qui en reste en salle de réanimation ? Balancez-nous un  communiqué gouvernemental explicatif. De préférence un dimanche. Contre Al Othmani et son équipe de génie, on est immunisés !

Vive le café-garderie !

Le gouvernement Al Othmani est passé maître dans l’art des décisions en mal de cohérence et que personne au gouvernement, qui dispose pourtant d’un porte-parole, ne vienne de surcroît en expliquer le sens et la finalité qui échappe au commun des citoyens. La panique étant mauvaise conseillère, voici quelques mesures irréfléchies décrétées contre Casablanca contenues dans le communiqué du dimanche 7 septembre et que le Canard a mal digérées :

-Fermeture des cafés et des commerces à 20 h, des restaurants à 21h et des commerces de proximité à 15 heures. Une telle précision laisse croire que les autorités ont la certitude que la chaîne de transmission du virus s’arrête à ces moments de la journée…

21 heures c’est l’heure où les gens s’installent pour dîner. Dorénavant,  il faut prendre son dîner  à 18 heures. Trop tôt pour dîner, ce nouvel horaire n’arrange personne  surtout les restaurateurs dont le chiffre d’affaires est promis à une belle dégringolade après avoir retrouvé des couleurs des  semaines plutôt. Le client n’est pas non plus dans son assiette.

Pour les cafés, ils doivent fermer une heure plutôt, exceptionnellement  à 20 heures.  Difficile de ne pas  s’empêcher de penser que les cafés qui empestent la cigarette sont plus importants que l’école ! Pour les parents qui doivent partir travailler le matin et qui ne savent pas où mettre leur enfants, ils peuvent les laisser dans un café proche de leur habitation et les récupérer après le retour du boulot… Café-garderie, voilà un business qui a de l’avenir.

-Couvre-feu à partir de 22 heures à 5 heures du matin.  Autrement dit, il faut cesser de traîner dehors et se coucher tôt. Un conseil cependant : il ne faut jamais se mettre au lit avant 22 heures notamment le dimanche élevé par le gouvernement au rang de jour des décisions troublantes. Une leçon fondamentale que certains internautes  n’ont pas manquer de tirer  non sans humour de la mesure suspendant l’enseignement en présentiel…    

La même absence de logique a été à l’origine de la fermeture le 20 août, en plus d’un certain nombre de plages, des salles de sport et des hammams de la capitale économique alors que ces lieux de respiration et de propreté n’ont connu l’apparition de la moindre infection. Mieux, ces restrictions très peu convaincantes n’ont pas rejailli positivement sur la courbe des contaminations de la métropole. Bien au contraire…Celle-ci s’est améliorée de jour en jour…Cherchez la faille !

A la rigueur, la fermeture doit logiquement frapper le club de fitness ou le bain maure où le coronavirus a surgi et non pas tous les clubs et tous les bains maures sans distinction alors qu’ils sont « safe ». Alors qui prend ces décisions fantastiques et sur quelle base ? Saadeddine et la lampe magique islamiste hantée par un immense génie ?

Ratages et colmatages

La flambée inquiétante de la courbe des contaminations au Covid-19 trouve son origine dans deux principales erreurs commises par le gouvernement. Explications.

Contrairement à ce que veut nous faire croire le gouvernement, la flambée de la courbe des contaminations, qui a dépassé le millier de cas quotidiens, n’est pas due qu’à l’indiscipline des citoyens (défaut de port du masque, non-respect des gestes barrières). En cause aussi et surtout, certaines erreurs commises par le gouvernement, principalement la mise en place prématurée du confinement général intervenue le 20 mars. L’évolution de la situation épidémiologique du pays a contredit d’ailleurs cette décision, montrant avec le recul que le pays est allé vite en besogne en mettant la population sous cloche pendant près de trois mois alors que le pays enregistrait entre 10 et 30 cas journaliers ! En vérité, on ne confine pas avec un taux aussi insignifiant de contaminations mais lorsque la courbe s’envole au-delà de la normale (plus de mille cas par jour) et occasionne surtout un nombre assez important de décès avec débordement des unités de soins intensifs. C’est ce scénario-catastrophe qu’ont vécu nombre de pays européens, notamment la France, l’Italie et l’Espagne.

Or, le Maroc, qui est entré en confinement en décrétant l’état d’urgence presque en même temps que ces pays, n’était pas dans cette configuration cauchemardesque. Pensant à tort que le Royaume en a fini avec la pandémie et qu’il lui a tordu le cou en prenant des mesures d’anticipation, les responsables ont commencé à déconfiner le pays en l’absence d’un plan global de déconfinement aux contours précis. Ce qui a créé une situation de confusion sur le terrain au moment du retour à la normale. L’envolée de la courbe des infections a coïncidé avec cette période de grand cafouillage qui a engendré le 19 juin le plus grand foyer épidémique national de plus de 500 cas surgis dans les unités de conditionnement de fruits rouges de Lalla Mimouna dans la région de Kenitra. Cette affaire, qui a scandalisé plus d’un, marque le début de la flambée continue de la courbe des contaminations. Le confinement général devrait logiquement démarrer à ce moment-là. Sauf qu’il était impossible de reconfiner de nouveau les Marocains qui venaient de sortir de plusieurs mois d’enfermement.

L’erreur sur le moment idoine du confinement général a été aggravée par une deuxième erreur : la fête du sacrifice. Le gouvernement a autorisé cette fête et permis aux citoyens d’acheter le mouton là où il fallait décréter solennellement son interdiction pour cette année pour laquelle plaide clairement  la propagation continue du Covid-19 avec l’alerte de Lalla Mimouna. D’ailleurs,  le pays a payé cash la facture du retour des festivités ovines par une détérioration immédiate de la situation épidémiologique nationale dans toutes les régions du Royaume. La réalité sociale du pays (pauvreté, promiscuité, ignorance, habitat exigu et insalubre…) a fait le reste… Difficile dans ces conditions d’échapper à ces maux structurels alimentés par plusieurs décennies d’une gestion chaotique des affaires publiques et demander, alors que l’heure est grave, à une population marginalisée et démunie de porter convenablement le masque en respectant les mesures de sécurité mille fois ressassées à la télévision et à la radio. Le civisme et la discipline ne se décrètent pas ; ils se construisent. Notamment par un système éducatif performant soucieux de bâtir l’homme. Là réside tout le drame du Maroc.

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