Malgré son lancement en 2017, le véhicule électrique n’arrive pas à percer. En cause, l’absence d’un véritable dispositif d’incitation à changer de conduite.
Ahmed Zoubaïr
La route est loin d’être dégagée pour la mobilité durable au Maroc. A telle enseigne que les personnes qui ont fait le choix de se reconvertir dans l’éco-conduite ont vite déchanté, regrettant pour beaucoup d’entre eux d’avoir troqué leur véhicule thermique contre une voiture hybride ou électrique.
En cause, la subsistance d’un certain nombre de freins à caractère à la fois technique et politique. Il y a d’abord la cherté du modèle électrique d’environ 30% par rapport à la version classique du fait du régime fiscal en vigueur qui renchérit les prix à l’importation de ces biens pourtant largement subventionnés en Europe.
Résultat : malgré son lancement en 2017, le véhicule électrique n’arrive pas à percer ( moins de 500 voitures full électrique en circulation au Maroc). Autre facteur rédhibitoire, l’absence d’une offre étoffée limitée à une dizaine de modèles proposée par quelques concessionnaires de renom. La crainte des méventes et les frais de stockage induits les poussent à mettre la pédale douce sur les achats et à privilégier plutôt les commandes.
Le peu de dynamisme du marché de la voiture électrique au Maroc trouve aussi son origine dans l’absence d’une filière de l’occasion, ce qui n’encourage pas les particuliers à acheter une voiture qu’ils ne peuvent pas revendre.
Last but not least, l’électrification du secteur automobile transforme en profondeur le modèle économique des constructeurs et modifie la relation avec le client aussi bien dans la vente que l’après-vente. Un moteur électrique ne demande ni lubrifiant ni échappement et partant ne nécessite ni vidange, ni changement de filtre, ni remplacement de ligne d’échappement. La réduction significative des besoins en réparation se traduit par un manque à gagner non négligeable pour les concessionnaires dont une bonne partie des revenus provient des frais du service après-vente des véhicules thermiques. Voilà qui leur impose de s’adapter pour compenser cette perte de profit générée par leurs ateliers de réparation des véhicules thermiques.
L’insuffisance criante des bornes de recharge installées sur le territoire national achève de mettre les bâtons dans les roues du business de l’éco-conduite. Élément clé dans la transition énergétique, l’alimentation des véhicules souffre au Maroc d’une sous-couverture, à peine
73 stations de recharge de type DC ouvertes au public dans les grandes villes et 1500 bornes de recharge AC, principalement utilisées par les particuliers à domicile ( lire encadré). A Casablanca, la plus grande ville du pays, le nombre de stations de recharge ne dépasse pas 10 contre 430 à Paris, soit plus de 2000 bornes d’alimentation ! Bonjour la galère. Il faut être armé de patience ou avoir des heures à perdre pour attendre que son tour arrive ! Ce qui crée parfois de la tension entre automobilistes en raison de la mauvaise humeur manifestée par certains trop pressés pour respecter la queue. La faiblesse de la puissance des bornes publiques agit comme un facteur aggravant. D’une puissance de 22,5 kW, les dispositifs de recharge disponibles nécessitent un temps de recharge d’une heure environ pour une autonomie de 100 kilomètres.
Le temps d’attente devient considérable surtout que la plupart des stations de recharge ne disposent que de deux prises d’alimentation, l’une type 2 (recharge lente) utilisée aussi à domicile avec une capacité allant jusqu’ à 22 KW et la CCS 2 qui fournit une recharge rapide. En fait, il n’existe pas de temps précis pour charger un véhicule. De nombreux facteurs entrent en jeu, comme le type de borne, sa puissance, le câble et le véhicule lui-même. En général, le temps de recharge d’une voiture électrique varie, en moyenne, entre 20 minutes et une dizaine d’heures. Au Maroc, seule la marque Tesla a installé, à l’usage exclusif de ses clients, une station de recharge ultra puissante, des superchargeurs de 150 kw, qui délivre une recharge entre 10 et 30 minutes. Mais ce service est payant dans le réseau des distributeurs de carburant nationaux. Leader dans ce domaine, Afriquia facture une heure de recharge à 150 DH pour une autonomie de 100 km, ce qui est excessivement cher pour une distance quotidienne parcourue en moyenne dans une ville comme Casablanca où le freinage excessif du fait des embouteillages est fréquent. Le meilleur choix économique et écologique à la fois est offert par les bornes de recharge solaire.
Mais cette solution, disponible sous d’autres cieux, n’existe pas au Maroc. Un autre paradoxe dans un pays où l’ensoleillement est très important et qui de surcroît fait figure de pionnier en matière des énergies renouvelables !
Dispositif incitatif insuffisant
Entre une motorisation exclusivement électrique et une motorisation hybride, le choix est vite fait. En raison de la faiblesse du réseau des bornes de recharge, les partisans de l’éco-conduite se rabattent sur les modèles hybrides qui leur offrent l’avantage de basculer vers le moteur thermique ( généralement essence ) et d’éviter ainsi de tomber en panne avec une traction 100% électrique.
Tourner le dos aux véhicules thermiques n’est pas pour demain. Surtout que le gouvernement marocain n’a pas livré d’indications ni d’échéancier sur l’accélération de la transition du parc automobile national vers l’électrique. Le ministère de la Transition énergétique et du Développement durable, occupée par Leila Benali, fait curieusement l’impasse sur l’écomobilité qui constitue le point mort de son action.
Alors que le marché national est largement dominé par les véhicules thermiques, aucune prime à la conversion de ces véhicules n’a été envisagée comme c’est le cas dans nombre de pays européens. Le bonus écologique se limite actuellement à l’exonération de vignette et de la taxe de luxe pour les propriétaires des voitures vertes (hybrides et électriques). Ce qui reste évidemment en deçà des attentes dans un marché fortement diésélisé dont l’impact sur l’environnement est négatif. Pour le moment, les efforts des pouvoirs publics sont orientés principalement vers la réalisation de l’objectif de la dépendance exégétique par l’augmentation de la part des énergies renouvelables dans le mix électrique. Mais cette stratégie ambitieuse présente le défaut de ne pas être pluggée à un plan de mobilité durable qui touche le quotidien des usagers. Avec à la clé un dispositif qui comprend un réseau public dense de recharge des bornes électriques afin de faciliter le passage vers une mobilité verte à des tarifs raisonnables. Ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, les propriétaires de véhicules hybrides ou électriques étant livrés à un système D conçu pour ralentir l’essor de la mobilité verte.