Il ne faut pas assassiner l’autoentrepreneur

Zakaria Fahim, président Union des Auto Entrepreneurs

Avant toute chose, notons que le projet de statut d’autoentrepreneur est en soi un véritable modèle de rupture. C’est une première au Maroc et en Afrique, qui est aux antipodes de tout ce qui a été réalisé dans ce sens jusqu’à maintenant.

Dans ce projet d’autoentrepreneur, l’objectif est de permettre à des gens, qui rêvent de créer leur entreprise, d’y arriver et dans le formel. Le schéma a été simplifié : si vous avez une idée, vous faites appel à une plateforme virtuelle et en 5 clics vous démarrez votre projet. Si votre projet marche, tant mieux. Si ça ne marche pas, vous débranchez sans être soumis à un contrôle fiscal ou à régler des démarches administratives. Cela tord le cou à cette adage qui disait « Dkhoul l’Hammam machi bhal khroujou » (entrer au hammam n’est pas comme en sortir)

Ce régime casse l’interférence bureaucratique qui existait jusque-là, car les candidats à l’entreprenariat ne seront plus obligés d’aller à la rencontre de l’administration. Ils peuvent entreprendre toutes les démarches à partir de leur domicile. Ils ne déboursent pas d’argent non plus pour domicilier leurs entreprises, car la domiciliation n’est pas exigée pour s’inscrire au statut d’autoentrepreneur. L’ensemble de ces facilités vont encourager beaucoup de gens à démarrer leurs projets dans le formel étant justement découragés par la complexité des procédures et la bureaucratie, les tentatives de corruption pour des jeunes qui veulent avoir des crédits bancaires.

Tous ces volets-là disparaissent avec le statut d’autoentrepreneur. Je rappelle souvent à mes interlocuteurs que le réseau social Facebook a démarré avec 1.500 dollars. Donc au début, ce n’est pas l’argent qui compte, mais plutôt libérer les énergies, cela permet aux gens d’oser. L’autoentrepreneur est l’antichambre de l’entrepreneur, où l’on apprend le métier d’entreprendre un projet avec le maximum de garde-fous, sans se casser les dents. Tomber d’un rez-de-chaussée n’est pas comme tomber du 28e étage. Autre avantage de l’autoentrepreneuriat : même si mon projet ne marche pas et que je décide de revenir au salariat, je respecterai encore mieux mon patron parce que je suis mieux sensibilisé aux difficultés de créer une entreprise. Je deviens intra-preneur, et cela n’a pas de prix. Quelques chiffres : les autoentrepreneurs sont aujourd’hui plus de 300.000 inscrits et représentent une population importante du tissu économique et social. Il faut reconnaître que le dispositif tire l’économie du pays vers le formel. On remarque une augmentation de 10,4% par rapport à 2021 selon les chiffres de Barid Al Maghrib, ce qui est un indicateur d’engouement.

Selon l’Observatoire Marocain de la TPME, le nombre des autoentrepreneurs (AE) actifs s’élève à 300.457 en 2021, contre 272.263 en 2020 et 180.273 en 2019, affichant ainsi des progressions annuelles de 10,4% et 66,7% respectivement. Tout le monde s’accorde sur le fait que l’autoentrepreneuriat au Maroc connaît un fort essor depuis la création de ce régime. Cette croissance de l’autoentrepreneuriat s’explique en partie par les efforts de l’État pour encourager et faciliter la création d’entreprises en simplifiant les procédures de création et en offrant des incitatifs fiscaux aux autoentrepreneurs. Il serait aussi intéressant de mettre en place un observatoire dédié qui aiderait à mieux comprendre et encadrer ce régime. L’observatoire sera un dispositif destiné à fournir une représentation techniquement contrôlée et validée du domaine, là où dans certains cas une vision politique ne suffit pas. La demande de mesure d’impact des actions est elle-même une demande de mise en visibilité, d’objectivation du sens de l’action par ses effets. Pour mieux encadrer le soldat autoentrepreneur, nous avons fait 5 propositions au gouvernement. C’était il y a près d’un an, en marge de la conférence de lancement de notre solution digitale à destination de la communauté autoentrepreneur DATI CONNECT. Cela reste encore si ce n’est plus d’actualité.

1 : Donner à la déclaration de chiffre d’affaires une valeur économique et juridique équivalente dans certains cas à celle d’une feuille de paie.

2 : Faciliter la croissance de l’autoentrepreneur vers une entreprise classique.

3 : Permettre des alliances ponctuelles d’indépendants par un dispositif d’association économique.

4 : Créer un Fonds de croissance ciblé sur les besoins des auto entrepreneurs.

5 : Permettre aux bénéficiaires du RAMED de développer un projet d’activité indépendante et de s’y former.

Pour atteindre toute la population potentielle des auto entrepreneurs, il est nécessaire de mettre en place une politique globale, cohérente et adaptée à leurs situations et à leur bénéfice. Cela passe par une stratégie de communication Down Top par l’exemplarité et aussi Top Down pour asseoir le cadre. Cela nécessite aussi l’accélération de l’effectivité du crowdfunding, de l’accélération du déploiement de la solution Dati Connect pour rompre l’isolement et se former et s’informer et accéder au marché; cela passe aussi par l’appui du gouvernement aux missions d’accompagnement des auto entrepreneurs par les associations bénéficiant de financements de l’Etat, des collectivités et des chambres professionnelles.

Avant toute action de réforme du régime sachant que l’année 0 de l’autoentrepreneur est 2022 où les ingrédients ont été enfin mis en place de façon concomitante, à savoir l’accès au marché, le financement alternatif: le crowdfunding et l’accompagnement à travers la mise en place de la couverture sociale. L’autoentrepreneur ne doit pas être «lhaytt Lakssirr», le petit mur, le préserver et le faire connaître grandir en le fortifiant. Accroître l’attractivité de ce régime auprès  du grand nombre sert le nouveau modèle de développement social.

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