Sorti de prison en 2019 où il a passé 5 ans de sa vie, l’ex-président déchu de Wana n’est pas encore au bout de ses peines. La justice vient d’ordonner la saisie de ses biens. Récit d’une chute spectaculaire.
Tout lui souriait et rien ne présageait qu’il allait mal finir. Une tête de premier de la classe, une expertise reconnue dans le domaine des télécoms, une réputation de manager hors pair et un réseau relationnel bien étoffé. Faisant partie des managers les plus brillants de sa génération, Karim Zaz était promis à un bel avenir. Si l’intéressé, qui préside dans une autre vie aux destinées de l’OFPPT entre 1994 et 1998, n’a pas su capitaliser sur ses atouts inestimables c’est parce que son côté filou a pris le dessus. Instinctivement cupide, se croyant plus malin que les autres, il n’en finit pas, pris qu’il est dans une spirale judiciaire infernale, d’être rattrapé par les affaires. Et quelles affaires! La chute était dure. Spectaculaire. Cruel coup du sort pour un parachutiste passionné qui n’a rien pu faire pour empêcher son crash.
La descente aux enfers, qui se poursuit de plus belle, commence pour ce fraudeur de haut vol après son départ visiblement forcé, deux ans après le lancement en mars 2007 du troisième opérateur télécom, Wana (devenu Inwi) dont il était président. Alors qu’il avait promis à ses employeurs de faire du nouvel entrant une entreprise prospère, ce franco-marocain natif de Meknès en 1965 ne réussira à n’en faire qu’un gouffre financier qui impacta considérablement les comptes d’exploitation de la maison-mère. Ce qui coûtera son poste de patron d’ONA de l’époque, un certain Saad Bendidi, coupable de ne pas avoir assuré « la complétude et la fiabilité de l’information due aux administrateurs ». Principale cause de ce désastre financier , la technologie CDMA dont la mobilité est restreinte (pas plus de 35 km à la ronde) déployée bizarrement par Karim Zaz. Ce n’est évidemment pas avec un tel dispositif de fabrication chinoise, déjà obsolète au moment de son adoption, que le nouvel opérateur pouvait espérer concurrencer Maroc Telecom ou l’ex-Méditel devenu Orange, déjà dotés à l’époque de la 3G… C’est le premier forfait de Karim Zaz qui a surpris par son ampleur plus d’un surtout qu’il n’est pas un novice né de la dernière carte SIM. L’intéressé passe pour un expert expérimenté du secteur des télécommunications. Diplômé de l’École Polytechnique de Paris et de l’École Nationale Supérieure des Télécoms, il lance en 1999 avec le soutien de France Telecom Maroc Connect, sous la marque Wanadoo, qui réussit à s’imposer sur le marché d’Internet en devant un fournisseur d’accès pour des milliers d’abonnés au Maroc. Une réussite qu’il doit en grande partie à son expérience dans le secteur, notamment comme chef de projets pour le compte de l’État français à la Société Internationale des Télécommunications Aéronautiques (SITA). C’est sa connaissance approfondie des télécoms qui vaut à Karim Zaz dont la boite sera sauvée de la faillite par deux fonds de capital-risque, Attijari Capital et Fipar, après le retrait en 2003 de la maison-mère française, la confiance du holding royal qui injecte 400 millions de DH dans Maroc Connect, (qui sera rebaptisé Wana). Passant sous le giron de l’ex-ONA ( devenue SNI puis Al Mada) qui en devient l’actionnaire de référence, la nouvelle filiale télécoms est née, lancée en 2007 à grand renfort de publicité, avec Karim Zaz aux commandes. Belle consécration pour un homme qui avait tous les moyens à sa disposition mais qui a laissé filer sa chance en ne respectant pas ses engagements.
Arrangement
Bon prince, son employeur se montre patient et attend 2009 pour se séparer de celui qui a plombé durablement le développement de Inwi qui a du mal jusqu’ à ce jour à se remettre de ce loupé monumental. Karim Zaz, qui part malgré tout avec de confortables indemnités, jette ensuite son dévolu sur les nouvelles technologies en lançant des enseignes de e-commerce, qui en était alors à ses balbutiements, comme La Redoute, Kounouz et My Deal. Mais il sera stoppé net dans sa dynamique, l’ingénieur télécom ayant maille à partir avec la justice pour une sombre histoire de détournements de communications internationales en direction du Maroc qui remonte à la surface. Un trafic illicite qu’il fait transiter par un réseau clandestin high-tech qu’il a visiblement mis en route alors qu’il était aux commandes de Wana, qui lui permettait d’empocher des revenus juteux en devises, au détriment des trois opérateurs du secteur, via des sociétés créées à Casablanca et Paris. L’ingénieur a du génie. Mais qu’il emploie manifestement à mauvais escient.
Poursuivi avec 11 coaccusés en état de détention pour constitution de bande criminelle, trafic de communications téléphoniques à l’échelle internationale, escroquerie, faux et usage de faux, blanchiment d’argent et abus de confiance, il sera condamné en 2015 par la Cour d’appel de Casablanca à une peine de 5 ans de prison ferme. Il ne retrouvera sa liberté en 2019 qu’au terme d’un arrangement avec l’administration des douanes qui lui réclamait la coquette somme de 500 millions de DH. Une fortune. Mais Zaz et ses complices ne sont pas au bout de leur peine. En mars dernier, l’accusé principal écope d’un an de prison avec sursis contre 6 mois avec sursis pour sa femme. Cette condamnation, assortie d’une mesure de saisie des biens du couple à hauteur des sommes obtenues de manière frauduleuse, est en relation avec une plainte déposée en février 2024 par son ancien employeur, Wana Corporate, qui lui réclame la bagatelle de 100 millions de DH au titre de faits de blanchiment d’argent. Zaz et consorts sont en effet fortement soupçonnés d’avoir planqué le magot de leur trafic dans des comptes à l’étranger. S’agissant de l’ex-patron de Maroc Connect, l’argent a été transféré vers des comptes ouverts au Crédit suisse à Gibraltar, totalisant quelque 600 millions de DH. Le cerveau présumé de cette gigantesque fraude télécoms ne pouvait pas nier. Il est confondu par les enquêteurs avec des preuves tangibles.
Dans la procédure engagée par Wana Corporate émerge un nom connu, Rachid Tlemçani, démis en 2008 dans des circonstances mystérieuses de ses fonctions de directeur central d’ONA ( devenu SNI puis Al Mada) en charge du dossier Wana. Quelle est la nature de la relation liant les deux hommes ? Pour le moment, la justice n’a pas jugé nécessaire de le convoquer. Il aura l’honneur d’un procès à part et sans appel ?