Le chantage à fond(S) la caisse…

Mohamed Abdeljalil, ministre du Transport et de la Logistique.

Le gouvernement est entre le marteau des hausses continues des prix du pétrole à l’international et l’enclume des transporteurs de marchandises qui lui mettent la pression pour qu’il lâche plus à titre de subvention.

Les transporteurs de marchandises haussent le ton malgré les aides substantielles qui leur sont consenties depuis plusieurs mois par le gouvernement. Jamais rassasiés, ils ont même annoncé, via leur front syndical constitué de quatre centrales représentatives du secteur qui reproche aux décideurs de ne pas avoir plafonné le prix du gasoil à des niveaux raisonnables, un débrayage juste après la fête du sacrifice.

Ce chantage à la grève à peine voilé est intervenu alors que l’exécutif a annoncé mardi 28 juin, par la voix de son porte-parole Mustapha Baitas, devant la Chambre des conseillers, une bonne nouvelle censée réjouir le lobby du transport des marchandises : la décision gouvernementale d’augmenter de 40% le montant de la subvention (elle passera de 500 millions à 700 millions de DH). Une aide qui sera débloquée au cours de ce mois de juillet au profit des routiers au titre de la quatrième tranche, « compte tenu de la continuité de la conjoncture actuelle marquée par la hausse des prix des carburants », a indiqué le ministère du Transport et de la logistique dans un communiqué.

Les bénéficiaires du soutien étatique ont déjà empoché les deux premières tranches des subventions, la troisième étant en cours d’exécution. Une chance que n’ont pas eue les automobilistes, le prix du plein n’arrêtant pas de battre des records sous l’effet des hausses successives à la pompe et devant le refus du gouvernement de décréter provisoirement le gel des taxes sur les produits pétroliers.

Cette série de soutiens aux transporteurs (marchandises, voyageurs et taxis…) a été décidée au nom de la préservation du pouvoir d’achat de la population afin de dissuader les opérateurs concernés de répercuter la hausse du tarif du gasoil sur les prix des principales denrées alimentaires comme les fruits et légumes qui entrent dans la pitance quotidienne du grand nombre. Mais la réalité du terrain est tout autre, la hausse des prix affecte presque tous les produits.

Spirale des hausses

La valse des étiquettes est notamment forte pour l’alimentation. Sans parler des divers articles d’importation dont les prix ont subi la hausse des charges du fret et qui ont battu des records.  

La flambée du panier de la ménagère est indéniable, aggravée par l’inflation qui dépasse selon les chiffres officiels les 5 % actuellement, soit un niveau inégalé depuis plusieurs décennies.

Il n’y a qu’à écouter certaines émissions radio consacrées au coût de la vie pour prendre la mesure de la souffrance des petits revenus qui se plaignent de la hausse des prix à la consommation. La grogne sociale couve… Face à la vie (de plus en plus) chère qui contribue à l’érosion du pouvoir d’achat du grand nombre, il y a de quoi s’interroger sur la pertinence des aides accordées par le gouvernement aux transporteurs routiers en général. Puisque ces subventions n’ont pas participé à freiner la spirale des hausses engendrée par un effet boule de neige lié à la flambée continue des hydrocarbures.

Il est vrai que la Caisse de compensation, dont les charges ont littéralement explosé depuis le début de l’année en raison de l’envolée spectaculaire des prix du blé et du gaz, a contribué grandement à la stabilisation de ces produits de base. « Certes, la consommation des ménages ne se limite pas seulement au pain, au sucre et au butane. Mais la marge du gouvernement dans ce domaine est malheureusement très restreinte, ne disposant pas d’autres leviers que la compensation et la subvention des transporteurs pour atténuer l’impact de la hausse générale des prix provoquée par la guerre en Ukraine », explique une source gouvernementale.

Le problème est que l’exécutif ne dispose pas d’autorité de contrôle des prix pratiqués par les transporteurs des marchandises et de voyageurs par autocars (en cette période de l’Aïd El Kebir, les billets ont connu en moyenne une hausse de 50 DH sur certains trajets comme celui de Casablanca-Taroudant).

En l’absence de recours, le citoyen-consommateur n’a d’autre choix que de subir en silence la loi des transporteurs qui facturent leurs prestations comme bon leur semble, forts d’un sentiment de puissance engendré par leur capacité de nuisance pouvant perturber l’essentiel des maillons de la chaîne de valeur, de l’amont à l’aval et partant bloquer  le pays et son économie.

Il faut dire que le transport de marchandises pèche encore, en dépit des efforts publics pour en moderniser le fonctionnement et le tirer vers le haut, par plusieurs tares structurelles. Parmi celles-ci, la fragmentation, la vétusté de son parc et les carences en matière d’organisation et de gestion. Réputé réfractaire à la réforme et au changement (n’avait-il pas fallu une bataille de longue haleine pour faire accepter le tachymètre aux camionneurs ?), l’activité est dominée par des entreprises individuelles qui tournent chacune avec une flotte moyenne de 3 à 5 camions. Ces sociétés, généralement des TPE et PME, exercent dans l’informel, échappant du coup à la fiscalité et autres obligations sociales imposées aux entreprises organisées qui représentent à peine de 10% de la filière.

Lorsqu’ils ont appris que le gouvernement allait leur accorder des subventions, ces seigneurs du noir et du cash sur quatre roues se sont empressés de monter des associations de circonstance avec des entreprises amies structurées afin de toucher leur part du gâteau. Le transport de marchandises étant réputé juteux avec des marges largement confortables, ses opérateurs n’ont pas fait preuve du moindre esprit de sacrifice dans cette conjoncture de tous les excès. Bien au contraire.

Ils cherchent à gratter le maximum, n’hésitant pas pour arriver à leurs fins à agiter la menace de la grève, conscients que les pouvoirs publics, qui n’ont du reste aucune visibilité sur les prix du pétrole et les nouveaux records susceptibles d’être battus,  sont bel et bien pris en otage. Une affaire qui roule pour qui ?

Le prix de référence du transport de marchandises

La structure du coût global annuel du transport de marchandises par route se répartit à concurrence de 52 % en charges fixes, 39% en charges variables et 9 % en frais de structure. Dès lors, le coût moyen de référence pour le transporteur, instauré en 2006 par la loi 16/99 libéralisant le transport de marchandises, a été estimé à 1,07 DH par tonne et par kilomètre. Mais il varie, selon le type de véhicule et le tonnage, passant de 2,71 DH /t/km pour les camions bennes de 5,5 t à 0,44 DH/t/km pour les semi-remorques citernes de 38 t. Le prix moyen au kilomètre a été fixé à 7,29 DH, oscillant entre 5,12 DH pour les 5,5 t et 10,07 DH pour les bennes de 38 t et plus.  Mais en l’absence d’une instance de régulation ou de contrôle, nombre de professionnels du secteur agissent à leur guise côté prix. Colle toujours, c’est le consommateur final qui trinque. Alléluia !

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