Si le Maroc n’est pas un producteur d’énergies fossiles, il dispose d’un énorme potentiel en minerais stratégiques qui déterminent les nouvelles alliances géostratégiques mondiales. Situé dans les eaux territoriales nationales, le Mont Tropic, longtemps convoité par l’Espagne, fait partie de ces gisements très précieux.
Un article paru dans le quotidien espagnol la Razon (21 mai) relance le fameux dossier du Mont Tropic sur lequel médias et experts, vrais ou supposés, ont tartiné de long et en large en le présentant comme la pomme de discorde entre le Maroc et l’Espagne (Voir encadré).
Découvert par en 2016 par des scientifiques britanniques, le Mont Tropic regorge de terres rares ou plutôt stratégiques, ces gisements précieux de l’après-pétrole qui a déjà commencé et détermine les nouveaux contours des alliances géopolitiques sur fond de rivalités acharnées recomposées essentiellement autour des États-Unis et la Chine, l’Union européenne étant à la traîne dans ce domaine. L’objectif pour ces deux grandes puissances étant de sécuriser leurs réserves dans la perspective de la transition énergétique mondiale en cours qui induit des besoins accrus en ces minerais appelés avec ces 17 éléments cruciaux connus à remplacer les énergies fossiles jugées hautement polluantes. La neutralité carbone passe par ces lanthanides qui sont partout: smartphones, véhicules électriques, ordinateurs, télescopes réfractaires, tubes fluorescents, éoliennes et panneaux solaires… D’autres minerais, associées à des éléments radioactifs, sont intégrés dans le processus de fabrication de réacteurs et de bombes nucléaires. L’américium, par exemple, est destiné aux détecteurs de fumée et aux appareils antipollution. Ils ont également des applications militaires et servent à la fabrication de lunettes de vision nocturne, de lasers, d’appareils de communication, de GPS et d’armes de précision. D’où l’intérêt du Maroc, dont le sous-sol saharien regorgerait de minerais rares, comme acteur non négligeable dans la chaîne d’approvisionnement mondiale et un partenaire essentiel dans la coopération à long terme notamment avec les États-Unis.
Grand paradoxe
C’est dans cette optique qu’il conviendrait, selon les observateurs, de placer la reconnaissance en décembre 2020 par l’administration Trump de la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Les plus grands gisements de terres rares sont situés en Chine, et les quatrièmes réserves mondiales en Russie. Dans ce domaine, il faut compter aussi la Turquie qui possède la deuxième plus grande réserve d’éléments de terres rares au monde découverts dans le district de Beylikova en Anatolie centrale. La réserve est estimée à 694 millions de tonnes, devancée par la Chine qui en compte 800 millions de tonnes. Compte tenu de leur large spectre d’utilisation, les quantités disponibles de terres rares sont faibles dans un contexte de hausse mondiale de l’offre induite par l’explosion démographique et une accélération de l’industrialisation et de l’innovation. Ce qui devrait exercer une pression sur les réserves mondiales des terres rares dans le futur. En effet, pour arriver à la transition énergétique d’ici 2050, il faudrait multiplier par douze la production actuelle de terres rares, selon une étude réalisée par le gouvernement néerlandais. La Chine ne détient que 37% des réserves mondiales, mais elle accapare la production mondiale avec 132 000 tonnes en 2019 pour les 26 000 tonnes américaines, les 22 000 tonnes birmanes ou les 20 000 tonnes australiennes.
Ce qui signifie que la transition verte européenne dépend de la Chine, à moins que l’UE ne décide de diversifier ses sources d’ approvisionnements et d’extraire ses propres terres rares. C’est là où l’Espagne a un rôle essentiel à jouer, selon la Razon. Le pays, qui entend se positionner en leader en matière des technologies propres, dispose d’importants gisements de minéraux stratégiques. Du coltan à Cáceres, du lithium à Ciudad Real et du tellurium dans le fond marin des Canaries dont Madrid revendique la souveraineté. Selon les données de la Confédération nationale des exploitants miniers et métallurgistes, l’Espagne a suffisamment de potentiel pour devenir après la Finlande le deuxième pays producteur de terres rares de l’UE, région du monde plutôt mal lotie en gisements, relativement abondants dans la croûte terrestre et dont l’extraction est compliquée et les procédés raffinage très onéreux et polluants qui infligent de lourds dommages à l’environnement. Là réside le grand paradoxe de cette course vers la décarbonation des systèmes de production au nom de la lutte contre le changement climatique : ce nouveau monde que l’on nous promet décarbonée grâce au recours aux énergies propres n’a rien de propre.
Tropic, monts et merveilles…
De nature volcanique, « Le Mont Tropic » est une grande montagne marine de 3.000 mètres de hauteur située à 1. 000 mètres de profondeur. Ce site regorge de “croûtes” de ferromanganèse saturées de métaux stratégiques comme le Tellure utilisé dans la fabrication de divers appareils sophistiqués. Le Mont Tropic se trouve à moins de 200 milles nautiques des îles Canaries. Ce qui a poussé l’Espagne dès 2014 à faire une demande à l’ONU pour que son plateau continental soit étendu à 350 milles marins (648 kilomètres). Ce qui augmenterait sa souveraineté sur près de 300. 000 kilomètres carrés d’océan, soit la superficie de l’Italie.
Après la délimitation de la zone économique exclusive (ZEE) maritime initiée et officialisée par Rabat, le 30 mars 2020, le Mont Tropic est passé sous le giron marocaine en vertu de la convention des Nations Unies de 1982 sur le Droit de la mer, dite de « Montego Bay ». Les dispositions de cette convention stipulent clairement que les États sont souverains de droit sur une ZEE qui s’étend à 200 milles des côtes en l’absence de pays tiers. En plus, cette ZEE peut être étendue jusqu’à 350 milles marins de ses côtes, sous réserve d’un plateau continental continu. Selon la même convention de Montego Bay, les îles d’un État ne donnent pas de droit à une ZEE mais juste à « une mer territoriale » de 12 milles (22 km). Cette définition s’applique aux îles Canaries puisqu’elles ne forment pas un État, mais juste un archipel appartenant à un État central, l’Espagne en l’occurrence.