Engagé dans un développement à marche forcée, le Maroc rêve son avenir touristique en grand et c’est tant mieux pour le pays qui va gagner en infrastructures modernes et aux normes. En attendant, certaines questions se posent…
Déterrement du fameux projet du métro de Casablanca, libération du domaine maritime à coups de pelleteuses autoritaires, mise en place du tri sélectif des déchets…
L’effet coupe du monde 2030 de football, que le Maroc co-organise avec l’Espagne et le Portugal, se fait déjà sentir. Pas seulement dans le discours politique mais dans la pratique aussi, à la grande satisfaction de tous. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ? Avec le recul, l’on ne peut que se féliciter de la persévérance de S.M le Roi Mohammed VI qui a fini, après pluseiurs tentatives infructueuses, par concrétiser le rêve de toute une nation, celui d’abriter la plus prestigieuse des compétitions sportives sur son sol.
L’échéance du mondial a ceci d’extraordinaire qu’elle oblige les décideurs à mettre les bouchées doubles pour accomplir tout ce que les gouvernements précédents ont négligé ou laissé en plan, soit par incurie, incompétence ou les deux à la fois, dans des domaines pourtant essentiels. Il est clair pour tout un chacun que le déficit est principalement considérable dans tout ce qui a trait aux aménités urbaines et environnementales qui contribuent à rendre une ville plus attractive en termes de mobilité et de loisirs…Ni bande cyclable ni couloirs pour bus. Les carences et les défaillances sont légion dans toutes les villes du pays. La palme de l’imprévoyance klaxonnante a été décrochée quand il s’est agi de réinventer le transport à Casablanca et le rendre plus fluide. Le choix s’est porté paradoxalement sur le tramway, un mode locomotion désuet qui, pour ajouter à la complexité du problème, s’est accaparé la part du lion des grandes artères tout en le faisant rouler en site propre pour des raisons de sécurité ! De ces choix malheureux ont résulté le rétrécissement des grandes artères dédiées au tram et des bouchons en permanence sur fond de perturbation de la circulation.
Comme si ce rétrécissement hautement préjudiciable n’était pas suffisant , les élus dans leur infinie perspicacité ont gratifié les Casablancais du Busway qui s’est adjugé ce qui reste des avenues. En route pour la planification du désordre urbain !
Le tramway en site propre a fait également une grande victime collatérale, les commerces bordant les deux côtés de sa voie de circulation en raison de l’interdiction de stationner imposée par la réduction de la chaussée. Au lieu de faire marcher le business, le Tram marocain le tue sans contribuer, autre énorme paradoxe, au renouveau commercial du centre-ville, en proie depuis longtemps à un délabrement scandaleux. L’erreur originelle vient sans doute du fait que le tram a été conçu juste comme un simple moyen de transport qui déplace la foule des usagers d’un point à un autre et non comme un outil d’aménagement urbain tourné vers les objectifs de requalification urbaine et planifiés dans la rationalité par les politiques de la ville. En voilà une drôle de gouvernance locale qui roule à l’on sait quelle carburant de génie puisqu’elle œuvre non pas pour réinventer les mobilités et atténuer le caractère invivable de la circulation mais pour la rendre encore plus cauchemardesque. Standing ovation.
Normes
Quant à la gestion des déchets ménagers, le retard est encore plus important avec moins de 10% valorisés dans un pays qui pratique encore l’enfouissement au lieu de recourir au recyclage et à la valorisation, procédé en ligne avec les impératifs du développement durable.
Principal atout géographique du Maroc qui représente sa grande richesse économique, le littoral n’a pas non plus bénéficié de l’intérêt qu’ il méritait de la part des pouvoirs publics. Preuve, il a été livré depuis plusieurs décennies aux professionnels des micmacs de la gestion locale via un système d’autorisations opaque qui a enfanté de l’immobilier en front de mer au détriment de véritables stations balnéaires à haute valeur ajoutée touristique. Que ce soit à Casablanca, El Jadida, Rabat, Agadir et Tétouan, le domaine public a été envahi au fil du temps par diverses constructions souvent anarchiques en violation des dispositions de la loi littoral de juin 2015 et en dehors de tout contrôle des responsables. L’organisation de la coupe du monde sur le sol national leur a fait subitement prendre conscience de l’ampleur de la dilapidation du foncier littoral et de l’immense gâchis que son bétonnage hideux présente sur tous les plans : économique, touristique, urbanistique et écologique. Résultat : les autorités ont envoyé récemment bulldozers et pelleteuses pour faire table rase, sans donner le temps nécessaire aux exploitants, qui possèdent souvent des autorisations délivrées par la commune, de préparer leur déménagement contraint. Ni indemniser ceux qui vivent des petits métiers de l’écosystème balnéaire ou halieutique. Ni informer l’opinion publique sur les nouveaux desseins que les pouvoirs publics nourrissent pour les zones libérées. Les séquences de ces opérations de démolition, relayées à grande échelle dans les réseaux sociaux, ont choqué au-delà des frontières par leur brutalité. Dans ce dossier, l’État a usé légitimement de son autorité mais l’art et la manière n’y étaient pas.
Les gouvernants regardent désormais le pays avec les lunettes de la plus grande fête planétaire organisée par la Fifa. Pas de droit à l’erreur. Il faut que le pays soit prêt pour accueillir dans de bonnes conditions quelque 26 millions de touristes qu’il faudra loger, nourrir et blanchir tout en lui permettant de passer du bon temps et découvrir des mille et un attraits. Le Maroc rêve son avenir touristique en grand et c’est tant mieux pour le pays qui va gagner en infrastructures modernes et aux normes. Les normes ! Au-delà des retombées financières de la coupe du monde, c’est le plus grand gain que le Royaume, engagé dans un développement à marche forcée, puisse tirer de cette manifestation prestigieuse. Apprendre à faire les choses dans les règles de l’art, loin de la culture des approximations et de l’improvisation habituelle qui réserve souvent bien des mauvaises surprises. Pour cela, il faut plus que l’hospitalité et le partage qui font la réputation du Maroc. Besoin vital de déployer sur le terrain et aux avant-postes un capital humain bien formé et animé d’un esprit de professionnalisme à toute épreuve. Ce qui est une autre paire de manches…