Le Maroc a amorcé son entrée dans le marché mondial du cannabis médical avec la tenue du premier conseil d’administration de l’Agence chargée de l’encadrement de cette nouvelle activité économiquement prometteuse.
Conformément aux dispositions de la loi 13.21 relative aux usages licites du cannabis, l’agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC) a tenu son premier Conseil d’administration, jeudi 2 juin à Rabat, sous la présidence du ministre de l’Intérieur, Abdelouafi Laftit.
A l’issue de cette réunion, le département de tutelle a rendu public un communiqué où il a rappelé la mission de l’agence en question, à savoir mise en œuvre de la stratégie de l’État dans le domaine de la culture, de la production, de la fabrication, de la transformation, de la commercialisation, de l’exportation du cannabis et de l’importation de ses produits à des fins médicales, pharmaceutiques et industrielles, indique un communiqué du ministère de l’Intérieur. Concrètement, le travail de l’ANRAC, qui agit conformément aux engagements internationaux du Royaume en matière du contrôle de l’usage licite de la plante, englobe à la fois l’encadrement et le développement de la filière dans toutes ses phases depuis la production des semences jusqu’à la commercialisation du produit final.
Intérêt médical
La valorisation de la plante précieuse à des fins thérapeutiques étant du ressort d’opérateurs probablement agréés. Ceux qui croient que cette décision sans précédent est de nature à leur ouvrir la voie d’une reconversion libre de toute contrainte en seront pour leurs frais. La culture du cannabis, dont le commerce et l’usage à des fins récréatives est toujours interdit, restera limitée aux zones historiquement productrices. En vertu d’un projet de décret d’application du 3 mars 2022 approuvé en conseil du gouvernement, trois régions ont été retenues pour la culture de cette plante. Il s’agit d’Al Hoceima, Chefchaouen et Taounate, avec la possibilité d’impliquer d’autres régions en fonction de la demande des investisseurs locaux et étrangers pour les activités liées à la chaîne de production du cannabis. Une révolution. Fini le climat de clandestinité et de peur des autorités, qui régnait dans les champs de culture du fameux haschisch. Désormais, on cultivera le cannabis comme on cultive le blé. A ciel ouvert. Au vu et au su de tous.
L’Agence est chargée aussi de réglementer et d’assurer le suivi et le contrôle de l’ensemble des opérations relatives au cannabis et à ses usages licites, conformément aux engagements internationaux du Royaume, ainsi que de veiller à l’organisation et au développement des différentes étapes de cette activité, de la production des semences jusqu’à la commercialisation du produit final. L’agence devra également mettre en place les premières coopératives de transformation et de fabrication, composées exclusivement de cultivateurs locaux. Le changement de braquet des pouvoirs publics marocains à l’égard de la plante la plus controversée est aussi une victoire pour les défenseurs du cannabis thérapeutique. Ce changement fait suite à la décision adoptée le 3 décembre 2020 par la commission des stupéfiants des Nations unies (CND) lors de sa 63e session. Celle-ci avait statué favorablement sur l’avenir juridique de cette drogue douce : 27 membres se sont prononcés en faveur de sa reclassification, 25 autres se sont exprimés contre et une personne s’est abstenue. Il s’agit d’une grande victoire pour les partisans du cannabis et ses consommateurs invétérés aux quatre coins du monde, vu que la plante, ainsi que sa résine, étaient jusqu’à présent considérées comme des substances favorisant fortement l’abus et ayant un très faible intérêt médical.
Créneau porteur
Ce changement de classification est conforme aux recommandations de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) qui s’était appuyée sur des études scientifiques pour émettre un avis favorable à l’utilisation du cannabis à des fins médicinales. Celui-ci est utilisé depuis plusieurs années dans la conception de médicaments à l’instar de l’opium ou la morphine. Reste à obtenir la même requalification au niveau du droit international qui le considère comme un stupéfiant frappé d’interdiction et dont le commerce est considéré comme un trafic illicite. La légalisation du cannabis thérapeutique par le Maroc ouvre des perspectives prometteuses pour le pays qui compte parmi les plus gros producteurs mondiaux de cette plante. Alors que beaucoup d’États ont dépénalisé depuis longtemps la culture et la commercialisation du cannabis à des fins thérapeutiques, les autorités marocaines avaient longtemps hésité à s’engager sur cette voie malgré l’appel du Parti Authenticité et Modernité (PAM) qui est allé jusqu’à déposer un projet de loi sur un usage contrôlé du cannabis. Or, le Maroc ne pouvait pas rester en dehors de cette dynamique et se couper d’une manne fabuleuse alors que de nombreux pays y compris dans le continent africain se sont déjà lancés dans le business du cannabis médical. Le Lesotho, un petit pays de 2,1 millions d’habitants, est devenu en 2017 le premier pays africain donner son feu vert pour la culture du cannabis médicinal. Un an plus tard, c’était au tour de l’Afrique du Sud qui est allé jusqu’à légaliser, sur décision de sa Cour constitutionnelle, la consommation de la marijuana récréative. Le 16 décembre 2019, le gouvernement zambien décide à son tour d’autoriser la culture du cannabis sur son territoire tout en affichant sa volonté de l’exporter à des fins médicinales et économiques. Classé au rang de 4e producteur mondial de haschich par l’ONU en 2017, le Liban désireux de relancer son économie ravagée qui pourrait profiter d’un milliard de dollars chaque année au titre de l’export de la plante très prisée dont Israël voisin, a déjà dépénalisé l’usage thérapeutique du cannabis.
En pleine expansion, le business du cannabis est appelé à se développer dans les années à venir. Selon une étude du cabinet Arc View Market Research, le cannabis à des fins thérapeutiques a réalisé aux Etats-Unis – qui en interdit cependant l’usage récréatif à l’échelle fédérale – un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars en 2016, soit 30 % de plus qu’en 2015, et pourrait générer plus de 21 milliards de dollars d’ici 2023. Une manne fabuleuse qui fait saliver bien des pays, au rang desquels figure le Canada. La légalisation du cannabis par ce pays de l’Amérique du nord, en octobre 2018, a ouvert un créneau porteur pour la commercialisation du cannabis thérapeutique, de bien-être et récréatif. Une poignée d’entreprises comme Aphria, Cronos, Canopy Growth, Aurora Cannabis, OrganiGram, Canntrust et Tilray ont investi le secteur et œuvrent sans relâche pour mettre au point une gamme de produits dérivés afin de conquérir de grandes parts de marché à l’export. En somme, Il y a beaucoup de blé à ramasser grâce au cannabis médical. Il faut juste oser et cultiver la bonne approche. Les pouvoirs publics misent sur le « développement soutenu » du marché mondial du cannabis médical, avec des prévisions de croissance moyenne annuelle de l’ordre de 60 % en Europe, le «marché cible » du Maroc, selon un document du ministère de l’intérieur publié en 2021. De leur côté, Les experts évaluent à un milliard de dollars le potentiel du marché du cannabis médical en Europe. Réputé pour la qualité de sa plante, le Maroc a donc tout à gagner à développer dans la légalité sa filière « cannabicole» contrôlée jusque-là dans son aspect récréatif par les réseaux de trafiquants.