Le nombre irrationnel de la faillite

Abdellatif Miraoui, ministre de l’Enseignement supérieur.

Les incohérences de la loi  01.00 portant organisation de l’enseignement supérieur et certaines de ses conditions invraisemblables commencent à faire des dégâts dans les rangs des  écoles privées à filières accréditées.

Ces derniers sont confrontés à un sérieux problème qui menace leur existence : la désinscription d’une partie de leurs étudiants, subsahariens et même marocains. Cette transhumance n’est pas due, comme on peut être tentés de le penser de prime abord, à une quelconque défaillance liée à la qualité de la formation dispensée. Loin de là, puisque l’obtention de l’accréditation de leurs filières enseignées de la part du ministère de tutelle après évaluation d’une commission dédiée est en soi une reconnaissance de la qualité sur les plans à la fois pédagogique, administratif et organisationnel. Un cran au-dessus des « filières accréditées », la loi 01.00 a prévu un statut supérieur, la reconnaissance de l’État. Il s’agit d’une espèce de label qui correspond à un « niveau de qualité élevée » curieusement lié au nombre d’étudiants inscrits, fixé à 300 minimum, que tout école privée de l’enseignement supérieur  doit atteindre au bout de la troisième année d’activité si elle veut obtenir ce drôle de sésame administratif. Faute de quoi, pas de reconnaissance de l’État!

Avouez que ce critère manque pour le moins de bon sens car basé uniquement sur la quantité et non sur la qualité. Par quel subtil cheminement intellectuel, les auteurs de la loi  01.00 ont fixé le plafond à 300 ?   Pourquoi 300 et non pas 200, 450 ou 699 ?!!!  Selon un patron d’un institut supérieur privé, le chiffre 300 cache une volonté de massification de l’enseignement privé (le chiffre de 300 passe à 1000 pour les universités payantes) qui n’est en rien un critère d’efficience  de la formation ou de performance. La reconnaissance de l’État comme marque  aurait un sens si elle était corrélée,  par exemple, au taux d’insertion des lauréats des  établissements concernés dans le marché du travail qui est un indicateur  significatif de la qualité du diplôme…Et puis, l’objectif n’étant pas in fine la lutte contre le chômage des jeunes diplômés qui ne cesse de grimper dans ce pays?  (près  3 chômeurs sur 10  selon une note d’août 2022 du HCP) ?  

Sauf à vouloir privilégier sciemment la quantité au détriment de la qualité, la condition des 300 est une aberration.  «  Le nombre d’inscrits dans une école a plutôt un rapport avec sa rentabilité, fait remarquer un expert éducatif. Il ajoute : « Pourquoi imposer des effectifs fixés à 300 aux écoles dont les patrons veulent appliquer une politique sélective » ? Un enseignant renchérit : «  Certaines écoles opèrent sur un marché de formation de niches qui les empêche d’avoir des effectifs importants et il est injuste de les pénaliser par un argument lié  au volume ».  

Avouez que le chiffre de 300 est tiré par les cheveux. Il n’est porteur d’aucune utilité, sauf celle de privilégier les établissements d’enseignement privé dont la stratégie est de faire du chiffre (inscrire plus pour gagner plus) qui les qualifie à obtenir la reconnaissance de l’État. En plus,  les dirigeants de ces établissements  se servent de l’argument des effectifs  pour dénigrer les écoles à filières accréditées en colportant une fausse allégation selon laquelle leurs diplômes n’ont pas d’équivalence à ceux délivrés par les établissements reconnus par l’État. Ce qui priverait les lauréats des écoles à filières accréditées d’accéder à la fonction publique.

Voilà comment une condition inconséquente, incarnée par ce nombre irrationnel,  créée par la loi 01.00,  installe une confusion dans les esprits des étudiants qui  pour certains d’entre eux préfèrent de se désinscrire des écoles à filières accréditées et  migrer vers les établissements concurrents possédant la reconnaissance de l’État.

Nous sommes bel et bien face à un argument discriminant qui pénalise grandement une catégorie d’établissements d’enseignement privé, non pas sur la base de la qualité de la formation dispensée mais sur la base de la quantité d’étudiants inscrits au profit d’une autre catégorie qui organise directement ou indirectement le débauchage des étudiants des enseignes des filières accréditées.

Cette affaire des 300 étudiants minimum, synonyme de faillite pour les écoles qui ne justifient pas de ce chiffre magique, a donné lieu à certaines entourloupes. Pour atteindre le chiffre minimum requis et décrocher la reconnaissance de l’État, certaines écoles n’hésitent pas en effet à tricher en accordant des réductions substantielles sur les frais de scolarité. L’envers de décor de cette pratique ? Faire du chiffre sans être exigeant quant au niveau des étudiants en termes de prérequis et de connaissances. La Loi 01.00 est-elle une loi nulle ?

Corvée pour les présidents d’université…

«Les diplômes délivrés par les établissements d’enseignement supérieur privé reconnus par l’État, sont visés par le président de l’université désigné par voie réglementaire », stipule un article de la loi 01.00. Cette disposition pour le moins curieuse se traduit concrètement par l’obligation pour le président de l’université Hassan II à Casablanca, par exemple, d’apposer sa signature sur les diplômés délivrés chaque année par plusieurs dizaines d’établissements de l’enseignement privé opérant sur le territoire de la ville. Imaginez un peu l’ampleur de la charge de travail que cette tâche fastidieuse  occasionne pour ce responsable qui supervise déjà une trentaine de facultés et qui doit avoir mieux à faire que de viser des montagnes de diplômes… Et puis à quoi rime l’obligation faite aux présidents des universités d’apposer leur visa sur des diplômés délivrés par des établissements de formation privés ? Qu’est-ce qu’ils ont à voir avec le secteur de l’enseignement payant ? Cette imprimatur serait-elle un gage de qualité de la formation dispensée ou une simple formalité qui ne mange pas de pain ou un exercice pour se dégourdir les mains ?

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