Tout à sa volonté de montrer les dents et de sévir, le ministre de l’Éducation nationale mise sur la sanction financière et leur suspension comme moyens d’affamer les récalcitrants. Mais est-ce la bonne approche ?
Le désarroi parents des élèves de l’école publique se poursuit et s’accentue. La grève longue durée des enseignants n’est pas terminée. Répondant à l’appel des coordinations nationales et régionales, noyautées par les intégristes de Al Adl Wal Ihssane et les gauchistes de Annahj Addimocrati, quelques milliers d’enseignants ont démarré l’année 2024 avec un nouveau débrayage les mercredi 3, jeudi 4 et vendredi 5 janvier ! Contrairement à leurs collègues affiliés aux quatre principaux « syndicats représentatifs » du secteur ( CDT, UGTM, UMT, FDT), ils ont fait le choix de la poursuite des manifestations et du refus de la main tendue du gouvernement. Une main tendue sous forme de deux accords (le premier conclu le 10 décembre et le second intervenu le 26 du même mois). qui ont permis l’amendement en profondeur du statut unifié à l’origine de la plus grave sociale que le pays eut à connaître, débouchant sur une désertion des classes de près de trois mois. Et ce n’est pas fini. Le massacre éducatif continue. Une situation inédite dans les annales mondiales puisque même dans les pays en guerre ou sous occupation, comme en Cisjordanie par exemple, les enfants vont à l’école… Il y a maldonne…
Parmi les nouvelles mesures du nouveau texte, l’instauration d’un régime spécial d’évaluation de la performance professionnelle, sur des critères mesurables, qui prend en compte les spécificités du secteur de l’enseignement, ainsi que l’octroi d’une indemnité, ratifiée sur la base de l’accord du 10 décembre 2023, aux fonctionnaires classés au grade exceptionnelle (hors échelle), dont le montant mensuel est fixé à 1.000 DH, à partir du grade 3 au lieu du grade 5. Le nouvel accord prévoit également une revalorisation des indemnités complémentaires aux enseignants agrégés d’un montant mensuel net de 500 DH, qui sera calculée à la retraite, en plus d’une augmentation à hauteur de 300 DH des indemnités mensuelles des conseillers d’orientation et des conseillers de planification pédagogique. Les mécontents, qui rejettent ces nouvelles dispositions, considèrent que les avancées introduites bénéficient plus aux cadres pédagogiques comme les inspecteurs et non aux enseignants qui sont les principaux acteurs de la réforme.
Pour pousser les jusqu’aux boutistes à reprendre le chemin des classes, le ministre de tutelle Chakib Benmoussa, qui n’est pas au bout de ses peines, a relancé la retenue sur salaires.
Inégalité
Une approche pécuniaire qu’il a défendue lundi 8 janvier devant les députés en rappelant que si « la grève est un droit garanti comme le stipule la constitution », la loi, elle, introduit le principe du salaire en contrepartie du travail ». Tout à sa volonté de montrer les dents et de sévir, M. Benmoussa mise sur la sanction financière et la suspension comme moyens d’affamer les récalcitrants qui finiront, une fois que leurs poches sont vides , de reprendre leur travail pour pouvoir manger. Une bonne fausse idée ou un faux calcul. Car ce n’est pas sûr que cela se passe ainsi, les grévistes s’arrangeant pour la plupart à vivre sur des parents désemparés en donnant des cours supplémentaires à leurs enfants… Ce qui est certain en revanche c’est qu’en attendant que les grévistes aient suffisamment l’estomac dans les talons pour exprimer malgré eux un appétit pour le travail, ce sont une partie des élèves qui sont sacrifiés… Est-ce normal et acceptable que certains vont à l’école alors que d’autres continuent à être privés de cours? Le Maroc est déjà plombé par un enseignement à deux vitesses (privé et étatique) et voilà qu’on invente par l’on sait quel cheminement intellectuel une inégalité devant l’école publique !
Soyons clairs ! La retenue sur salaire, dont la seule vertu est de faire durer le bras de fer en aggravant les tensions dans un secteur stratégique déjà mal en point, n’est pas appropriée dans le contexte de l’Éducation nationale. Cette mesure qui fait partie de l’arsenal des sanctions en entreprise est conçue moins pour sanctionner le salarié que pour réparer l’employeur. Question à mille dirhams : Que gagne l’État marocain à être dédommagé dans le conflit social avec le corps éducatif ? La bonne approche, juste et responsable, ne consiste-t-elle pas à tout mettre en œuvre pour stopper définitivement ce très mauvais feuilleton et libérer les élèves pris scandaleusement encore en otage par une gestion désastreuse de ce dossier hautement important pour l’avenir de la nation ?
Plus indiquée dans ce genre de crise, la réquisition est plus efficace du fait qu’elle permet à tous les élèves du public de reprendre immédiatement les cours dont ils ont été privés depuis plus de trois mois. Mais tel n’a pas été curieusement le choix du gouvernement bien parti pour planter le dernier clou dans le cercueil d’une école publique agonisante…
Gestion à la petite semaine…
Prolonger l’année scolaire d’une semaine, accorder plus d’heures de cours aux niveaux diplômants pour permettre aux élèves de boucler le programme scolaire convenablement, Insister sur les apprentissages de base qui entrent dans le programme de l’année suivante, renforcer les mécanismes de soutien scolaire, adopter une certaine agilité dans la programmation des examens régionaux, reporter d’une semaine, les dates des examens unifiés nationaux, régionaux et provinciaux, fixer la date de l’examen du Baccalauréat au 10 juillet 2024 au lieu du 3 juin. Telles sont les mesures adoptées par le ministère de tutelle dans la foulée du deuxième accord signé le 26 décembre 2023 entre le gouvernement et les quatre principaux syndicats du secteur. Sauf que cet accord n’a pas permis d’atteindre l’objectif escompté par tous : mettre fin à la grève du corps enseignant dans sa totalité et aborder l’année 2024 sans débrayage dans l’école publique. Objectif raté puisque les coordinations des enseignants ayant décidé de jouer les prolongations…Les contours d’une année blanche se dessinent à l’horizon. Et puis, une semaine pour rattraper le temps perdu qui se compte en trois mois, voire plus c’est comme prétendre résorber le déficit de plusieurs litres d’eau avec quelques gouttes. Cette façon de faire brouillonne porte un nom: La gouvernance à la petite semaine. Ce dossier pourri de statut unifié initialement mal pensé suivi de reculades politiques sur reculades habillées en négociations syndicales, a accouché d’un drame national. Au lieu de chercher la bonne méthode pour sortir de ce pataquès qui a fait tant de mal au pays, Chakib Benmoussa n’a rien trouvé de mieux que de recourir aux retenues sur salaires et aux suspensions des enseignants refuzniks . En somme, le meilleur moyen pour radicaliser davantage le mouvement de contestation et plonger davantage l’institution scolaire dans le chaos et la médiocrité. Tout cela manque de sérieux, de vision et de classe.
A.C