Les intermédiaires font la loi

Repenser en profondeur les circuits de commercialisation des fruits et légumes…

L’escalade vertigineuse des prix des produits agricoles dans les marchés est plus la résultante d’une multiplicité des intermédiaires que d’une quelconque loi de l’offre et de la demande ou d’un jeu de la concurrence. Il est temps d’en finir avec ces rentiers nuisibles par la modernisation et la transparence  des circuits de commercialisation.

Au Maroc, l’inflation galopante est venue se greffer sur un phénomène bien de chez nous, la multiplicité des intermédiaires. Sous les effets croisés de ces deux problèmes aggravés par la faiblesse de l’offre en légumes et viandes rouges pour des raisons plus ou moins objectives, le panier de la ménagère a flambé au-delà du supportable. Du coup, la pitance quotidienne, tournant essentiellement pour la population des smicards et autres démunis autour d’un tajine aux légumes avec un morceau de viande, devient hors de portée. Pour désamorcer la colère sociale qui commence à couver, le chef du gouvernement a appelé, jeudi 9 février,  ses ministres à descendre sur le terrain afin de «lutter contre la spéculation» et traquer les pratiques «opportunistes». Ce qui a permis à la non moins très chère télé de Laraïchi de diffuser les images d’une armada de contrôleurs se livrant au contrôle des prix des principales denrées alimentaires dans nombre de marchés et souks de plusieurs villes. Pour les sceptiques, cette séquence relève de la pure consommation médiatique, visant à montrer que les pouvoirs publics agissent contre les coupables et veillent au grain. Au fait, sur quelle base légale et transparente, ces contrôleurs peuvent-ils prétendre faire objectivement leur travail alors les marchands de fruits et légumes et autres denrées alimentaires travaillent dans l’informel ? Comment définir le juste prix de vente au public sans facturation, qui permet de connaître le prix d’achat, le coût de revient d’une marchandise et de savoir si tel ou tel commerçant  gonfle ses marges au-delà du raisonnable  ?  

La mission des services de la division des affaires économiques rattachés aux préfectures, dont l’action est au demeurant souvent occasionnelle, ne saurait être efficace que si elle s’inscrit dans la régulation des marchés sous l’angle concurrentiel. Or, l’absence de concurrence est la caractéristique première des marchés traditionnels de divers produits alimentaires. Les commerçants fixent le prix de vente en fonction de plusieurs paramètres qui ne sont pas les mêmes pour tout le monde. C’est sur ce circuit opaque, toléré par les autorités, qu’a prospéré la mafia des intermédiaires. Celle-ci s’est toujours invitée au festin pour dévorer au quotidien le pouvoir d’achat des Marocains en réalisant des marges considérables.  Qu’il s’agisse des fruits, légumes, poissons et viandes blanches, ces rentiers s’enrichissent de manière indue sur le dos à la fois des producteurs et des consommateurs. Les bénéfices réalisés, qui échappent en plus au fisc, peuvent se justifier à la rigueur si  les intéressés agissaient en entreprises avec des salariés et des charges ou si leurs gains venaient récompenser des efforts de valorisation, d’investissement et d’innovation.

Opportunistes

Ces opportunistes agissent à titre personnel- ni employés  ni dépenses- et gagnent beaucoup d’argent sur des denrées qui sont des biens de consommation à l’état naturel, issus directement des champs. Bien plus surprenant encore est la passivité chronique des pouvoirs publics face à un fléau connu qui menace la paix sociale du fait de la vie de plus en plus chère pour le citoyen lambda pour qui la pitance quotidienne de base, entre pression inflationniste et jeu néfaste des intermédiaires,  est devenue très difficile à assurer. Est-ce une fatalité aussi de subir en permanence dans ce pays la loi de ces opportunistes, désignés par la vox populi par les « Chennakas » en référence à ces revendeurs ruraux qui dans les souks aux ovins tiennent les moutons par le collier ?  N’existe pas d’alternative à mettre en œuvre pour réduire la chaîne des intermédiaires entre le producteur et le consommateur?  La meilleure réponse au renchérissement alimentaire, provoquée en grande partie par ce service d’intermédiation nuisible et illégal, est offerte par les circuits courts, définis comme  «un mode de commercialisation des produits agricoles qui s’exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte à condition qu’il n’y ait qu’un seul intermédiaire». Ce dispositif qui a fait ses preuves sous d’autres cieux  peut parfaitement émerger dans le contexte national, à la faveur de  cette hausse des prix vertigineuse des produits alimentaires de base produits localement. Un tel dispositif gagnant-gagnant car bâti sur une relation transparente entre le vendeur et l’acheteur, n’a que des avantages : il permet d’un côté au producteur agricole ou avicole de vendre sa marchandise au juste prix, et au consommateur de s’approvisionner à des tarifs raisonnables, de l’autre. En attendant le sursaut, force est de constater que le système agricole marocain ne protège pas assez les petits producteurs tournés vers le marché local qui sont livrés constamment à la mafia des intermédiaires et autres spéculateurs. Tous comptes faits, ce sont les vrais profiteurs qui , crise ou pas, sucent le sang des paysans et des consommateurs. Cette situation est d’autant plus injuste et scandaleuse que ces rentiers n’apportent aucune valeur ajoutée sur la chaîne de commercialisation.

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