Le Maroc s’apprête déjà à reconstruire et à aider à reconstruire en débloquant des subventions aux sinistrés. C’est bien beau tout ça mais… comment ? Comment reconstruire ? Deux termes viennent immédiatement à l’esprit, quand on se pose ces questions : « normes parasismiques » et « respect de l’écologie ».
Inutile d’expliquer pourquoi des normes parasismiques sont nécessaires. Ces normes devraient même être appliquées partout ailleurs, compte tenu du caractère dévastateur de ce séisme qui a frappé de plein fouet une vaste étendue du territoire marocain. Les séismes, le Maroc n’en est pas immunisé. Agadir, Al Hoceïma, et maintenant le Haut-Atlas, pour ne citer qu’eux… Ça fait un peu trop, pour ne pas prendre les mesures qui s’imposent. Certains pourraient se demander si c’est réaliste ou non. Mais là n’est pas la question. Car c’est tout simplement nécessaire. On ne va quand même pas en attendre un autre, avant de se décider… Ne mâchons pas nos mots : ce serait presque criminel ! Ne serait-ce que, entre guillemets, par négligence.
Et pour ce qui est du respect de l’écologie, eh ben ce n’est plus vraiment un luxe « si l’on donne foi » à tous les efforts déployés par le Maroc dans le domaine du développement durable . Il se met même à l’hydrogène vert. Ben alors ?! Puisqu’on s’y met, au vert, autant s’y mettre, vraiment ! Et pas seulement quand c’est rentable.
En parlant de ça…
Des bruits de couloirs affirment que le Conseil de l’ordre des architectes de Marrakech s’apprête à proposer au gouvernement des réflexions sur la reconstruction qui n’écarte pas l’option de l’utilisation de matériaux locaux. L’un des initiateurs de cette proposition, Oussama Moukmir, constructeur en matériaux locaux, acteur associatif (l’association Labina) et enseignant à l’Ecole nationale d’architecture de Marrakech, nous confirme que cela est « en cours». C’est à lui que l’on doit des bâtiments dans la région d’El Haouz, dont certains proches de l’épicentre du séisme se trouvent à Tahanaout. Notre interlocuteur assure que ses bâtiments (pour ne citer qu’eux), ceux de Tahanaout, hors « quelques fissures légères à deux endroits », ont remarquablement résisté, à l’inverse des constructions implantées alentours et qui ont été, elles, partiellement ou totalement détruites. Spécialiste dans la bioconstruction, le professeur Moukmir respecte dans son bâti la norme de construction parasismique RCPT 2011. Cette norme serait utilisée, selon lui, dans plusieurs autres pays, dont il cite : « La Nouvelle-Zélande, certains Etats des Etats-Unis, le Pérou, et le Népal ». Pour le côté bio, parallèlement à cette condition parasismique, M. Moukmir ne fait jamais appel à du béton mais utilise de la terre, de la pierre, du bois, de la paille, des roseaux, du plâtre… des matériaux naturels et locaux qui, «hors la chaux qui nécessite des précautions particulières, sont sans danger et bons pour la santé», à l’en croire.
Tilt ! Tilt !
Bons pour la santé ?! Mais qu’est-ce que ça signifie ? Va-t-on les croquer, ces maisons, comme la maison de la sorcière en bonbons et chocolat du conte « Hansel et Gretel », pourrait-on se demander. Explication de l’intéressé : « Les produits de matériaux de construction comme la terre, l’argile, sont bons pour la santé. Vous savez qu’il y a des masques d’argile qui se vendent en pharmacie. Il est certainement indéniable que les argiles sont bonnes pour la santé. Quand vous travaillez un matériau comme ça, c’est-à-dire le matériau « terre », ben vous vous soignez, vous déchargez et vous avez des cataplasmes, et vous soignez votre peau en même temps que vous vous déchargez électriquement bien sûr». Euh… « Le plâtre aussi, poursuit M. Moukmir, est extrêmement bon pour la santé puisqu’on l’utilise quand on a des fractures (NDLR: ça, nous ne l’avons toujours pas compris). Ce sont des matériaux hygroscopiques qui ne nuisent pas à la santé, et qui sont très bénéfiques pour la peau». C’est donc bon prioritairement pour les maçons, si on vous suit bien, M. Moukmir? Et bien non! Pas seulement ! Car, toujours selon notre promoteur écolo, ce bon vieux professeur (qui mérite bien son titre, comme on le verra): « Ces matériaux globalement vont aussi réguler la quantité de vapeur d’eau présente dans l’air ambiant, à l’intérieur, et ils vont absorber l’excédent d’humidité quand il y en a trop. Et relibérer cet excédent quand c’est trop sec. Cela fait qu’il n’y a pas trop de fluctuations intérieures au niveau de la quantité de vapeur d’eau, ce qui fait qu’on a une qualité de sommeil exceptionnelle et qu’on ne sent pas les changements qui sont à l’extérieur». Ah ! Voilà qui devient intéressant ! Une qualité de sommeil exceptionnelle rien qu’avec quatre murs ! Yes : « Le bâtiment devient un espace assez stable au niveau de la température et de la vapeur d’eau. En plus de ça, la température ressentie de l’être humain est en fonction du taux d’humidité. 40° à Casablanca, c’est insupportable, alors qu’à Marrakech c’est tout à fait supportable. Pourquoi ? Parce que le taux d’humidité joue sur la température ressentie. Comme ces matériaux vont réguler ce taux d’humidité, ben vous allez sentir moins les fluctuations qu’à l’extérieur. Également, ces matériaux, étant donné leur densité et leur épaisseur, empêchent la pollution électromagnétique de pénétrer à l’intérieur des maisons. Donc vous dormez bien, finalement, vous êtes protégé ».
On signe où ?!
Mais d’abord, combien ça coûte tout ça, Monsieur Moukmir ? «Les coûts dépendent du standing. Le rural simple est à 1500 dirhams le mètre carré en produit fini. Et le standing urbain à 5000 dirhams/m2, également pour le fini ». Espérons donc que cela intéressera le gouvernement qui, précisons-le, en dehors des subventions qu’il accordera aux gens ayant perdu leurs chez-soi, ambitionne de reconstruire également les établissements publics détruits par le tremblement de terre. En l’occurrence environ 500 écoles, plusieurs centres médicaux, en plus des infrastructures.
Aziz Akhannouch, notre cher chef du gouvernement, la bioconstruction respectant les normes parasismiques parait vraiment sympa. Et même sans bioconstruction (il y a d’autres manières de protéger l’environnement), le respect de l’écologie est nécessaire. Surtout pour un pays touristique, porté sur l’écologie, et comptant de si nombreuses zones sismiques ! Réfléchissez-y… À toutes les options…
P.S. : Nécessaire aussi pour un pays dont beaucoup de fonctionnaires aiment encore bien dormir au lieu de travailler. Un sommeil exceptionnel, durant les heures de travail, un bon gros sommeil réparateur réparant je ne sais quoi d’inexistant, qui y résisterait?! (NDLR : on rigole… Même si ce non-respect des normes parasismiques, dans des écoles surtout, qui ont été détruites, est vraiment, vraiment, vraiment loin de nous avoir fait rire… Ils étaient où les fonctionnaires qui devaient y penser ?! En train de… dormir ?)
Entretien
« Alimenter la réglementation parasismique par le savoir-faire ancestral »
Architecte, professeur à l’Université Internationale de Rabat et gérante de l’agence « Arcs-en-ciel, architecture environnementale », Laïla Skali, explique dans cet entretien au Canard les enjeux et les avantages des normes de construction parasismiques et écologiques.
Que pouvez-vous nous dire au sujet du procédé parasismique RCPT 2011 ?
La réglementation parasismique en terre nous permet de construire de manière normative la terre alors qu’avant elle se faisait plutôt de manière historique et vernaculaire, ou bien de manière plus qualitative dans des plus grandes échelles comme les kasbahs ou les greniers ou tout le patrimoine du Sud que l’on peut avoir, mais aussi les grandes vallées comme Aït Bouguemez où on va voir même du résidentiel sur plusieurs étages. Quand on va être dans du vernaculaire, vraiment dans l’arrière-pays, on va avoir différentes qualités d’architecture, des constructions qui sont plus ou moins de de bonne qualité, mais hélas avec une grande perte de savoir-faire. Et donc, du coup, des aspects techniques de la construction qui s’affaiblissent et rendent vulnérable l’habitat. Par exemple, les toitures qui prennent l’eau, qui sont rafistolées à coups de plastique ou des choses comme ça. C’est quelque chose qu’on voit un peu dans tout l’arrière-pays du Maroc, dans toutes les campagnes, que ce soit dans les Atlas, haut ou moyen, ou ailleurs d’ailleurs. La réglementation apporte un accompagnement technique, mais peut-être qu’elle aurait besoin elle-même d’être alimentée d’exemplarité par ailleurs, justement issu de tout ce savoir-faire ancestral qui se perd parce qu’il a été transmis par l’oralité. Mais il y a des personnes qui le maîtrisent, comme Salima Naji ou d’autres, dont on pourrait tirer bénéfice et essayer de s’inspirer de leur expérience pour pouvoir alimenter cette réglementation parasismique.
Vous y êtes-vous déjà essayée, à ce type de constructions ?
La construction que j’ai pu réaliser en terre, avec une réglementation parasismique, c’est le projet du centre de formation à l’environnement qui est à Bouknadel. La réglementation nous a imposé, par exemple, une largeur de murs par rapport à la hauteur que l’on ambitionnait de réaliser. Nos murs ont donc fait 1 mètre de largeur pour une hauteur de 6 mètres. Toujours à titre d’exemple, on nous a également imposé des raidisseurs en béton et donc la terre avait plutôt un rôle d’autoporteuse plutôt que de porteuse directe du bâtiment.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est, grosso modo, une construction parasismique et écologique, simultanément ?
Une construction écologique parasismique est une construction qui va utiliser les matériaux biosourcés tout en appliquant la réglementation en vigueur parasismique mais aussi des méthodologies de renforcement écologique. Par exemple, si on construit avec des briques de terre, qu’elles soient compressées ou qu’elles soient crues, ou la daube, nous allons renforcer les coins, les quatre coins de la maison, les quatre coins des pièces, et cætera. C’est le renforcement des nœuds. En fait, c’est à ces endroits-là qu’en général les bâtiments se fragilisent et se cassent. Quand on a une construction en béton, on va renforcer entre la dalle et le poteau ou la poutre et le poteau. Ce sont ces articulations-là qui sont fortement armées. Avec de l’architecture écologique, on va faire la même chose en croisant et en doublant les briques à ces endroits-là pour les renforcer. Résultat : une architecture écologique parasismique, c’est celle qui va prendre en compte toutes les données climatiques et locales, les contraintes de site, absorber les contraintes réglementaires et aussi rajouter de l’intelligence, on va dire de la matière grise, pour pouvoir davantage encore renforcer la construction. Qui dit construction/architecture écologique dit construction qualitative et donc durabilité. Ça va de pair avec la définition de l’architecture écologique.
Étant quelque peu suspicieux, ôtez-nous d’un immense doute ! Que pensez-vous, pour des constructions parasismiques en terre, des tarifs de 1500 dirhams par mètre carré pour un standing simple fini et 5000 dirhams/m2 pour un standing urbain fini ? Surtout le second… Ce n’est pas un peu trop beaucoup, énormément cher ? On bâtit des villas pour moins de 5000 MAD/m2, non ?!
Je pense que ces coûts annoncés sont tout à fait raisonnables. Si on veut construire en terre et surtout également construire de manière écologique, cela demande de la qualité pour les bâtiments. On doit assurer la performance de l’enveloppe de la construction de manière à ce qu’on n’ait pas de déperdition, qu’on ne soit pas dans un espace trop consommateur d’énergie. Donc ça veut dire faire en sorte que tous les matériaux qui sont utilisés ne soient pas rafistolées, ne soient pas des matériaux de bricolage, mais que des matériaux qui sont en parfaite adhésion les uns aux autres, ce qui assure également la stabilité de de la construction. Donc, du coup, 1500 dirhams le mètre carré, c’est vraiment rudimentaire, je ne sais pas comment on peut y arriver, avec quelle toiture ? Personnellement, je ne connais pas de construction qualitative à ce prix-là, ça me paraît trop bas.
Et si on est autour de 5000 le mètre carré, nous sommes dans de la construction moyen standing, voire qui frôle le haut standing. Mais pas haut standing au sens matériaux de luxe et tape-à-l’œil, mais en tant que qualité de la construction. Donc si jamais on est en construction classique, on va quand même doter l’enveloppe d’une isolation pour faire en sorte qu’il y ait un confort. Ce qui nous donne une structure qui respecte la réglementation parasismique et qui ne sera pas comme les immeubles souples qu’on a pu voir dans les photos et les vidéos sur site suite à ce drame (NDLR : le séisme, bien entendu, malheureusement), qui s’écroulent comme des châteaux de carte parce qu’ils ne respectent pas la réglementation parasismique. Si jamais on est dans une construction qui respecte la réglementation en vigueur, certainement qu’on aura une structure en béton et un remplissage en terre, ou bien on sera dans la réhabilitation de bâtiments existants comme le font plusieurs acteurs au Maroc.
Ces bâtiments, dont vous venez de parler, ont-ils tenu bon, face au séisme ?
On pourra remarquer que malgré leur présence dans l’aire géographique à proximité de l’épicentre, ils sont restés, malgré tout, debout. Ils ne se sont pas écroulés, parce que leurs constructions, même si elles sont très anciennes, même si elles sont en terre, comme elles ont été réalisées de très bonne qualité, elles peuvent perdurer, et elles l’ont fait. Voilà ! La problématique va venir plus du manque de qualité plutôt que de la fonction d’être traditionnel ou pas traditionnel. A entendre par là, le manque de qualité dans la construction, le manque de qualité ou l’affaiblissement, la vulnérabilisation de la construction traditionnelle, du fait du manque ou la perte du savoir-faire.