Au Maroc, on peut siroter son expresso acheté auprès des café-mobile qui ont essaimé un peu partout aux abords des routes et des autoroutes pendant qu’une station-service itinérante vous fait le plein. Mais les autorités ont décidé de sévir contre les dealers de carburant. Enquête.
Le secteur de la distribution des carburants vient de prendre un virage pour le moins surprenant. L’apparition dans le paysage de pratiques illégales sous forme de revente des produits pétroliers jusque dans la rue ! Le scandale a éclaté récemment au grand jour suite à la circulation de vidéos montrant les véhicules d’un groupe scolaire du nom de Pythagore à Mohammedia en train de se faire ravitailler sur un terrain vague par un camion-citerne portant le nom de Novo Ride. Cette affaire a mis en alerte la Fédération nationale des propriétaires, des commerçants et gérants des stations-service qui a introduit une plainte en référé, devant la justice, ayant conduit à l’interpellation du chauffeur de cette station-service mobile et deux dirigeants du groupe scolaire en question.
Stations-service mobiles ! Il fallait y penser. Il faut remonter à l’époque de Abdelaziz Rabbah (2017-2021), alors ministre de l’Énergie et des Mines pour comprendre la genèse de ce phénomène. Selon la loi, il faut justifier d’un réseau de distribution comptant au moins 30 stations-service et une capacité de stockage conséquente pour obtenir le statut de repreneur en raffinerie des produits pétroliers, conformément à l’arrêté du ministre de l’Énergie et des Mines n° 12-82-06 du 30 juin 2006.
Tel est le nouveau ticket d’entrée sur ce marché stratégique et hautement capitalistique. Mais le ministre PJD, mû par l’on ne sait quelles considérations et quels intérêts , a assoupli en quelque sorte la réglementation en conditionnant l’obtention d’un agrément de distribution à 10 points de vente 10 seulement. Pour les dépôts de stockage qui nécessitent un grand investissement financier, les bénéficiaires des licences Rabbah ont trouvé la parade pour la contourner. Comment ? En louant les dépôts pétroliers chez certains distributeurs en mal de stratégie commerciale et marketing et peu soucieux de leur image de marque.
«Certains titulaires de ces licences parallèles n’ont pas démarré leur activité, préférant revendre l’agrément Rabbah entre 5 et 10 millions de DH», explique un expert du secteur. Bonjour l’enrichissement par simple autorisation administrative ! Résultat : le ministre PJD a injecté dans le marché quelque 25 nouvelles enseignes dont les propriétaires ne possèdent ni savoir-faire reconnu ni assise financière suffisante. Aucune valeur ajoutée pour le secteur. Fier comme un pou, M. Rabbah avait alors justifié sa démarche en séance plénière devant la Chambre des représentants le mercredi 11 juillet 2018 par son souci de « promouvoir le secteur des hydrocarbures et de renforcer la concurrence dans ce domaine ». Voire…Le résultat est là. Catastrophique. La multiplication des détaillants de carburants, un métier non reconnu par la loi et qui n’octroie ce statut qu’aux stations-service. Toute opération de revente des produits pétroliers en dehors de ce circuit légal encadré par la législation est jugée par conséquent illicite. Mais où s’approvisionnent ces dealers d’un genre nouveau?, diriez-vous. Auprès des distributeurs de petite taille qui n’ont pas le vent en poupe auprès des automobilistes, pardi ! Entre une grande compagnie bien installée sur le marché, offrant plus que du carburant et une enseigne dépourvue de visibilité commerciale avec des stations-service dont l’état n’inspire pas confiance, le choix du consommateur est vite fait.
Innovation frauduleuse
Ce sont ces petits distributeurs-ils se reconnaîtront aisément- qui revendent leurs produits, gasoil et essence, aux faux entrepreneurs made in Rabbah. «Les transactions réalisées s’effectuent généralement en liquide », révèle un membre de la fédération du groupement des pétroliers du Maroc (GPM). De grandes parties de cache-cash qui renseignent au passage sur le niveau de transparence et de rigueur gestionnaire au sein de ces sociétés de distribution en mal de clients.
Petits joueurs de la distribution pétrolière, ils ont une grande capacité de parasitage du marché, révélée à la faveur du scandale des stations-service mobiles. C’est la dernière « innovation frauduleuse» des opérateurs autorisés par Rabbah dont certains possèdent des dépôts de carburants clandestins aux quatre coins du pays protégés par diverses complicités locales : Recourir à des camions-citerne équipés de pompes et compteurs à carburants qui sillonnent les artères de certaines villes comme Casablanca et Rabat. Enfantées par la flambée des prix à la pompe, ces stations-service mobiles remplissent à la demande, à domicile ou dans la rue, les réservoirs des véhicules des particuliers ou des entreprises, séduits par quelques centimes en dessous des prix au litre affichés par les majors du secteur. Il faut dire que ce business parallèle fonctionne bien puisque parmi les clients des opérateurs agréés par Rabbah figurent même des stations-service de certains distributeurs ayant même pignon sur rue. Peu importe la qualité du produit ou s’il est conforme aux normes du moment qu’il est un tantinet moins cher que celui fourni par les sociétés-mère.
Pour gonfler un peu leurs marges en ces temps de crise, les gérants de certaines stations-services prennent d’autant plus tous les risques que leurs ravitailleurs clandestins leur fournissent une facture en bonne et due forme. Cette activité à la lisière de la légalité induit évidemment une concurrence déloyale livrée aux distributeurs opérant dans le cadre de la loi comme TotalEnergies, Afriquia ou Shell.
Quels recours ont-ils pour lutter contre ces pratiques préjudiciables ? « Les distributeurs reconnus n’ont d’autre alternative que de résilier leur contrat de gérance avec les stations-service indélicates ou les prendre en flagrant délit et les poursuivre en justice, ce qui nécessite une longue procédure complexe », indique un responsable d’une compagnie pétrolière. Sur cette histoire assez grave qui sent le souffre, on n’a pas entendu la ministre de tutelle la belle Leïla Benali. Visiblement, elle est toujours occupée à faire le plein du vide…