Petite révolution dans le domaine des délais de délivrance des autorisations connus pour s’allonger à souhait au Maroc. Deux décisions en la matière ont été publiées dans le Bulletin officiel du 13 juillet 2023. Qu’en est-il réellement ?
La première décision, n. 1025.23, émanant du ministre de l’Intérieur vise la simplification des procédures et des démarches administratives relevant des collectivités territoriales et leurs dépendances. Les nouveaux délais maximum d’obtention d’un certain nombre de documents administratifs sont ainsi consignés noir sur blanc : 3 jours pour l’état civil, une journée pour l’inscription du nouveau-né dans ce document, une journée pour l’autorisation d’inhumation alors que certains documents sont désormais délivrés sur le champ, séance tenante comme le certificat de décès. Dans ce domaine, les délais écourtés sont devenus très raisonnables. Bravo ! Laftit. Applaudissements. Pour ce genre de paperasse, force est de constater toutefois que les choses ont déjà beaucoup évolué, le maquis administratif de naguère ayant cédé la place à une administration diligente, au grand soulagement des usagers. Difficile de dire de même de la deuxième décision n. 1839.23 conjointement signée par le ministre de l’Intérieur et sa son collègue de l’Habitat et de l’urbanisme, se rapportant aux délais dans le secteur de l’urbanisme. Les nouveaux délais font rêver : 15 jours par exemple pour l’obtention de l’autorisation de construire pour les petits projets, 30 jours pour les grands et le même délai pour la construction d’un complexe immobilier. Passés ces délais, précise le document en question, le principe silence des administrations concernées vaut accord pour les usagers.
Blocage
Sur le papier, les choses sont claires mais le terrain est une autre histoire. La complexité et les retards n’ont pas disparu malgré toutes les réformes sur le papier. Ils ont même été institutionnalisés dans le secteur de l’urbanisme. La raison se trouve dans l’importance de ses enjeux financiers dans un pays où les fortunes continuent à être construites à l’ombre des transactions immobilières et foncières souvent opaques et douteuses… Tout le monde, professionnels du bâtiments et responsables administratifs, s’accommodent des pratiques douteuses qui minent depuis longtemps le processus de l’autorisation de construire et du permis d’habiter délivré par la commune. Cette permissivité s’est imposée comme allant de soi, continuant à favoriser l’enrichissement illicite des intervenants administratifs dans l’acte de bâtir qui prélèvent sans vergogne une dîme en noir en échange de l’accomplissement de leur travail. « Posez la question à n’importe quel promoteur immobilier notamment dans les grandes villes comme Casablanca et Marrakech, il vous dira que pour être bâtisseur il faut se lever de bonne heure. Une multitude d’intervenants (commune, agence urbaine, préfecture, sapeurs-pompiers, cadastre, régie d’eau et d’électricité) sont concernés et doivent apposer leur précieuse signature en signe d’autorisation. Ce qui équivaut à un parcours du combattant avec des allers retours incessants et harassants sur un chemin truffé d’obstacles. « Ce maquis administratif est organisé de telle sorte que le promoteur en arrive à comprendre de lui-même qu’il doit graisser la patte pour éviter l’enlisement de son projet et obtenir dans des délais raisonnables l’approbation de chacun des représentants des entités concernées par l’instruction du dossier », explique sous couvert d’anonymat un architecte à la retraite.
Un homme d’affaires de Casablanca attend depuis longtemps son autorisation de construire pour un projet commercial situé sur la route d’Azemmour. Il a beau activer son réseau de connaissances, il reçoit juste des promesses que son dossier sera réglé. Cela fait deux ans que cela dure. Les cas de ce genre sont légion et le meilleur exemple est offert par le projet de l’hôtel Marriott à Casablanca dont les travaux sont bloqués depuis 2020 sans la moindre explication malgré les décisions judiciaires donnant raison à ses deux promoteurs marocains. Ces derniers ne savent plus à quel saint se vouer et, comble de leur malheur, ils ne trouvent pas preneur même à vil prix pour le terrain qui abritait une villa, du nom de « Mauvillier » dont la démolition en pleine crise sanitaire avait défrayé la chronique sous prétexte qu’elle est inscrite au patrimoine architectural et culturel de la capitale économique alors qu’il n’en est strictement rien. Les raisons du blocage du chantier sont mystérieuses et montrent in fine que les autorités compétentes de la ville encouragent bien l’investissement.
Or, ces obstacles et autres verrous sont supposés disparaître depuis la mise en place en 2017 de la dématérialisation à l’échelle de la région de Casablanca du processus d’octroi d’autorisations d’urbanisme grâce à une plateforme baptisée Casaurba. Plus paradoxal, la digitalisation du circuit par lequel doivent passer tous les architectes de Casablanca pour l’enregistrement des dossiers de leurs clients ne s’est pas accompagnée comme l’on pouvait s’y attendre d’une réduction des délais de traitement des dossiers. Bien au contraire. Malgré l’adoption de cette plateforme numérique censée introduire une bonne dose de célérité, il faut parfois attendre jusqu’à 4 ans pour décrocher l’autorisation de construire, explique un architecte de la place. Résultat : les professionnels du secteur en arrivent aujourd’hui à regretter le système classique, le fameux guichet unique avec son dépôt des dossiers papier, qui permettait d’obtenir l’autorisation de construire au bout de 4 à 5 mois maximum. Vive la digitalisation qui traîne en longueur. Mais les promoteurs ont toujours la possibilité d’aller en justice pour se faire rétablir dans leurs droits en cas d’abus administratifs ? « Il faut être suicidaire pour s’attaquer aux principales administrations compétentes en matière des autorisations urbanistiques et dénoncer les retards monstres qu’ils infligent aux professionnels de la construction, explique un architecte qui livre l’explication: « Tenir tête aux faiseurs des permis de construire, habiter et des dérogations immobilières c’est leur donner l’occasion de vous chercher des poux dans la tête en interprétant la loi à leur guise pour vous bloquer ». En voilà un témoignage en béton.