En rupture de ban après avoir été proche du pouvoir, le truculent avocat dont le métier de faire éviter la prison aux accusés se retrouve à l’âge de 79 ans derrière les barreaux. Quelle ironie du sort !
Depuis le 21 novembre 2022, Me Mohamed Ziane est sous les verrous. Incarcéré à la prison de El Arjat à Salé. Ainsi en a décidé le procureur général près la Cour d’appel de Rabat après la confirmation par cette juridiction de la peine de 3 ans de prison ferme prononcée en première instance le 23 février dernier à son encontre suite à une plainte déposée en 2021 par le ministère de l’Intérieur pour «diffusion d’accusations et d’allégations fallacieuses ». Malgré sa condamnation, il sera laissé en liberté mais entretemps il récidive avec une vidéo où il s’en prend au pouvoir en des termes jugés irrévérencieux. Le sort de celui qui a définitivement perdu les pédales sera scellé. La descente aux enfers de l’ex-ministre des Droits de l’homme commence lorsqu’il accuse en 2020 les services de sécurité marocains d’avoir «truqué une vidéo pour présenter de façon compromettante une entrevue entre lui et une cliente mariée dans une chambre d’hôtel». L’inculpé, condamné également à une amende de 5.000 DH et à une somme de 100.000 DH au profit de la partie civile, était poursuivi pour une série de chefs d’accusation dont ceux d’«outrage à des fonctionnaires publics et à la justice», «injure contre un corps constitué», «diffamation», «adultère» ou encore «harcèlement sexuel».
Provocation
Quelques heures avant son arrestation, le bouillonnant avocat a déclaré «n’avoir jamais reçu de convocation pour comparaître devant la cour d’appel», affirmant «qu’il est jugé à cause de ses opinions». Pour sa part, son fils a fustigé «un engrenage» où était pris son père «depuis qu’il a pris position en faveur du Hirak du Rif» en 2016-2017.
Ce qui est certain c’est que Me Ziane est un agitateur-né. Et cela ne date pas d’hier. Sous le Maroc ancien, il était déjà une star du barreau et de l’hémicycle. Où il savait mettre le feu à l’ambiance. Avec un art consommé de la provocation. A sa façon. En vociférant, excité et hystérique, jusqu’à la bave contre celui qui se met en travers de sa route et ose le piquer à vif. Sur ce terrain, maître Ziane, homme du sérail et avocat du pouvoir tombé depuis en disgrâce, n’a pas vraiment changé. Dans le style, mélange d’impulsion et de témérité, qui est le sien, il est unique. Et imbattable. Sous les trémolos dans la voix et derrière les effets de manche, on devine un écorché vif non dépourvu d’un côté Don quichotte qui le rend parfois sympathique aux yeux même de ses adversaires et le pousse à défendre sabre au clair ses convictions même si cela doit lui valoir quelques inimitiés. Et les idées de Mohamed Ziane sont d’abord libérales qu’il avait défendues dans les années 90 du temps où il était député sous la bannière de l’UC contre une certaine gauche, sa bête noire, incarnée notamment par l’USFP dont il pourfendait l’idéologie à coups d’entretiens dans la presse indépendante de l’époque.
Il était un bon client qui faisait d’autant plus vendre du papier comme on dit dans le jargon qu’il se distinguait par un franc parler rare dont le Maroc de feu Hassan II n’était pas très coutumier. Un franc parler qui lui faisait dire des vérités y compris sur son propre compte.
C’est ainsi qu’il révéla un jour que Driss Basri – « il est mon ami mais c’est un roublard » – a falsifié le scrutin législatif pour le faire député de Rabat. A l’époque, seul un personnage truculent comme Ziane peut se permettre une telle révélation, sans s’attirer les foudres du régime qui s’accommodait des sorties fracassantes de ce drôle d’oiseau. Jusqu’à ce que le pouvoir, exaspéré par ses frasques à répétition notamment contre l’opposition, juge qu’il était temps de l’exfiltrer. Le ministre des Droits de l’homme qu’il est devenu en 1994 est victime d’un limogeage brutal deux ans plus tard, présenté dans le communiqué qui a annoncé la nouvelle comme un «vœu d’être démis de ses fonctions» exprimé par l’intéressé. Ainsi fonctionnait ou dysfonctionnait Me Ziane. L’avènement de l’alternance en 1998 sonne le glas des «paris de l’administration» et de ses symboles dont Mohamed Ziane était une figure emblématique.
L’ex-bâtonnier de Rabat en conçoit une certaine aigreur et crée en 2002 un parti politique du nom du Parti Libéral marocain (PLM), convaincu qu’il était d’avoir été lâché après de longs et loyaux services. C’est ainsi qu’il bascule progressivement dans l’opposition, se radicalise petit à petit en vouant aux gémonies ce qu’il avait adoré hier. Ce qui venant de lui n’a certainement pas été apprécié. D’où ses démêlés avec la justice qui ont abouti à son incarcération.
En rupture de ban
D’avocat de l’État marocain (procès de l’ex-leader de la CDT Noubir Amaoui dans les années 90 poursuivi par le gouvernement Filali qu’il avait traité de « bande de voleurs »), il glisse lentement vers la défense des causes très médiatisées où les pouvoirs publics sont partie civile comme l’affaire du journaliste Taoufik Bouachrine ou le procès de Zafzafi et consorts en relation avec le Hirak du Rif. Les sorties spectaculaires de Me Ziane, qui adore courir derrière les feux de la rampe, tiennent moins des plaidoiries d’avocat que des attaques frontales contre les institutions, juge un confrère de l’intéressé sous le couvert de l’anonymat. « Ziane est un homme aigri qui pour n’avoir pas su se retirer en se faisant oublier est en train de mal finir », croit savoir un député qui l’a fréquenté sous la coupole.
Mohamed Ziane ne l’entend pas de cette oreille, qui croit, lui, être victime d’une persécution politique. Ce délire de persécution, selon ses adversaires, s’est aggravé chez lui depuis que son fils a été condamné en octobre 2020 avec d’autres coaccusés à une peine de 3 ans ferme, assortie d’une amende de 30.000 DH, dans une affaire mystérieuse de livraison à une clinique de Marrakech d’une cargaison de faux masques anti-covid. Le père de l’inculpé en est convaincu. C’est lui qu’on voudrait atteindre à travers l’emprisonnement de son fils, victime à ses yeux d’une affaire montée de toutes pièces. Tout à sa fuite en avant, Mohamed Ziane pousse le bouchon trop loin et appelle dans un communiqué diffusé en novembre 2020 par son parti à « dissoudre de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) et de « répartir ses employés sur les autres services de sécurité ».
Par cette sortie pour le moins étonnante, le turbulent avocat régissait à la diffusion d’images jugées attentatoires à son honneur. De là à y voir la main des services de sécurité, il n’y a qu’un pas que Me Ziane, impulsif qu’il est, a allègrement franchi… La réaction des autorités ne s’est pas fait attendre puisque le ministère de l’Intérieur annonce le 12 janvier sa décision «d’activer la poursuite judiciaire à son encontre à travers le dépôt d’une plainte devant le parquet près le tribunal de première instance de Rabat» suite à son appel à la dissolution des services de sécurité intérieure. En rupture de ban après avoir été proche du pouvoir, le truculent avocat méritait meilleure sortie. Lui dont le métier de faire éviter la prison aux accusés se retrouve derrière les barreaux à l’âge de 79 ans. Quelle ironie du sort !