Macron 2 fera-t-il oublier Macron 1 ?

Emmanuel Macron.

Alors que l’Europe place déjà ses pions sur le damier dans la foulée de la réélection d’Emmanuel Macron à l’Élysée, les relations franco-marocaines sont face au défi d’un renouveau après cinq années de grincements de dents et de faux-semblants.

Comme annoncé à grands tambours par les sondages, Emmanuel Macron a pu se faire réélire le 24 avril dernier. Le locataire de l’Élysée a pu s’imposer face à sa rivale du Rassemblement National (RN) Marine Le Pen, au second tour de l’élection présidentielle en obtenant 58,5% des suffrages. Le candidat « marcheur » a pu ainsi se succéder à lui-même, fait inédit depuis la fin du mandat de Jacques Chirac. Ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande n’avaient pu réaliser le match retour. Au Maroc, qui abrite la plus grande communauté française en Afrique, les expatriés français ont voté massivement pour le président sortant en lui accordant 87,44% des voix. En signant un nouveau bail à l’Élysée, le locataire renouvelé est de nouveau confronté à une mission de taille sur le plan diplomatique : rétablir le prestige de la France sur la scène internationale d’autant que son quinquennat précédent a été quelque peu entaché de revers, dont la crise avec le Mali et le retrait des troupes tricolores de ce pays, historiquement sous influence française, est l’exemple le plus marquant. Sur le grand échiquier africain, le royaume chérifien occupe une place non négligeable aux yeux de la France qui considère ce dernier comme un « pays ami ». Un qualificatif qui semble quelque peu suranné datant d’une époque révolue : celle de l’indépendance. Les spéculations vont bon train des deux côtés de la Méditerranée afin de tenter d’imaginer ce à quoi ressembleront les relations entre Rabat et Paris durant le second mandat d’Emmanuel Macron. D’autant que les relations bilatérales sont loin d’avoir brillé d’effusions fraternelles lors du premier mandat macronien et que les nombreux malentendus ne sont toujours pas dissipés. Effectivement, le président français ne s’est plus rendu au Maroc depuis le 15 novembre 2018, date de l’inauguration du TGV Tanger-Kénitra en présence du Roi Mohammed VI. Une seconde visite officielle était bien programmée en juin 2019 pour l’inauguration de l’Usine PSA à Kénitra, mais cette dernière a fini par être annulée. Malgré un timide bredouillement de motifs d’agenda argués par l’Élysée, bien des commentateurs ont cru déceler dans cette annulation, un reliquat de divergences sur plusieurs dossiers, dont notamment celui de l’attribution du marché de la ligne TGV Agadir-Marrakech. Depuis, le ciel entre Rabat et Paris est pour le moins brumeux. Malgré cela, des visites ont bien été effectuées par les ministres français de l’Intérieur, de la Justice puis des Affaires étrangères dans le Royaume sans pour autant avoir réglé les dossiers en suspens. Notamment celui de l’immigration qui demeure un point de tension fragilisant « la confiance » : rappelons que la décision de Paris de réduire de moitié les visas accordés aux ressortissants marocains a été accueillie non sans un certain agacement par les autorités du Maroc.

La crise du Covid-19 et la fermeture des frontières des deux côtés, la guerre en Ukraine et les positions de chacun à l’égard des sanctions envers la Russie, les clins d’œil au voisin algérien quant à son gaz, ont inexorablement éloigné les deux vieux frères. Au royaume aussi, mieux vaut un Macron plutôt qu’une Le Pen. Vue du Maroc et de toute évidence, l’élection d’Emmanuel Macron demeure préférable, alors que Marine Le Pen aurait été bien plus intransigeante sur la question migratoire si cette dernière avait franchi le perron de l’Élysée. Ensuite, sans nul doute que la France est un appui précieux du royaume marocain dans la résolution du conflit de souveraineté du Sahara. Là aussi aux yeux des Marocains, « mieux vaut un Macron qu’une Le Pen ». En surcroît du dossier migratoire, « l’affaire Pegasus » et les accusations portées par un certain nombre de médias français à l’encontre du « pays ami » n’a en rien favorisé l’éclaircissement du ciel franco-marocain. L’amertume est bien présente sur la rive orientale, alors que le gouvernement français est resté muet quant aux accusations d’espionnage émises contre le Maroc, aujourd’hui toujours non démontrées. Plus encore, la réponse de la justice française qui a rejeté les poursuites engagées par le gouvernement marocain à l’encontre des médias tricolores ayant relayé ces accusations, à grands renforts de couvertures à la une, a quelque peu froissé l’opinion publique marocaine. Ce qui n’est pas pour arranger, la nouvelle diplomatie particulièrement dynamique et diversifiée du Maroc, parfois éloignée du goût élyséen, notamment avec les pays du Golfe ou bien encore avec la Chine et depuis peu avec Israël.

Toutefois, l’Union européenne (UE) ne veut pas louper le coche d’un partenariat élargi avec un Maroc, aspirant à élargir son partenariat avec un pays stratégique dans différents domaines. L’ambassadrice de l’UE à Rabat, Patricia Pilar Llombart Cussac a récemment affirmé dans ce sens que « le dialogue va se poursuivre entre la Commission et la représentation de l’UE ainsi qu’avec les ambassadeurs des pays européens accrédités au Maroc ». C’était à l’issue de son entretien avec la présidente marocaine de la Commission des Affaires étrangères, de la défense nationale et des Marocains résidents à l’étranger à la chambre des Conseillers, Neila Tazi.

En cela, les épineux dossiers franco-marocains semblent trouver un autre écho à l’échelle européenne à laquelle la France pourrait être contrainte. Sur le très sensible dossier migratoire, la Commission européenne a exprimé récemment son ambition de nouer, d’ici fin 2022 avec le Maroc, un « partenariat destiné à attirer les talents ». Lancée en juin 2021, l’initiative « Partenariats destinés à attirer les talents » vise à contribuer à remédier aux pénuries de compétences dans de nombreux secteurs clés dans l’UE, ainsi « qu’à renforcer les partenariats mutuellement bénéfiques en matière de migration avec des pays tiers ». Dans le cadre de la mise en œuvre de cette initiative, l’exécutif européen a ainsi fait part de son « intention, sur la base d’une coopération forte et continue sur tous les aspects de la gestion des migrations dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l’asile, de lancer les premiers partenariats de talents avec des partenaires maghrébins, notamment le Maroc, l’Égypte et la Tunisie pour que leur mise en œuvre démarre d’ici fin 2022 ». Dans un second temps, la Commission européenne envisage de commencer à évaluer la faisabilité du lancement de partenariats de talents avec le Pakistan, le Bangladesh, le Sénégal et le Nigeria, comme l’une des composantes clés d’une coopération en matière de gestion des migrations avec ces pays. Concrètement, la CE propose de mettre en place un réservoir européen de talents de pays tiers, première plateforme et outil de mise en correspondance à l’échelle de l’UE, afin de rendre cette dernière plus attrayante pour les ressortissants de pays tiers à la recherche d’opportunités et d’aider les employeurs à trouver les talents dont ils ont besoin. D’autre part, la Commission dit étudier les possibilités de nouvelles voies de migration légale vers l’UE à moyen et long terme. Elle estime qu’il est utile de se concentrer sur des politiques tournées vers l’avenir dans trois domaines d’action : les soins, la jeunesse et l’innovation. La France, partenaire et décisionnaire majeur de l’espace européen, restera-t-elle à la traîne dans sa politique intérieure post échéances électorales ? D’humeur plutôt suiveuse s’agissant des orientations européennes, rien n’est moins sûr.

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