Mohamed Abdeljalil embarque BCG

En l’espace de deux décennies, les ministres qui se sont succédé à la tête du département du Transport ont fait appel au moins à trois cabinets de consulting différents dont les livrables ont servi juste à encombrer les tiroirs.

Le cabinet de conseil américain vient de décrocher un marché sans appel d’offres pour la réalisation d’une étude en vue de la relance du secteur maritime national. Un énième coup d’épée dans l’eau ?

Le secteur des études, trusté par les cabinets de conseil étrangers qui avalent des budgets  publics colossaux, ne connaît pas la crise. Il est même en croissance continue, affichant une santé financière insolente.
La preuve vient d’être administrée  par le ministre du Transport et de la Logistique  Mohamed Abdeljalil dont les services ont opté pour Boston Consulting group ( BCG) en vue de  la réalisation d’une étude pour la reconstruction de la flotte nationale.  La belle affaire !
Dans une correspondance  datée du 19 avril 2024  adressée au président de l’association des armateurs du Maroc ( ARMA),    le secrétaire général du département de tutelle explique les objectifs de cette mission : « Réaliser l’ambition atlantique [proclamée par le souverain] et contribuer aux objectifs de développement prioritaires du Maroc ; maîtriser le plein potentiel du secteur maritime et relancer l’activité de transport maritime au Maroc; doter le Maroc d’un instrument de souveraineté nationale ». Dans ce cadre, le responsable de l’ARMA a été invité par son interlocuteur «  à prendre part à l’atelier de travail prévu le 25 avril »  au siège du ministère. Objectif:  permettre aux équipes de BCG « de recueillir les différentes attentes et propositions des acteurs de l’écosystème maritime». Autrement dit, ce sont les acteurs du secteur qui fourniront comme d’habitude la data nécessaire, la matière première en quelque sorte, assortie de leurs revendications  et propositions nourries de leur expertise et expérience professionnelles.
Une fois ces informations précieuses  collectées auprès des hommes de terrain et des cadres du ministère , les conseillers BCBG de BCG n’ont qu’à se livrer  à une action d’agencement sous forme de diaporamas Power point agrémentés de graphiques, courbes et visuels multicolores truffés de chiffres captivants.
Le recours aux prestataires externes pour la moindre stratégie sectorielle coûte bonbon à l’État dont les serviteurs ministériels usent et abusent…En plus du siphonnage  des fonds publics, cette pratique, que les pouvoirs publics ont visiblement du mal à encadrer , présente l’inconvénient d’aspirer des données confidentielles parfois sensibles.
Question posée pour la énième fois et qui ne fera certainement pas de vagues, tellement ils ont pris l’habitude de se faire impunément arroser : Le Maroc ne compte-t-il pas de compétence en interne capable de pondre une stratégie fiable pour  la relance du secteur maritime ?
En l’espace de deux décennies, les ministres qui se sont succédé à la tête du département   du Transport ont fait appel au moins  à trois cabinets de consulting différents dont les livrables ont servi  juste à encombrer les tiroirs. Pas une seule étude n’a trouvé le chemin de la concrétisation! En octobre 2005, lancement sous  l’istiqlalien Karim Ghellab d’une étude institutionnelle et stratégique du secteur du transport maritime confiée  au Britannique  Drewry Shipping Consultants Ltd.
En mars 2015, élaboration, sous l’époque du PJD Abdelaziz Rabbah  d’une étude pour établir les grandes options stratégiques de développement du secteur du transport maritime fret et passagers réalisée  par  le cabinet espagnol Advanced Logistics Group (ALG). Mars 2024, le grand Mohamed Abdeljalil ne pouvait pas prendre le risque de quitter son fauteuil ministériel sans s’offrir sa propre commande  confiée de surcroît  de gré à gré à un cabinet américain ! Vive la transparence, elle coule de source ! Après tout, on ne peut pas obliger M. Abdeljalil d’agir contre son gré…
De 2002 à aujourd’hui, trois ministres  ont  donc dirigé ce ministère hautement stratégique en véritables spectateurs du désastre  maritime créé par la circulaire Karim Ghellab n. 51/SCC/Min  du 30 mai 2006 qui a décrété  la libéralisation du secteur. Une libéralisation brutale, irréfléchie et sauvage, sans aucune mesure d’accompagnement, pour les armateurs nationaux, qui a fait baisser en 2012 par rapport à la décennie 80-90  le nombre de navires et  la capacité de transport national respectivement de 81% et 85%, selon la conclusion de ALG. Aujourd’hui, le Maroc ne possède plus de navires (ni  de fret ni de passagers)  après  la disparition d’IMTC et Comarit. Un véritable naufrage. Pour un pays doté de deux belles façades maritimes ( atlantique et méditerranéenne) et que l’histoire diplomatique internationale retient comme une puissance maritime, l’affaire fait franchement désordre…
« En 2022, la flotte de commerce est au niveau le plus bas. Il en résulte pour l’État une sévère hémorragie en devises fortes: deux milliards de dollars relatifs à la facture du transport maritime des marchandises importées et exportées », révèle l’expert Najib Cherfaoui qui connait le transport maritime national dans tous ses flux et reflux depuis sa création en 1886 jusqu’à nos jours. L’ex-directeur général de Marsa Maroc  promu ministre du Transport et de la Logistique  n’a été sorti  de sa torpeur  que par le très perspicace  plaidoyer royal pour la valorisation stratégique de la façade atlantique à l’occasion de son discours du 6 novembre 2023. Comme ses prédécesseurs, il choisit le chemin de la facilité en sacrifiant à l’exercice habituel : passer commande auprès d’un cabinet de conseil étranger, se faire livrer l’étude qui ira enrichir  ensuite la collection ministérielle des études non exécutées pour l’on ne sait quelle raison. Paresse? incompétence ? indifférence ? peur de l’échec ? C’est à cause de cette navigation en eaux troubles  que le Maroc s’est retrouvé entièrement dépendant de la flotte étrangère aussi bien pour son commerce extérieur que son transport des MRE. La reconstruction de l’armement national dans le contexte actuel devient forcément un chantier d’une grande complexité.

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