Un drame social cousu de fil blanc

Le Sit in des ouvrières licenciés de Sicomek.

Fleuron de l’industrie textile de Meknès, Sicomek, anciennement Sicom, a mis la clé sous le paillasson en 2018, laissant sur le carreau plusieurs centaines d’ouvriers, majoritairement des femmes, qui n’ont plus que les yeux pour pleurer.  

Jeudi 25 avril,  vers 19 heures. Un cortège composé exclusivement de quelques dizaines de femmes crie à tue-tête des slogans en arabe  pendant qu’il se dirige vers la Cour d’Appel de Meknès, située  sur la place de l’Istiqlal. Discrètement escortées par deux policiers marchant à bonne distance, les manifestantes s’arrêtent aux abords du tribunal, lieu du rendez-vous, où quelques hommes déjà sur place entreprennent de déployer rapidement  des banderoles sous le regard de la foule des badauds. Un coup d’œil  rapide sur les mots écrits sur les bannières  nous renseigne sur la nature de ce mouvement de protestation. Il s’agit d’un sit in, l’énième du genre,  organisé par les ouvrières de  la société industrielle de confection de Meknès ( Sicomek), anciennement Sicom, en guise protestation contre la fermeture  fin 2017 de ce qui était dans les années 80, 90 et 2000 le fleuron industriel de la cité ismaélienne.  Avec cette faillite incompréhensible , ce sont plusieurs centaines d’emplois qui ont été perdus. Du jour au lendemain, le personnel, composé majoritairement de femmes, se sont retrouvés sur le carreau. Sans source de revenus.  Ni filet social. Un véritable  drame qui brisé leur vie de famille  en les appauvrissant. Cela fait près de 7 ans que ces victimes organisent sit in sur sit in devant l’usine et la Cour d’Appel de la ville. En vain. Pas d’interlocuteur. Aucune solution en vue. Le désespoir total.
L’entreprise, installée après sa création   en 1975 dans le quartier industriel de Aïn Sloughi,  a connu son heure de gloire sous l’époque  de son fondateur  Alami Tazi, ex-ministre RNI du commerce et de l’Industrie, décédé en janvier 2011. «  Le décès de feu Tazi a signé l’arrêt  de mort de Sicom après son passage sous le contrôle des héritiers », explique, le regard triste,  un ouvrier  qui regrette la période faste  du père fondateur qu’il évoque   avec une grande nostalgie et une pointe  d’émotion  perceptible dans la voix. « Sicom comptait au top de sa forme quelque 1200 travailleurs, l’activité tournée principalement vers l’export fonctionnait à plein régime », ajoute-t-il.  La cinquantaine, les stigmates de la souffrance et du dénuement visibles sur le visage, une ouvrière emmitouflée dans un djellaba et la tête couverte d’un foulard noir, Naima  renchérit : « Feu Alami Tazi était un bon patron, il prenait soin de nous, nous offrait le mouton a l’occasion de l’Aid El Kebir,  l’entreprise accordait au personnel des prêts sans  intérêts pour acheter son logement principal ». Sa copine d’infortune, habillée  comme elle  à la manière traditionnelle, intervient dans la conversation : « J’ai donné mes plus années à cette entreprise et pour nous remercier ses nouveaux patrons nous ont jeté dans la rue comme des malpropres ».
Les nouveaux patrons de Sicom, qui devient Sicomek après sa cession en 2016, sont un homme d’affaires du nom de  Anass Al Ansari qui rachète l’entreprise en association  avec l’opérateur français Leo Minor  spécialisé dans la confection. Mais le repreneur marocain ne tarde pas à rendre son tablier- la mission de redressement de la société s’avérant visiblement  plus compliquée que prévu- suivi par son partenaire étranger qui met la clé sous le paillasson en 2018.  Les repreneurs qui tirent leur épingle  quittent  un navire à la dérive en laissant derrière eux une situation sociale inextricable.
Le soutien public  d’un montant de 4 millions  DH, supporté à part égales par le conseil municipal de Meknès et la région, aura été accordé finalement  en pure perte puisqu’il n’a pas permis le sauvetage de l’entreprise qui croulait sous les impayés qui, entre CNSS,  ONEE, impôts et crédits bancaires,  se chiffraient à un peu plus de 15 millions de DH. Exhalant des relents de mauvaise gestion, l’affaire, qui s’effiloche,  périclite. Quelque 650 ouvrières,  surjeteuses,  couturières et piqueuses,  affiliées à la CDT, se retrouvent sans emploi.  Le code du travail ne les a nullement protégés puisqu’elles n’ont pas touché d’indemnités  ni bénéficié de leurs droits sociaux. Le bureau régional  du syndicat de feu Noubir Amaoui est accusé par certains employés de ne pas avoir fait assez pour défendre le dossier de Sicomek et trouver une solution à ce conflit social qui a fait basculer la vie de centaines de  familles démunies dans un véritable cauchemar. «  Du jour au lendemain, notre vie a tourné à l’enfer. Nous ne sommes plus capables de faire face aux dépenses contraintes  du quotidien  ni régler les frais de scolarité de nos enfants, ni nous soigner correctement faute de versement des cotisations à la CNSS par notre employeur », se plaint une femme d’un certain âge qui lâche, la voix étranglée par l’émotion :  «  Ils ont volé nos salaires, privé de nos droits et précarisé nos familles en nous livrant au dénuement. Dieu punira ceux qui nous ont mis dans cette situation  que personne  ne souhaitera même pas à son ennemi ».
Abandonnées à leur propre sort, les femmes courage de Sicomek n’abandonnent pas le combat. Poursuivant leur action de protestation, elles s’accrochant malgré un horizon sombre à l’espoir d’une solution qui viendrait atténuer leur souffrance.

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