Un grand festival victime de clichés

Le FIFM ce n’est pas que des paillettes…

Cette année, le Festival International du Film de Marrakech célèbre ses 20 ans (même s’il existe plutôt depuis 2001. Covid et compagnie…). Et plusieurs idées préconçues négatives circulent étrangement à son sujet, même si elles n’ont pas vraiment lieu d’exister. Zoom.

Depuis extrêmement longtemps, trop longtemps, on peut lire sur la page Wikipédia consacrée au FIFM des propos peu élogieux, dans le chapitre consacré au positionnement du FIFM ; et tout le monde sait ce que vaut Wikipédia pour informer les gens de quelque chose. Trop souvent, on se contente de ça. Cela fait office de vérité indubitable, jusqu’à preuve du contraire, ou même pas. Ainsi peut-on y apprendre, sur cette page, que « le Festival revendique un positionnement d’ouverture sur le monde, de tolérance et de rencontres interculturelles autour du cinéma ». C’est bien mais, « néanmoins » (le terme utilisé sur la page Wiki), « le site d’informations Médias 24 considère le festival, lors de son édition 2014, comme concentré essentiellement sur la présence de stars avec un positionnement cinématographique mal défini. Les magazines français Studio magazine, Première et Les Inrockuptibles n’y envoient plus leurs journalistes, estimant que l’événement est plus fait pour attirer la presse people que la presse cinéma. Toujours selon Médias24, le prix qu’il décerne, L’Étoile d’or, n’a que peu de notoriété et n’influe pas sur la carrière de ceux qui le reçoivent ». Oula ! Et ce n’est pas tout ! Pour conclure ce chapitre de positionnement, cette dernière phrase : « Enfin, le festival souffre aussi de l’absence d’un marché du film qui permettrait à des producteurs de vendre leurs films à l’international ». En résumé, ce n’est pas un festival de cinéma, juste une sorte de prétexte pour que du beau monde se réunisse dans la ville ocre, afin de papoter, déguster  des cocktails et donner une belle image du pays. Le Canard n’a jamais été porté sur le béni-oui-oui, non, non ! Et ça, nos lecteurs le savent. Mais quand on lit l’article en question, source d’informations de cette plus grande source d’informations au Monde concernant le FIFM qu’est ladite page wiki, on trouve que le média en question ne cite pour la majeure partie que des sources souhaitant conserver l’anonymat et que c’est sur la base de cette poignée de gens anonymes qu’il en arrive à décrire l’Etoile d’Or délivrée par le FIFM comme « un prix en pacotille », et le festival lui-même comme étant un « échec ». On y trouve par exemple: « L’échec se mesure sur tous les plans : le festival a été lancé pour tirer Marrakech, mais c’est Marrakech qui le tire. Il est censé être un festival de cinéma mais ce sont quelques stars, quelques paillettes qui font leur cinéma pour les magazines people ». Bref, le FIFM est condamné sur tous les plans. Chose qui nous a décidés à enquêter de notre côté, afin soit de conforter cette position ou, au contraire, de montrer que c’est elle qui est tout bonnement fausse. Et injuste…

D’une pierre, deux coups !

Thierry Chèze, dans le domaine, est vraiment quelqu’un, quelqu’un de très connu, en France mais aussi un peu partout. Il est rédacteur en chef de Première, a été rédacteur en chef de Studio Magazine, et est même la voix des Césars (la voix off). Son parcours est franchement impressionnant. Et ce dernier, qui était à la tête de la rédaction et de Première et de Studio Mag, met fin à cette idée de refus des journalistes-ciné de venir au FIFM car le festival ne vaudrait pas un clou : « Le fait que les journaux envoient moins de journalistes sur place n’est pas lié à l’attractivité du festival mais à la crise de la presse qui fait qu’il y a de moins en moins de journalistes et de moyens et donc que le traitement de tous les festivals (hors Cannes) se fait à voilure réduite. Berlin et Venise comme Gérardmer ou Toronto ». Cela ne concerne donc pas que le FIFM, mais aussi Berlin, Venise, Gérardmer (en France !) et Toronto ! Et nous pensons qu’il n’a aucune raison de mentir à ce sujet. Quant aux journalistes spécialisés anonymes, ils rappellent à présent le proverbe marocain du chat qui, ne pouvant atteindre le morceau de viande, prétend  qu’il est avarié. Désolé mais c’est la seule explication possible. Comment peut-on dire « Je viendrai pour rien au monde à ce truc », alors qu’on ne peut même pas s’y rendre, question de budget (selon les dires du chef !), et alors qu’il y a des sommités mondiales à chaque fois au festival ? Nous vous le demandons ! Pour des journalistes français (loin des USA et du reste du monde du cinéma), rater une occasion d’être proche de Scorsese ou de Coppola, quand bien même ce serait le pire festival au monde ?! Drôles de journalistes… Ça n’a pas de sens, n’est-ce pas ?! Quoi qu’il en soit, l’un des principaux intéressés a répondu et ses propos sont sans équivoque. A savoir que Première est le premier magazine spécialisé en cinéma en termes de vente en France. Et, en passant, nous sommes navrés de contredire des confrères, surtout ces confrères-là que nous respectons beaucoup, mais la vérité ne saurait se soucier d’aucun lien pouvant exister dans un corps de métier. Si le Festival était nul, nous l’aurions dit tout de suite, sans hésiter une seule seconde. Mais il ne l’est pas. Bien au contraire… Attendez de lire la suite !

Voyons du côté des réalisateurs primés

Mir-Jean Bou Chaaya, réalisateur libanais, a remporté l’Etoile d’or en 2015, lors de la 15ème édition du Prix, grâce à son film Very Big Shot. Très ému, il nous révèle : « L’Etoile d’or a certainement eu un impact positif sur ma carrière. J’ai obtenu l’Étoile d’Or pour mon premier long métrage vers l’âge de 25 ans. Il a fourni une validation précieuse du travail que nous avons présenté ». Et pour comprendre un peu le comment, d’autres propos de M. Bou Chaaya se révèlent très éclairants : « La couverture médiatique internationale de l’événement et la mise en lumière de la cérémonie de remise des prix ont indéniablement contribué de manière significative au lancement de ma carrière ». Et le menu offert au FIFM ne s’arrête pas là, toujours selon Mir-Jean : « L’opportunité de rencontrer Francis Ford Coppola, l’un des cinéastes les plus influents de notre époque, de rester en contact avec lui après le festival et d’avoir une conversation en tête-à-tête avec lui à San Francisco, a été un formidable élan de carrière qui n’aurait pas été possible sans le Festival du Film de Marrakech. C’est un souvenir que je chérirai pour toujours et dont je serai éternellement reconnaissant ». Et Mir d’insister de nouveau sur ce point précis : « L’accès que le Festival du Film de Marrakech offre à son public, lui permettant de côtoyer des cinéastes légendaires tels que Martin Scorsese, Paolo Sorrentino, Nuri Bilge Ceylan et le regretté Abbas Kiarostami (avec qui j’ai eu le privilège d’assister à une conversation au 15ème édition), est une opportunité rare et inestimable qui doit être chérie et préservée pendant des années». Dans le même sens, un autre récipiendaire de l’Etoile d’Or, à savoir l’Estonien Veiko Õunpuu, qui l’a reçue en 2007 pour son film Autumn Ball, nous explique autrement cette « quasi-nécessité » de présence sur les lieux: « Malheureusement, je n’ai pas pu visiter le festival moi-même en ce moment-là et je n’en ai donc aucune connaissance personnelle, mais nos représentants ont fait l’éloge du festival et de l’hospitalité dont a fait preuve tout le monde. J’en ai donc une opinion très positive. Quant à l’impact sur ma carrière… peut-être qu’il y en aurait eu si j’avais pu me rendre au festival ».
Une conclusion avec une pointe d’amertume, et probablement de regrets. Par contre, il faut souligner ici que ce film, Autumn Ball, a eu un succès phénoménal et a remporté le premier prix Orizzonti (Horizons) du festival de Venise. Donc M. Õunpuu ne se plaint pas au sujet de sa carrière après ce film… Pour exprimer les choses autrement, il ne dit pas : « Ma carrière est restée au point mort après le FIFM ». Mais il pense les choses ainsi et nous les révélons, bien entendu, telles quelles. Et comprenne qui pourra !

Abracadabra !

Ernest Abdyshaparov, Kirghize, a reçu l’Etoile d’or en 2005 et a vu dans le FIFM certaines choses… des choses qui, telles qu’il les raconte, filent vraiment la pétoche : « Saratan » est mon premier film et avant Marrakech j’avais déjà reçu des prix. Mais le Festival de Marrakech a été mon premier Grand Prix et le festival le plus mystique que j’aie jamais vu. Notre avion était en retard pour Casablanca et nous avons dû nous rendre à Marrakech en bus. Nous sommes arrivés de nuit et de là où nous avons été déposés, je suis arrivé à l’hôtel moyennant 5 dollars. Ils m’ont mis dans la chambre 155 et quand j’ai ouvert le catalogue, bizarrement notre film était projeté le 15 novembre à 15h. J’ai commencé à chercher plus loin. Il s’est avéré que 15 films participaient à la compétition, que le festival en était à la cinquième édition et que le grand prix était une étoile à cinq branches, symbole de l’Etat marocain. C’est là que je me suis dit que l’Etoile d’Or serait forcément attribuée à notre film ». Choubik, loubik ! A souligner que l’islam au Kirghizistan est sunnite, et plus précisément de l’école hanafite, et qu’il est fortement influencé par le soufisme et le chamanisme. Ce qui fait peut-être que M. Abdyshaparov, ou plutôt sa manière de voir les choses, est absolument fantastique : « Le festival de Marrakech est l’endroit où j’ai parlé avec les stars du cinéma mondial, me suis tenu à côté de Martin Scorsese, Abbas Kiarostami, j’ai embrassé Monica Bellucci sur la joue, j’ai bu du vin à la même table que Catherine Deneuve, c’était des plaisirs incessants, tout le long de mon séjour ». Il faut renoter qu’il parle de faits qui se sont produits en 2005 et dont il se souvient encore en 2023… Question influence de ce prix sur sa carrière, le réalisateur Kirghize parle même d’envol : « Il s’avère que cette présentation a été diffusée sur Fashion TV, lors de laquelle Monica Bellucci, une star mondiale, m’a remis l’Étoile d’Or de Marrakech. Tout le Kirghizistan était au courant. C’est cette étoile qui est devenue le point de départ, pour moi, après quoi j’ai été reconnu dans mon pays natal ». Et pour ce qui est également de son obtention de l’Etoile d’Or, M. Abdyshaparov a aussi sa petite théorie, quelque peu mystique également, intégrant l’impact du Maroc en lui-même, et des Marocains généralement sur les membres du jury: « Le plus étonnant, c’est la façon dont notre film a été reçu. Il s’avère que les Marocains ont beaucoup de points communs avec les Kirghizes. Les Kirghizes professent l’islam, mais ont conservé leurs traditions nationales et se sont également familiarisés avec le monde grâce à la langue russe. Les Marocains professent également l’Islam, mais ils ont conservé leurs anciennes traditions et se sont présentés au monde à travers la langue française. Les personnes de culture mixte (NDLR : il parle ici des Marocains pour la plupart) percevaient notre image comme la leur. Ils ont réagi si vivement que cela a apparemment affecté la perception du jury. Comme me l’a dit le président, le classique français Jean-Jacques Annaud, tous les membres du jury étaient unanimes, même si les films présentés étaient connus comme faisant partie des meilleurs au monde. C’est pourquoi je n’oublierai jamais ces impressions, les plus vives de ma vie, un quotidien de fête, de la plus belle des fêtes, du plus beau pays : le Maroc ! » Nous ne sommes pas d’accord, au sujet de l’influence des Marocains sur le jury, au sujet de cette contagion, Saratan mérite absolument l’Etoile d’Or, mais, pour tout le reste, M. Abdyshaparov, nous vous disons merci ! Ce Monsieur, il faut impérativement l’inviter chaque année ! Il a du goût ! Et de… « l’esprit » !

Parole maintenant au spécialiste !

Omar Belkhemmar, universitaire et critique de cinéma et ancien président de l’Association Marocaine des Critiques de Cinéma, a participé comme journaliste et critique à toutes les éditions du FIFM, et, sans requérir l’anonymat, il est catégorique : « Le FIFM est devenu objectivement l’un des plus importants festivals de cinéma au monde ! » Et comment il a fait ça, Monsieur Belkhemmar ? « C’est parce qu’il a pu bien maîtriser son organisation, d’une manière professionnelle, sur le plan de l’accueil des participants de haut niveau qui se fait dans de très bonnes conditions, et sur le plan de la qualité des cinéastes invités, des films internationaux et nouveaux choisis, et de ses activités parallèles intéressantes et diversifiée.
Le FIFM devient de plus en plus important avec l’expérience déjà acquise et je pense qu’il est sur la bonne Voie pour pouvoir dans l’avenir être classé parmi les premiers des plus importants festivals cinématographiques mondiaux ». Nous l’espérons tous ! Et nous espérons surtout que soit modifiée la page wiki concernant ce sujet de positionnement. C’est vraiment injuste ! Et le mot est gravement faible… Chose que vous dévoilera, avec beaucoup plus de précision et de clarté, l’entretien suivant, en encadré.

Trois questions et une exclamation à Said El Mazouari

Critique de cinéma, plusieurs fois membre de jury pour des prix nationaux et internationaux, et ancien secrétaire de la rédaction de Cinémag, entre autres casquettes ayant trait au Septième art.

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Qu’est-ce que le FIFM a de spécial ?

Je crois que la particularité du festival de Marrakech c’est qu’il est à la fois, par sa compétition officielle, qui je le rappelle est dédiée au premier et deuxième long-métrage d’un réalisateur donné, un tremplin pour les jeunes, donc il est utile pour la découverte de nouveaux talents, et aussi grâce aux Ateliers de l’Atlas, qui sont un vrai tremplin pour la découverte de nouveaux talents et les accompagner dans le développement de leurs projets, que ce soit lors du stade de l’écriture ou postproduction. Et l’autre particularité, l’autre extrême si je peux dire, c’est qu’il est une plateforme pour la présentation des derniers travaux des grosses pointures du 7ème art, que ce soit via les projections spéciales ou les séances de gala. Vraiment il y a de très grosses pointures qui sont présentes, dans le jury, oui, mais aussi dans une section très importante de l’offre du festival qui est « Conversation avec ». Tout cela permet de présenter la crème de la création cinématographique mondiale. Et c’est ce grand écart-là qui rend le festival de Marrakech particulier et qui lui donne sa singularité.

Selon certains médias, le FIFM ne serait qu’un festival bling-bling, et non un festival de cinéma réellement orienté art. Qu’en pensez-vous ?

Je crois qu’ils se trompent parce que le cinéma étant depuis sa création un art mais aussi une industrie, il possède cette double-face : le côté show-people-paillettes et le côté art. Même les grands festivals, le trio très connu Cannes-Berlin-Venise, allient ces deux aspects. Je ne vois pas pourquoi Marrakech devrait déroger à ça. Marrakech fait beaucoup de choses pour le développement de nouveaux talents du cinéma mondial. Que ce soit ceux des contrées connus comme les Etats-Unis, l’Australie ou le Brésil, qui sont des pays qui sont toujours là à la compétition officielle, mais aussi ceux des contrées défavorisées par la cartographie du cinéma mondial. Cette année, il y a un film malgache, il y a aussi des films d’Afrique subsaharienne, et c’est très important, très important d’aider comme ça les jeunes à se trouver, à se réaliser. Surtout que leurs films sont projetés devant un jury d’exception, généralement présidé par des géants du cinéma mondial. Donc je crois que ces médias-là exagèrent en disant ça. Il y a beaucoup d’idées reçues comme ça sur certains festivals, je crois que Marrakech en fait partie, mais il commence à sortir de ces idées préconçues, grâce à ses résultats.  Je rappelle que certains films qui ont été primés à Cannes, dont des films marocains comme celui d’Asmae El Moudir ou celui de Kamal Lazraq, eh ben ils sont passés par les Ateliers de l’Atlas. Et à force de consolider les réalisations, tout le monde va se rendre compte du rôle que joue le festival pour le développement du cinéma mondial.

Est-ce que l’Etoile d’Or contribue selon vous à l’essor des réalisateurs qui en sont récipiendaires ?

Je ne sais pas s’il contribue assez ou pas, mais il y a des cas de réalisateurs dont l’obtention de l’Etoile d’Or à Marrakech a joué un rôle prépondérant dans le développement de la carrière. Justin Kurzel qui était là, en tant que membre du jury l’année dernière, l’a dit. Après son film, les Crimes de Snowton, magnifique film que j’ai vu lors du festival dans une séance mémorable, je lui ai posé la question pendant la conférence de presse du jury : et il a dit que le prix qu’il a obtenu a joué un rôle important pour faire connaître son film. Alexandre Payne, qui sera présent aussi cette année pour son dernier film dans les projections spéciales, a gagné en 2004 l’Etoile d’Or avec son film Sideways et ce prix-là a beaucoup joué pour aider le film dans sa course pour les Oscars, où il a remporté le prix du meilleur scénario adapté. Généralement, quand un festival est aussi bien médiatisé, comme l’est celui de Marrakech, les prix engrangés par les films sont influents dans la carrière des réalisateurs. Je crois que le festival est sur la bonne voie pour être parmi les 20 meilleurs festivals au monde, dans le moyen terme. Il n’y a pas d’autre secret que le travail, la perspicacité des choix, et la régularité. C’est très important, la régularité, pour un festival de cinéma.

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