Le Maroc est confronté à une tension réelle sur le marché des intrants et des semences qui pourrait mettre de nouveau le feu aux prix des fruits et légumes. Révélations.
A compter du 1er février 2023, les importateurs des produits et équipements à usage agricole sont soumis à une TVA de l’ordre de 20%. Toutes les fournitures, intrants et machines, excepté celles destinés à l’irrigation, sont imposables. Ainsi en ont décidé les faiseurs de la Loi de finances 2023.
Cette nouvelle mesure n’est pas du goût des fournisseurs d’intrants agricoles obligés d’acquitter la TVA. Ce qui, se plaignent-ils, induit une pression sur leur trésorerie surtout qu’ils ne doivent pas, en vertu de cette nouvelle décision fiscale, répercuter le montant de la taxe sur les prix de vente aux clients que sont principalement les agriculteurs. L’objectif étant d’éviter un renchérissement des produits agricoles en permettant aux fellahs de produire à des coûts de revient raisonnables.
Pour bénéficier du remboursement de la TVA déjà versée, l’importateur est tenu d’en faire la demande par voie électronique auprès de l’administration fiscale en y joignant un certain nombre de justificatifs dont la facture proforma mentionnant les marchandises importées avec prix d’achat et TVA correspondante. Le hic c’est que les importateurs ne récupèrent pas les montants de la TVA dans un délai court de quelques mois mais doivent attendre deux ou trois ans et l’écoulement de leurs stocks de la saison pour qu’ils soient exigibles. «Ce recouvrement tardif de la TVA est préjudiciable à notre activité exercée surtout par des PME dont la trésorerie risque de souffrir fortement», indique un distributeur qui dénonce un dispositif pervers aux conséquences lourdes sur le secteur. «Le fait de ne pas répercuter immédiatement la TVA sur le client et d’attendre quelques années pour la récupérer fait peser un risque de faillite sur les agents importateurs d’intrants et machines agricoles», renchérit un autre distributeur. Un opérateur reconnaît avoir pris la décision concertée avec son associé de suspendre leurs importations «en attendant d’y voir plus clair».
La disparition potentielle des petites structures profiterait directement aux multinationales qui disposent de représentants au Maroc, fait remarquer pour sa part un expert du secteur. Ce qui fait craindre pour certains la constitution de situations de monopole commercial dans un marché stratégique. D’ores et déjà, certaines enseignes anticipent la crise à venir en pensant sérieusement à réduire la voilure par la diminution du volume de leurs commandes. Ce scénario n’est pas forcément la meilleure parade en ce sens que les fournisseurs étrangers peuvent être fortement tentés de se détourner des entreprises qui ne leur garantissent pas un certain chiffres d’affaires.
« Le Maroc est déjà pour eux un petit marché», affirme un petit détaillant qui craint que cette histoire de TVA non facturée au client ne finisse par impacter la filière agricole en faisant flamber les prix des légumes essentiellement. Dans le même registre, les exploitants agricoles marocains se sont inquiétés tout récemment d’un renchérissement non motivé de l’ordre de 8 à 10%, constaté dans toute la gamme de produits comme les semences, plantes et autres substances de protection des sols (herbicides, insecticides ) commercialisés, via son réseau de distributeurs au Maroc, par la multinationale suisse Syngenta. Dans une correspondance en date du 2 mars adressée au directeur Maroc de la multinationale en question, le président de l’association marocaine des producteurs exportateurs de fruits et légumes (Apefel), Khalid Saidi, n’y va pas par quatre champs : «(…), votre nouvelle grille sera certainement le catalyseur d’une nouvelle avalanche d’augmentations des prix qui vont s’abattre sur nos producteurs», prévient-il. Et d’ajouter, encore plus alarmiste tout en lui demandant les raisons de cette hausse brutale : «Nos producteurs (…) vivent des moments très contraignants pour participer à approvisionner à perte les marchés locaux tout en essayant, difficilement, d’entretenir leurs clients européens». Le ministre de l’Agriculture Mohamed Sadiki a été saisi par le patron de l’Apefel de cette situation préjudiciable à ses yeux à «notre capacité compétitive à l’export et met en danger [l’activité des] petits producteurs».
Cette hausse tarifaire des produits phytosanitaires de Syngenta est d’autant plus nuisible qu’elle intervient concomitamment à l’exemption de la TVA consentie par le gouvernement sur l’achat des produits phytosanitaires comme mesure forte visant à juguler une hausse sans précédent des prix des légumes sur le marché national. Une hausse qui a alimenté la grogne sociale et poussé plusieurs centaines de citoyens à manifester dans nombre de villes contre la vie chère induite par une inflation galopante.
En pleine crise mondiale, Syngenta a réalisé d’excellents résultats financiers pour le troisième trimestre de 2022. Les ventes du groupe ont augmenté de 20% pour atteindre 7,9 milliards de dollars, en hausse de 1,4 milliard de dollars en glissement annuel. En augmentant les prix de ses substances, Syngenta cherche à faire encore plus de superprofits au cours de l’exercice 2023. Syngenta et ses semblables ne connaissent pas la crise. Ce sont eux qui la provoquent chez la classe moyenne et les couches modestes en alimentent l’inflation par leur voracité sans limites.
Vrais gagnants du conflit en Ukraine, jamais rassasiés, ils se nourrissent tel des vampires du sang du consommateur lambda qui doit payer à chaque fois plus cher sa pitance quotidienne de base. Dans un pays ou la paix sociale passe par le tagine, les décideurs doivent trouver des solutions durables pour le protéger du jeu dangereux des profiteurs de guerre…