Abdelaziz en est à son troisième café noir, et il n’arrive toujours pas à se concentrer sur son travail… Il a eu un petit échange verbal avec Slimane, son ami et collègue, qui l’a mis en rogne… Un lundi matin, il ne faut pas le chercher, ce cher Abdelaziz… Les autres jours de la semaine non plus, d’ailleurs ! Pourtant, Slimane est un ami de longue date, l’un des rares avec qui il s’entend bien… Ils ont intégré la même société, il y a une dizaine d’années… C’est un homme sur qui on peut compter, un type bien comme on dit, même si sa foi est plutôt tiède… Il ne fréquente pas les mosquées, ne fait même pas sa prière, et ne s’en cache guère… Certains murmurent qu’il ne fait le ramadan que contraint et forcé… Lui-même affirme d’ailleurs, mi-figue, mi-raisin, que ce « sacré mois » est l’occasion pour lui de faire un régime bienvenu, et de débarrasser son corps des toxines accumulées durant l’année… Ce serait l’unique raison pour laquelle il accepte de se plier à ce rite, qu’il estime être source tant de mauvaise humeur que de mauvaise haleine généralisées, et qui serait improductif pour l’économe nationale qui en prendrait un sacré coup ! Parole d’économiste !
Mais quels que soient ces défauts, Slimane a des qualités appréciables et fort appréciées…. Un véritable boute-en-train, qui a toujours le mot pour rire, ainsi que l’art et la manière de détendre l’atmosphère pour désamorcer les conflits naissants. Sauf que sa volubilité et son caractère taquin bousculent parfois la fierté d’Abdelaziz, qui lui, ne parle que lorsqu’il a des choses intéressantes à dire, ou lorsqu’il y est contraint et forcé… Le reste du temps, il médite, pour ne pas dire qu’il broie du noir ! «Oh l’ami, erjou3 lillah ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? Tu es dans la lune depuis tout à l’heure ! Tu es amoureux ou quoi » ?
Abdelaziz lève les yeux sur Slimane qui l’interpelle pendant que les secrétaires, l’oreille tendue, gloussent bêtement ! La discussion était en train de prendre un tournant qui les intéressait plus que les rapports d’activité qu’elles étaient en train de taper depuis une heure ! Ah, ces secrétaires, de braves mères de familles certes, mais qui passaient le plus clair de leur temps à échanger sur les petits bobos de leurs chers chérubins, et les tenues vestimentaires de leurs « amies» non voilées… Elles savaient tout sur tout le monde, et la direction générale aurait pu compter sur elles pour leur faire un rapport circonstancié sur le climat social au sein de l’entreprise… Et gracieusement !
– Non, pas du tout… C’est juste que je pense à la réunion hebdomadaire de demain… J’ai du mal à terminer ma présentation…
– A d’autres ! Tu sais que je suis là pour t’écouter… Et je ne suis pas le seul apparemment, n’est-ce pas, mesdames ? Si tu as un secret, tu peux me le confier, il sera bien gardé ! », ajoute-t-il à mi-voix avec un petit clin d’œil entendu.
– Tout va bien, réplique Abdelaziz d’un ton ferme pour mettre fin à cette discussion qui commençait à le mettre dans l’embarras. Il ne pouvait quand même pas lui dire qu’il n’avait pas apprécié leur discussion de tout à l’heure… Slimane s’était gaussé des couples qui se rencontraient sur internet, estimant que c’était le meilleur moyen d’aller au-devant de grosses déceptions, et qu’en la matière, rien ne valait le contact direct… Un petit tacle à son intention, c’était évident !
Le contact direct, il en avait de bonnes, Slimane ! Tout le monde n’avait pas cette aisance et ce charisme naturel qui lui facilitaient le contact avec les gens, et spécialement avec ces dames ! Parce que Slimane n’avait pas son pareil pour aborder sans façons les gens, n’importe quand et n’importe où… Le genre de personnes qui vous met l’ambiance en toutes circonstances, que ce soit dans un café, au travail, dans une cérémonie de mariage ou à un enterrement! Il suffisait qu’il arrive dans une morne réunion où les gens s’ennuyaient à mort, pour la transformer en séance des « grosses têtes » dont il était l’animateur vedette… Pour lui, la vie est déjà trop courte, et les gens passent leur temps à se la compliquer… Très peu pour lui !
Il était marié à une charmante dame, cadre supérieure dans une entreprise de communication dont il avait fait la connaissance dans « Al Bouraq », notre train national à grande vitesse … Et il se plaisait à dire que le courant était passé entre eux immédiatement, comme « al bouraq »… Un vrai coup de foudre !
– Tu sais quoi, Abdelaziz, on déjeune ensemble tout à l’heure, et je t’aiderai à boucler ta présentation pour la réunion de demain… Une seule condition, tu m’expliques ce qui ne va pas, et je te promets de te conseiller au mieux, sans te demander un sou ! Tu auras ainsi fait l’économie d’une séance chez le psy, ça te va ? Allez, tope-là, mon ami ! (A suivre)