Bon musulman cherche sa moitié! (9)

Abdelaziz attend son tour chez le coiffeur… Suite aux recommandations de Laila, son amie, il a décidé de changer de look… Oh, progressivement et sans brutale métamorphose… Ses cheveux, il les coiffera désormais vers l’arrière, c’est décidé ! Finie la raie de côté qui lui donnait une allure compassée d’adolescent attardé ! Et pour ce qui est de la barbe, elle sera désormais mieux taillée, et beaucoup moins fournie… Les désirs de Laila sont désormais des ordres pour Abdelaziz! Il avait suffi qu’elle passe ses doigts fins dans sa chevelure en la redressant un peu, et glisse une petite remarque sur sa pilosité de taliban, qui faisait peur aux dames, pour que Abdelaziz reçoive le message cinq sur cinq ! Et au diable son fquih attitré qui ne manquerait pas de lui rappeler que la barbe bien fournie est le principal attribut d’un bon musulman! Après tout, la djellaba ne fait pas l’Imam ! Et à changement de look, changement de coiffeur, donc ! D’autant plus que l’ancien commençait à prendre quelques libertés avec la covid-19, sous prétexte que la pandémie était désormais derrière nous, et que les autorités en faisaient toujours trop pour faire peur aux braves gens… En plus, c’était un bavard intarissable qui vous soufflait son haleine fétide dans le cou, tout en pestant contre les autorités et les passantes légèrement habillées, qu’il suivait du coin de l’œil, entre deux coups de peigne… Et puis, cela lui éviterait par la même occasion d’y croiser certaines vieilles connaissances qui avaient fait du lieu leur quartier général, faisant et refaisant le monde, et surtout les matchs de football, à longueur de journée !

Abdelaziz a donc opté pour un autre petit salon de coiffure, situé à quelques rues de chez lui, un salon coquet, tenu par un jeune homme propre et souriant, et qui avait l’avantage d’être sourd-muet… Ce qui le changerait agréablement de son ancien coiffeur un peu trop bavard à son goût ! Abdelaziz s’assit en attendant son tour tout en saluant d’un geste de la main… Le jeune homme lui fit un petit signe de la tête, lui faisant comprendre qu’il n’en avait plus pour longtemps, et que ce serait bientôt son tour…

Le salon sentait bon la lavande, et la télévision diffusait un documentaire sur les dauphins… Pas de sermon religieux vociféré par un énergumène postillonnant énergiquement, et menaçant les « kouffars » (les mécréants) du « Jahannam » (l’enfer) éternel! Un autre changement bienvenu, se surprit à penser Abdelaziz, qui ne culpabilisait même plus ! Décidément, ses séances chez le psy lui avaient fait du bien, et son amie Laila avait également une influence heureuse sur son caractère et désormais donc, même sur son look ! En guise de blouse blanche, le coiffeur utilisait pour chaque client une sorte de cape en plastique transparent qu’il jetait après usage. Il lavait soigneusement et avec ostentation ses instruments, regardant en souriant ses clients, comme s’il les prenait à témoin du luxe de précautions dont il s’entourait… Abdelaziz l’observait attentivement en se disant qu’il avait fait le bon choix… Dix minutes plus tard, c’était à son tour de s’installer sur le fauteuil que le coiffeur avait méticuleusement nettoyé au préalable… Il enroula autour d’Abdelaziz une blouse transparente, et commença à lui mouiller doucement les cheveux, en l’interrogeant, toujours par signes expressifs, s’il comptait faire une coupe légère ou plutôt « radicale »…  Abdelaziz opta pour un juste milieu, et lui précisa qu’il voulait également se faire tailler la barbe… Le coiffeur lui montra un catalogue où des mannequins au charme ambigu arborent des barbes élégantes et glamour…

Abdelaziz déclina poliment en se disant qu’il ne fallait pas brûler les étapes… Pendant que le coiffeur s’affairait méthodiquement, Abdelaziz laissa son esprit vagabonder… Il se sentait envahi pas une douce torpeur, bercé par le cliquetis des ciseaux, habilement maniés par le jeune coiffeur, qui se promenaient allègrement sur ses cheveux, traquant les mèches rebelles et les poils récalcitrants… Il revivait avec délectation sa soirée avec Laila au restaurant turc, la veille… Un restaurant qui n’avait pas usurpé sa réputation, où l’on mangeait fort bien, même si les prix n’avaient rien d’oriental ! Mais au diable l’avarice, on ne vit qu’une fois ! Laila l’avait une nouvelle fois enchantée par sa bonne humeur et son humour fin… Elle n’avait pas son pareil pour le tirer d’embarras lorsqu’il commençait à cafouiller sous le coup de l’émotion… Et surtout, elle pouvait parler de tout avec aisance et pertinence, que ce soit de littérature, de cinéma, ou même de politique… Et là où elle l’avait vraiment sidéré, c’est lorsqu’elle lui révéla qu’elle ne portait pas le parti de la lampe dans son cœur, un ramassis d’hypocrites qui instrumentalisent la religion pour s’en mettre plein les poches, dixit Laila… Lui qui commençait, depuis quelque temps, encouragé par certains de ses amis militants, à rallier leurs rangs en perspective des prochaines élections législatives, en fut pour ses frais ! (A suivre)

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