Hommage à tous les Lhoucine du royaume !

Il s’appelle Lhaj Lhoucine… Lhaj Miloud le connait depuis longtemps… Depuis qu’il s’est installé dans le quartier, voilà maintenant une trentaine d’années, se mettant enfin à son compte après de longues années à travailler pour les autres… Et il a pour lui la plus grande estime… Pour son parcours, son courage, sa ténacité et son humilité… Il faut dire que Lhoucine, le petit berbère, a fait bien du chemin avant de devenir « Lhaj Lhoucine », le commerçant respecté et apprécié de tous… Il a quitté son douar natal à l’âge de douze ans… Il n’était pas encore vraiment sorti de l’enfance qu’il se retrouvait ainsi projeté dans le monde des adultes, sans trop comprendre ce qu’il lui arrivait… Même s’il se doutait que ça arriverait un jour, depuis le temps qu’on lui en parlait… Il savait qu’un jour il devrait « monter » à Casablanca, la grande métropole qui, depuis des années, attirait mystérieusement tous les jeunes gens de la région…

Son père l’avait confié à son cousin Ali, établi dans la capitale économique depuis les années soixante, pour apprendre le dur métier d’aide épicier… Le petit Lhoucine a beaucoup souffert d’être ainsi séparé des siens, pour être confronté, du jour au lendemain, à un univers inconnu et hostile, où l’on ne parlait pas tachelhit… Même si, en courageux bonhomme qu’il était déjà, il s’était efforcé de ne rien en laisser paraître, écoutant gravement les derniers conseils de son père, et essayant d’éviter de croiser les yeux humides de sa mère… Oui, le petit Lhoucine avait été arraché sans ménagement au cocon familial… À cette nature rude mais vivifiante pour ne plus connaitre que des espaces étroits et poussiéreux ! Il a fait son apprentissage à la dure, avec des journées de quinze heures, sauf le vendredi, jour de prière où il pouvait souffler un peu…

Lhoucine n’a jamais fréquenté l’école publique… Il a eu droit à un enseignement « privé », sous forme de cours individuels dispensés, entre deux corvées, par le cousin Ali… C’est ainsi qu’il a appris laborieusement à lire et à écrire… Quelques rudiments de la langue arabe, sur un vieux cahier d’écolier, qu’il a précieusement conservé… Oh, juste ce qu’il faut pour pouvoir déchiffrer les étiquettes et renseigner les prix des marchandises… Il a aussi appris quelques versets du Coran… Lhoucine est un bon musulman qui fait ses cinq prières quotidiennes, aime son prochain et se satisfait de son sort… Il a appris aussi à compter… Et surtout sur lui-même !

Il se contentait de deux repas spartiates par jour, souvent composés de pain, de thé et d’olives noires… Seul le couscous du vendredi venait améliorer ce frugal ordinaire… Il dormait dans l’arrière-boutique, sur un vieux matelas, se lavait à l’eau froide, hiver comme été, et allait au hammam une fois par semaine… Il en a reçu des coups de la part de son cousin Ali, pour un oui, pour un non, mais ne s’en est jamais plaint… Son père lui a dit que c’était pour son bien… Le gite et le couvert lui étaient assurés avec un maigre salaire dont la moitié était envoyée au bled, pour aider les siens… Le reste était mis de côté…

Et c’est ainsi que, dirham après dirham, année après année, Lhoucine a pu se constituer un petit « pactole »… Il a épousé sa cousine qu’il a fait venir du bled… Il a acheté un modeste local dans une banlieue populaire, et s’est installé à son compte… Il a développé patiemment son commerce, gagnant la confiance de ses clients par son sérieux et sa disponibilité, accueillant et formant beaucoup de nouveaux petits « Lhoucine » du mieux qu’il pouvait… En essayant de leur offrir des conditions meilleures que celles qu’il avait lui-même connues… Il est d’une humeur toujours égale, ne s’énervant jamais, et constamment impassible devant les provocations ou les insultes… Il a toujours le sourire même pour vous refuser le crédit fin de mois que vous pourriez demander… Et surtout, n’insistez pas, vous perdiez votre temps et plus grave, celui de Lhaj Lhoucine !

Lhaj Lhoucine possède maintenant plusieurs commerces, et les affaires vont bien, lhamdoullah… Ses enfants ont poursuivi des études supérieures, et fait de beaux mariages… Il est fier de son pays, et remercie Dieu nuit et jour pour ses bienfaits… Il a fait le pèlerinage à La Mecque avec sa  fidèle épouse qui l’a accompagné tout au long de ces années, discrètement, et sans jamais se plaindre…  Lhaj Lhoucine est maintenant un homme comblé et reconnaissant à la société pour tout ce qu’il a reçu, lui qui n’a pas coûté un centime à la collectivité…

Et il ne changera pour rien au monde ses habitudes et ses principes… Il sait la valeur de chaque dirham, et a mis de l’argent de côté… Au cas où ! Parce que dans sa grande sagesse, il sait que rien n’est acquis, et qu’il ne peut compter que sur lui-même ! Mieux, Lhaj Lhoucine a su transmettre ces valeurs inestimables à ses cinq enfants…

Il a aussi investi dans le bled où il a fait construire une belle maison… Il a agrandi et modernisé la petite ferme familiale dont s’occupent ses deux frères cadets… Parce que pour lui, il n’est pas question de couper le cordon ombilical… Chaque année, il passe un ou deux mois dans son village natal pour se ressourcer, et se recueillir sur les tombes de ses parents… Et il sait qu’un jour il y retournera définitivement… Pour être enterré auprès des siens.

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