Il y a cent ans (1920-2020), à Mnina, où quelques familles vivent regroupées autour d’un point d’eau au nord de l’actuelle ville de Khouribga, Benji, le Seigneur de la bourgade, regarde, songeur, se chamailler ses trois jeunes garçons et sa nièce. Les Français viennent de découvrir que le bassin de sa tribu des Ouled Abdoun recèle un gisement de phosphate estimé à des dizaines de milliards de m3. Benji est heureux de rentrer chez lui après une longue campagne militaire sous commandement français pour « pacifier » Bled Siba (pays de l’anarchie). L’aîné de ses garçons l’agace à tel point qu’il l’a surnommé « Ztawri » car il n’arrête pas de « faires des histoires » pour créer des conflits avec son jeune frère Le Bon et sa cousine Claire. « Safi liziztware ! » (Ça suffit les histoires) hurlaient les militaires français aux Marocains, « zidou l’gouddam ! » (Marchez en avant !).
C’est ainsi qu’il entendait les militaires français crier sur les goumiers marocains indisciplinés. A force de faire le goumier avec les militaires français, Benji commence à apprendre quelques rudiments de la langue de Molière dont « Ztawri » (quelqu’un qui fait des histoires), adjectif dont il a affublé son fils aîné. Le mot français «Goum» qui désigne une compagnie de goumiers, provient du mot arabe قوم (goum : peuple, gens,…). La création des premiers goums marocains est due à l’initiative du général Albert d’Amade (1856-1941). Les six premières troupes formaient à leur début une milice locale destinée à assurer des patrouilles ou des missions de reconnaissance sur le territoire marocain. Les goumiers ont combattu aux côtés de l’armée française jusqu’à 1934 durant la pacification du Maroc.
Après la pacification du Maroc, les goumiers se sont particulièrement illustrés lors de la campagne d’Italie sous le commandement du Maréchal Juin, puis lors des campagnes de France et d’Allemagne. En Italie, l’exploit le plus retentissant des goumiers a lieu lors de la bataille du Monte Cassino au cours de laquelle ils pénètrent dans les monts Aurunci, bastion sud de la position allemande, «nettoient » les collines depuis le Garigliano jusqu’au sud de Rome et éliminent en trois semaines de combats certaines des unités nazies les mieux entrainées. Au cours de cet assaut qui provoque la rupture de la ligne Gustave, le général nazi Kesselring écrit le 19 mai : «Les Français et surtout les Marocains ont combattu avec furie et exploité chaque succès en concentrant immédiatement toutes les forces disponibles sur les points qui faiblissaient ». La plupart des analystes militaires considèrent la manœuvre des goumiers comme la victoire décisive qui a finalement ouvert la route de Rome aux Alliés. Dans une lettre adressée au général de Gaulle le 18 juillet 1944, le maréchal Jean de Lattre de Tassigny écrit à propos des goumiers : « Je sais qu’ils sont accusés d’actes de violences commis à l’encontre des populations civiles italiennes, mais je crois que de tels faits ont été singulièrement déformés et exagérés à des fins anti-françaises». Les goumiers entrent dans Sienne et terminent la campagne à San Gimignano. Les généraux Alexander et Clark avaient une très haute opinion de la valeur militaire des goums.
« Jamais la route des Maures n’a autant justifié son nom » écrira le maréchal de Lattre, car ils jouèrent un rôle important dans la libération de Marseille en août 1944 et furent cités à l’ordre de l’Armée. À l’issue de la prise de Marseille, les goumiers sont conduits ensuite dans les Alpes en automne puis dans les Vosges lors des combats meurtriers de l’hiver et jusqu’en Allemagne. Ils nettoient d’abord la forêt de Haguenau des nazis qui l’occupaient, franchissent le Rhin puis forcent la ligne Siegfried. Lorsque le Maroc accède officiellement à l’indépendance en 1956, les goums quittent l’armée française et rejoignent les FAR (forces armées royales) marocaines le 1er mai 1956 à minuit. (A suivre)