En 2020, nous célébrons le centenaire de la fondation de la ville de Khouribga. A Mnina, où quelques familles vivent regroupées autour d’un point d’eau au nord de l’actuelle ville de Khouribga, Benji, le Seigneur de la bourgade, reçoit son beau-frère et père de sa nièce Claire, ‘Ben L’oriental’, commerçant de tissus itinérant de souk en souk, qui a toujours des tonnes d’histoires à raconter. Les enfants de Benji et leur cousine Claire insistent pour se faire raconter une énième fois l’histoire de Bouhmara (بوحمارة l’Homme à l’Anesse en arabe). C’est finalement l’ânesse qui fait aimer ce conte, comme Rossinante, la jument squelettique de Don Quichotte dans l’œuvre de Cervantès. Bouhmara arrivait dans les douars sur son ânesse pour démontrer qu’il était proche du peuple et se distinguait ainsi du sultan, inapprochable, sur son cheval majestueux.
Né vers 1860, il commença par apprendre par cœur les 60 chapitres du Coran comme tous les enfants de son époque. Le gamin était extrêmement brillant, génération spontanée dotée de circuits neuronaux hors du commun, il poursuivit miraculeusement pour l’époque ses études à Fès, puis à Tlemcen, à Alger et serait même monté jusqu’à Paname pour se faire délivrer un diplôme en topographie de la prestigieuse école parisienne des Ponts & Chaussées. Ayant pas mal roulé sa bosse pour l’époque, ce fake-newseur parvint à pénétrer le Magasin (Ma5zen) puis le sérail du sultan Hassan 1er. Mal lui en prit, il misa sur le mauvais cheval en contestant au gérant/régent Bahmad l’intronisation de l’adolescent Abdelaziz (16 ans) aux dépens de son frère aîné M’hamed déshérité et mis en résidence surveillée. Il fut chassé de la cour du sultan par Bahmad, le gérant du Magasin et régent du jeune sultan. Bouhmara s’érigea alors en défenseur incorruptible de la religion islamique. Les images ne circulant pas à l’époque à la vitesse de la lumière comme aujourd’hui via les réseaux sociaux, l’idée vint à Bouhmara d’usurper l’identité de M’hamed car les Marocains avaient une dévotion profonde pour ce frère aîné déshérité. En 1902, Bouhmara profita de l’anarchie régnante dans Bled Siba pour battre les troupes du jeune sultan Abdelaziz. Cette victoire fit enfler sa légende. Des chansons à sa gloire couraient le Rif.
Les Rifains cherchant toujours Mehdi à 14 heures, étaient persuadés que le vrai Abdelaziz avait été escamoté, emporté à Londres par deux sirènes d’Albion et que c’était un Nassrani (Nazaréen) qui régnait à Fès à sa place en ayant réussi à se faire passer pour le Sultan grâce à sa ressemblance avec le fils de la circassienne. Cette fake news complotiste qui électrisait des milliers de Rifains se répandait partout dans le Rif kif-kif une traînée de kif. Plus le territoire conquis par Bouhmara s’étendait, moins il avait les moyens de maîtriser cette croissance rapide. Bouhmara ne pouvait plus s’assurer la fidélité de toutes les tribus nouvellement conquises. Le coup de grâce lui fut porté par Améziane qui le chassa de Nador en 1907 car il lui reprochait d’avoir vendu des concessions minières aux Espagnols. Le nouveau Sultan Abdelhafid le traqua avec l’aide de la France.
Voyant son armée décimée et sa fin proche, Bouhmara se réfugia avec ses femmes, ses enfants et sa cour dans un lieu de culte, croyant que leur vie serait épargnée. En dépit de leur caractère sacré, les lieux furent bombardés par l’artillerie française. Bouhmara fut capturé avec les 400 membres de sa cour et ils furent emmenés vers Fès. Sur le chemin, seuls 160 survivants arrivèrent à destination. Ils furent dépecés en public puis livrés aux fauves. Il se raconte que les bouchers opérèrent, tranchant d’un coup ici une main droite et un pied gauche, là une main gauche et un pied droit. Lorsqu’ils s’affaissaient, pour arrêter l’hémorragie, on les portait près d’un caveau où chauffaient des résines obtenues par distillation de bois résineux قطران et on y trempait leurs moignons sanglants, au milieu de leurs hurlements de douleur. Le sang coulait à la grande joie de la foule.(A suivre)