Khouribga, une ville française… (22)

En 2020, nous célébrons le centenaire de la fondation de la ville de Khouribga et celle de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates. A Mnina, où quelques familles vivent regroupées autour d’un point d’eau au nord de l’actuelle ville de Khouribga, trois garçons et leur cousine Claire guettent le retour de ‘Ben L’oriental’, commerçant de tissus itinérant de village en village, qui a toujours des tonnes d’histoires à raconter. Il fait chaud, dans un décor de film western de Sergio Leone, les 3 enfants de Benji : Le Bon, le Buveur et le Ztawri savent que le papa de Claire lui ramène toujours des friandises à son retour des marchés. Ils attendent leur part de fruits secs silencieusement et écoutent religieusement le bourdonnement des insectes suceurs de sang (chniwla) sous une chaleur torride qui les fait transpirer à grosses gouttes. Dans sa bonté légendaire, Ben L’Oriental a anticipé les besoins des cousins de Claire et a prévu large. Au loin, Claire repère l’attelage de son père et file à sa rencontre à toute vitesse. « Bouya, bouya jebti 7aja men sou9 ? » (Papa, papa tu as amené une chose du souk ?). Les quatre enfants insistent pour se faire raconter une énième fois l’histoire de Bouhmara. « Non, répond fermement Ben L’Oriental, pas d’histoire en pleine clarté du jour, faudra attendre la tombée de la nuit pour éviter que vos enfants ne naissent chauves et teigneux قرع ».

Le soir venu, il reprend son histoire. Le sultan Abdelhafid opposé aux accords d’Algésiras, mais également motivé par le pouvoir, destitue son petit frère, Abdelaziz, avec l’aide du Glaoui (son futur ministre de la Guerre puis Grand Vizir). D’abord proclamé sultan à Marrakech contre son frère, le 17 août 1907, son autorité, en tant que commandeur des croyants, ne peut s’imposer qu’à partir de son investiture à Fès, la capitale du Nord, par l’acte d’allégeance  البيعة établi et signé par les dignitaires du Magasin (Oulémas, chérifs et notables fassis) qui lient et délient.

Le sultan Abdelhafid a de grandes connaissances en théologie avec un fort penchant pour le salafisme, du goût pour l’écriture poétique et à son actif la rédaction de plusieurs ouvrages. En 1911, il est assiégé à Fès par des soulèvements populaires et sollicite l’aide française. Le général Moinier, à la tête d’une armée de 23 000 hommes, le libère le 21 mai 1911. Les tribus du Bled Siba se soulèvent contre la nomination de Glaoui au poste de grand vizir. Le 30 mars 1912, la France fait signer au sultan un traité de protectorat contre les dangers de ces mêmes tribus. Ce traité reconnaît la souveraineté du Sultan, mais il n’a pas l’initiative des lois, seulement le droit de les approuver en signant les décrets. Les fonctions régaliennes (police, armée, finances et diplomatie) lui échappent. En avril 1912, une révolte des troupes marocaines oblige la France à changer de stratégie : nommer le militaire Jnaynar Lotti (Lyautey) comme premier résident général au Maroc. Jnaynar Lotti fait abdiquer le Sultan Abdelhafid le 13 août en le remplaçant par son demi-frère Youssef et l’exile deux jours plus tard en France. Abdelhafid s’installe à Enghien-les-Bains, où il meurt un quart de siècle plus tard, le 4 avril 1937. Pendant son exil, Abdelhafid adhère à la franc-maçonnerie. Il s’affilie, le 13 janvier 1927, à la loge « Jean-Jacques Rousseau » du Grand Orient de France puis à l’Orient de Montmorency dans le Val-d’Oise. Il demande également son affiliation, en février 1927, au sein de la loge « Plus Ultra » no 452 de la Grande Loge de France, à l’Orient de Paris. Ce sultan est l’un des personnages principaux de l’épisode « Le Crime du Sultan » de la série télévisée « Les Brigades du Tigre ». Il est incarné à l’écran par l’acteur Hans Wyprächtiger. (A suivre)

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